HISTOIRE DE L'EMPIRE METALLIQUE
épisode 3

Premier contact


1) Petite gymnastique préliminaire

   Salut.
   Ca va ?
   Moi, ça va pas mal.
   Vous avez bien lu et relu plusieurs fois les deux premiers épisodes ? Je ne vais pas avoir besoin de faire un rappel des noms et de la situation ?
   Bon, on va pouvoir commencer alors, si cela ne vous dérange pas. Ma foi, je discuterai bien d’avantage avec vous, mais le problème, c’est qu’ici, vous ne pouvez pas me répondre, ou alors je ne vous entend pas. On va donc commencer un peu platement, mais bon, on n’est pas non plus à une réunion des alcooliques anonymes. Si tout le monde devait se présenter, ça prendrait cinq chapitres et il resterait peu de place pour l’histoire.

   Nous retrouvons donc Fant et Mela au bord d’un cratère. Vous noterez que la chose est peu courante dans un monde où on a le ciel sous les pieds et le sol au-dessus de la tête. Peut-être un volcan, me direz-vous. Eh bien non, un cratère qui ressemble très fort à la zone d’impact d’un très gros météorite, chose d’autant plus curieuse que quand quelque chose tombe, c’est généralement vers le bas. Pour rappel, à la fin de l’épisode précédent, Mela avait aperçu un objet brillant dans le ciel au loin. La curiosité des makis étant ce qu’elle est, la jeune femelle avait insisté pour aller voir. Le voyage avait quand même pris presque un femp pour arriver jusque là. Bien entendu, Fant avait fortement râlé, fidèle à sa réputation, en disant que c’était n’importe quoi, que si vraiment il y avait eu quelque chose dans le ciel, une ou deux heures auraient suffit pour se rendre au lieu d’atterrissage et pourquoi donc suivait-il cette boule de poils trop imaginative, etc. C’était en fait ce dernier point seul qui l’embêtait. Le reste, il s’en foutait, tant qu’il se promenait pépère dans la jungle, loin de toute civilisation. Mais avec un gros compagnon capable de lui tordre le cou d’une pichenette si l’envie lui en prenait, ou plus probablement s’il découvrait la cause de son exil forcé, le voyage devenait tout de suite moins attrayant.
   Malgré tout, la proximité d’une telle masse de muscles, aussi monstrueuse soit-elle, inspirait paradoxalement un certain sentiment de sécurité. Avec elle, aucun risque de se faire agresser par un gros truc. Ou en tout cas, le gros truc s’en prendrait d’abord à Mela, laissant à Fant le temps de fuir. Il avait donc beaucoup râlé, mais jamais il n’avait essayé de fausser compagnie à son amie. Celle-ci ne s’était d’ailleurs pas trop plainte. La vie en pleine jungle semblait beaucoup lui plaire et elle avait fait le deuil de son village à une vitesse record. Chaque nouveau fruit découvert l’intriguait et Fant avait de nombreuses fois dû l’empêcher de dévorer un fruit non comestible.
   Non pas qu’il cherchait tant que ça à lui sauver la vie, mais ces fruits avaient des propriétés laxatives tout aussi pénible pour le malade que pour ses compagnons de route.

   Fant avait donc regardé d’un œil morne cette maki commenter allègrement tout ce qu’elle voyait et s’extasier devant les spectacles les plus banals. Il oubliait par la même occasion qu’il avait agit exactement de la même façon au début de son voyage, et il aurait sûrement continué s’il n’avait pas trouvé autrement plus amusant de s’affliger de la bêtise de Mela. Mine de rien, ça donnait beaucoup de charme au voyage. Fant ne l’aurait jamais avoué, et très probablement ne s’en rendait-il pas compte lui-même, mais cette touche d’innocence était rafraîchissante, surtout après les événements survenus dans l’épisode deux. Son allumeur magique perdu, il n’avait pu se fumer du plum, mais à vrai dire, il n’y pensait plus, sauf le soir quand Mela lui racontait la vie dans son village alors qu’il tentait de dormir. Il nota donc que le plum perdait tout attrait aussitôt qu’il voyageait, et cela même s’il était accompagné.

   Il était une fois de plus en train de se demander ce qu’il foutait là pendant que Mela s’émerveillait de la vingt-et-unième cascade croisée depuis le départ, quand son regard aperçut comme un trou dans la végétation un peu plus loin. La dernière fois qu’il avait vu des arbres déracinés, il avait fini accroché au dos d’un maké gigantesque qui avait essayé de l’écraser comme un vulgaire moustique. Peu pressé de renouveler l’expérience, il était en train de se demander comment détourner discrètement l’attention de Mela, quand il se rendit compte qu’elle avait suivi son regard et qu’elle voyait maintenant elle aussi que quelque chose clochait. Aussitôt, elle s’était élancé dans la direction opposée à celle que Fant allait proposer et avait découvert le cratère.

   Se rendant compte que sa compagne ne semblait pas être en danger, le Ff avait fini par sortir ses accrocheurs et à la suivre. La curiosité lui fit oublier toute peur à la vue de cet énorme cratère.
   - Qu’est-ce qui a bien pu faire ça ?
   Mela ne répondit pas, mais sauta sur une autre branche afin de mieux voir le fond du cratère.
   - On dirait qu’il y avait quelque chose sous terre qui est sorti. Tu crois que ça peut être une grosse graine entraînée par son poids ?
   Cette fois, la maki daigna répondre :
   - Non, j’ai plutôt l’impression que c’est quelque chose qui s’est enfoncé dans la terre.
   - Quoi ? Un truc aussi gros ?
   - Non. Le cratère se rétrécit au fur et à mesure qu’il s’enfonce. Ce qui est arrivé ici n’était pas extrêmement gros, mais a percuté le sol avec une force terrible.
   Fant avala difficilement. Quoi qu’ait pu faire ça devait être énorme, genre un maké géant… De là où il se trouvait, le Ff ne pouvait voir l’intérieur du cratère sans rentrer dedans, chose qui ne l’enchantait guère. De sa position, Mela voyait beaucoup mieux.
   - Ecoute Mela, ça ne me dit rien qui vaille. On devrait partir.
   - Partir ? Alors qu’on ne sait rien ? Je veux savoir ce qui se trouve là-dedans.
   - Là-dedans ? Mais enfin, il ne peut plus rien y avoir au fond. Quoi qu’on ait envoyé ici se sera forcément détaché. Ca a dû tomber et personne ne le reverra.
   - Non, il y a un trou au fond. Je n’arrive pas à voir assez clair, mais apparemment, la chose est enfoncée. Il faut que tu ailles voir !
   - Quoi ? Non mais ça va pas la tête ? Hors de question que je monte là-dedans !
   - Franchement, qu’est-ce que tu risques ? Admettons qu’une grosse bestiole ait enfoncé une pierre de toutes ses forces. L’endroit où elle a le moins de chances de se trouver, c’est bien au fond du trou.
   - Et si c’est la bestiole qui s’est enterrée ? Pour creuser un trou pareil, je n’ose imaginer ce que ça peut être…
   Ce qui ne l’empêcha pas d’oser quand même. Il regretta aussitôt sa pensée.
   - Brrr…
   - Mais si c’était un monstre, il se serait creusé un tunnel, il n’aurait pas fait un tel cratère !
   - Rien à foutre, je bouge pas d’ici.
   - Bon d’accord…
   Et sur ces mots particulièrement forts, elle prit appui sur sa branche, sauta pour s’accrocher à une autre un peu plus proche du sol et se balança jusqu’à obtenir un élan suffisant. Elle finit par lâcher, se propulsant dans le cratère où elle disparut de la vue de Fant. Celui-ci était persuadé qu’elle allait réapparaître une demi-seconde après, à une allure croissante en direction verticale, mais curieusement, seuls des petits cailloux et quelques morceaux de terre prirent cette direction. Un peu étonné, il crut bon d’appeler :
   - Ca va ?
   Ce à quoi il lui fut répondu :
   - Nan !
   Cette courte réponse suscita d’avantage de curiosité que de craintes, aussi osa-t-il s’avancer dans le cratère. Il n’eut pas besoin d’aller loin pour apercevoir une femelle maki suspendue à une toute petite racine qui dépassait sur le bord. Apparemment, Mela avait essayé de reprendre appui contre le bord, mais ses pattes glissaient sur la terre friable.
   - C’est malin ça. Tu as l’intention de faire quoi maintenant ?
   - Et bien, j’attend que tu viennes me tirer de là.
   - C’était ça que tu avais en tête en sautant ici ?
   - Pas du tout ! J’espérais pouvoir escalader.
   - C’était idiot…
   - Je constate, en effet. Tu as l’intention de me faire la morale ?
   - Allons, ce serait bien mal me connaître. La nature m’a doté d’un caractère discret et jamais je n’oserais me moquer ainsi d’un comparse qui se trouve dans une mauvaise situation. Je pense que profiter de ces petits moments de faiblesse est parfaitement indigne d’un être pensant, fut-il Ff ou maki. Rester sur le bord en monologuant est une insulte que je n’oserai te faire subir. Il est vrai que j’avais, il me semble, énoncé la possibilité d’un danger. Apparemment, tu n’as pas daigné en tenir compte, mais ne t’en fais pas, je ne t’en tiendrais pas rigueur. Tu n’as pas affaire à un goujat. Je vais donc de ce pas aller t’aider, même si je ne sais pas encore comment, et seulement quand j’aurai fini de t’admonester pour ta stupidité crasse.
   - Tu te fous de ma gueule ou tu es complètement con ?
   - Je me fous de ta gueule.
   - Ah, bien. Ce serait sympa d’accélérer alors, parce que je commence à lâcher prise.
   - Bon, bon ! Mais ces instant sont tellement jouissifs, il serait bête de ne pas en profiter.
   S’approchant de son amie, Fant découvrit néanmoins que les parois étaient drôlement lisses. Ses accrocheurs y restaient plantés sans problèmes, mais il ne voyait pas comment il sortirait Mela de ce traquenard. Hors de question de la prendre avec lui, les accrocheurs ne tiendraient pas. Enfin en tout cas, Fant refusait d’essayer.
    Arrivé à coté, il demanda :
   - Bon, je fais comment ?
   Mela regarda autour d’elle et avisa le trou au sommet (ou au fond, à vous de voir) du cratère. Il semblait effectivement déboucher dans une sorte de petite caverne, mais il était impossible de discerner quoi que ce soit.
   - Tu pourrais rentrer là-dedans et me passer tes accrocheurs.
   - Où ça ? Là-dedans ? Et on repart comment ?
   - Ca, je ne sais pas, on verra. Chaque chose en son temps.
Apparemment, l’hésitation sur le visage de Fant dut paraître trop évidente au goût de Mela, qui lui attrapa aussitôt le bras.
   - Ecoute-moi, Ff ! Tu as deux choix : tu rentres là-dedans bien sagement et tu me passes tes accrocheurs ou je m’accroche immédiatement à toi pour voir si ça tient bien.
   - Oulah ! Mais ne le prend pas comme ça ! J’étais en train d’analyser le terrain pour voir quel était le meilleur passage.
   - Tu te fous encore de moi ?
   Fant prit son meilleur air outragé pour répondre.
   - Mais non enfin ! Qu’est-ce que tu crois ? Des accrocheurs, ça ne s’utilise pas comme ça, ça demande une grosse pratique, surtout dans un endroit tel que celui-ci où la terre meuble risque de lâcher prise à tout moment.
   Tout content de son petit effet, le mâle se dirigea en ligne droite vers le trou.
   - Et prend garde de ne pas trop t’éloigner ! Je peux encore te sauter dessus depuis là où je suis.
   - Oui, oui. Ne t’éloigne pas, toi non plus.
   - Malin…

2) Spéléologie

   Après de nombreuses péripéties au cours desquelles il fallu envoyer les accrocheurs vers Mela sans les faire tomber et lui apprendre à les utiliser - expérience particulièrement douloureuse pour ses bras, mais qui lui confirma tout de même que Fant s’était foutu de sa gueule en racontant que c’était très technique - les deux voyageurs de l’extrême (ça fait bien, hein ?) se retrouvèrent dans une grotte qu’illuminait la lumière du jour passant dans le trou. La grotte en question, que Fant avait déjà eu tout le loisir d’observer pendant que Mela galérait avec les accrocheurs, était naturelle et s’étendait en forme de croissant. Ce qui était moins naturel, c’était les lampes électriques à intervalles réguliers sur le plafond de la grotte, reliées entre elles par des câbles soigneusement entretenus. Mela prit ces bulbes lumineux pour des espèces de champignons fluorescents, tandis que Fant se rassura en se disant que ça devait être de la magie. La curiosité de Mela concernant la source du cratère ne fut que partiellement satisfaite. Au plafond se trouvait effectivement la chose qui avait heurté le sol de plein fouet, mais à part le fait que ça ressemblait à une grosse boule de papier alu chiffonnée, il n’y avait aucun indice sur la façon dont cette chose était arrivée là. Ni sur comment elle faisait pour s’y trouver encore d’ailleurs. Effectivement, la boule de deux mètres de diamètre était légèrement enfoncée dans le plafond, mais elle n’aurait pas dû y rester accrochée. La physique la plus élémentaire aurait voulu qu’elle se détache et qu’elle retombe par le trou qu’elle avait creusé en atterrissant. Ce n’était pas le cas.

   Nos deux compagnons comprirent vite qu’il n’y avait pas grand chose de plus à faire et à moins d’abandonner l’un des deux ici, il était hors de question de redescendre par le trou faute d’accrocheurs en nombre suffisant. Il ne fallut pas longtemps pour trouver un tunnel taillé dans la roche : il suffisait de suivre l’éclairage. Voyant l’état de la pierre, Mela fit une remarque intelligente :
   - La pierre est trop lisse. Quelqu’un a taillé ce couloir, un peu comme les Ffs taillent leurs huttes dans les arbres.
   Fant fit alors cette remarque fort stupide :
   - Faudrait être con pour vivre dans la terre.
   Voyant que le niveau de la conversation n’irait pas plus haut, la maki décida d’emprunter le tunnel. Et c’est là que tous deux découvrirent une chose amusante : sous terre, il faisait vachement plus frais qu’à la surface. Il faisait largement assez chaud pour se balader sans problème, mais quand on est habitué à une température unique toute l’année du matin au soir, ça fait bizarre, surtout en pagne. Ils oublièrent cependant assez vite ce détail en découvrant une autre chose amusante : ils étaient aussi claustrophobes l’un que l’autre. Cet état de fait, pour amusant qu’il fut, ne les avança guère et Mela dut empêcher Fant de retourner plonger dans le trou tellement l’air libre lui manquait. Ils restèrent néanmoins un bon moment dans la caverne juste à coté du trou, comme pour dire au revoir à l’extérieur. Après cet intermède passé à respirer l’air frais en étant penchés au-dessus du vide, les deux spéléologues en herbe décidèrent de retenter le coup et retournèrent vers le tunnel. Les 20 premiers mètres furent les plus difficiles. Fant restait obstinément accroché à Mela qui, pour gênée qu’elle fut, ne trouva pas le courage de lui faire lâcher prise. Ce n’est qu’au bout d’une centaine de mètre que le malaise revint violemment au jeune mâle.
   - Ca suffit, j’en peux plus ! Ca continue sûrement encore à l’infini. C’est pas normal de ne pas avoir le ciel sous les pieds. Et puis il fait trop sombre, il y a sûrement des tas de grosses bêtes qui nous épient et qui attendent qu’on s’approche.
   - Ecoute, je ne suis pas rassurée moi non plus, mais ce n’est pas une raison pour perdre la tête.
   - Mon allumeur ! Je veux du plum !
   - Ah, tu ne vas pas remettre ça !
   - Au secours ! A l’aide !
   Après avoir cogné les parois un bon moment, Fant décida de creuser le sol à mains nues. Tentative vouée à l’échec, vu que c’était de la roche. Face à ce spectacle déplorable, Mela n’arriva plus à se retenir et lui appliqua une bonne taloche en travers de la gueule.
   Le choc passé, Fant trouva la force de parler :
   - Mais ça va pas ? T’es folle ? Pourquoi t’as fait ça ?
   - Est-ce que tu vas mieux ?
   - Mais pas du tout, on est toujours enfermé et en plus…
   Une deuxième raclée encore plus violente que la première interrompit cette dernière tirade et envoya Fant contre le mur. Le temps de récupération fut un peu plus long. Convaincu qu’une troisième baffe serait sûrement plus mauvais pour sa santé que de rester calme, le Ff opta pour la deuxième option et resta coi le restant du trajet.

   Bien entendu, vous vous doutez bien que je ne me suis pas embêté à parler de la grosse boule métallique un peu plus tôt pour la laisser définitivement plantée au sommet de sa caverne. Et effectivement, bien que notre couple mal assorti d’aventuriers ne l’avait pas remarqué, une caméra reliée à un système de détection des mouvements avait mis en marche une IA fort sophistiquée qui avait patiemment attendu que les deux gloglos foutent le camp. Après quoi, plusieurs pattes s’étaient déployé et la chose, toujours collée au plafond, avait entamé une petite promenade par là où avaient disparu nos héros.

3) Doukutsu Monogatari (Félicitations à ceux qui capteront l’allusion)

   Au grand mécontentement de Fant, le tunnel déboucha sur une nouvelle caverne. Il commençait à croire qu’il passerait le restant de ses jours dans des cavernes de pierre. Par chance, celle-ci était beaucoup plus grande que la première. L’éclairage ne continuait pas au plafond, mais sur de hauts poteaux qui continuaient le long d’un chemin descendant vers le fond d’une cuvette naturelle. Le détail marquant était qu’au bout du chemin se trouvait une ville. Brillamment éclairée, s’étalant à l’horizontale plutôt qu’à la verticale, il s’en dégageait de nombreux bruits, principalement des chocs de métaux. Ici et là, on voyait s’agiter de petites silhouettes, mais la distance empêchait de voir s’il s’agissait de Ffs, de makis ou d’autre chose. Les bâtiments étaient en pierre et se seraient parfaitement confondu avec la roche environnante si tant de lumière ne s’en échappait. Ils étaient rectangulaires et fort plats. Quelques-uns étaient plus grands, mais aucun ne semblait particulièrement impressionnant. D’autant moins que ce qui impressionnait vraiment le visiteur, c’était de gigantesques structures de bois, fort larges, des sortes d’échafaudages, qui s’élevaient depuis la ville et dont deux d’entre elles disparaissaient dans des trous au plafond (très haut le plafond, bien cent cinquante mètres au point le plus élevé). Une troisième, apparemment en cours de construction, s’élevait à presque la moitié de la caverne. En regardant bien dans la pénombre, on discernait deux autres trous dans le plafond, mais aucun échafaudage ne s’y engageait.

   Après avoir contemplé ce paysage un petit moment, les deux explorateurs se regardèrent, puis Mela demanda :
   - Bon, on fait quoi ?
   - Et bien, on pourrait aller demander s’ils connaissent une sortie.
   - Tu crois ? Ca m’étonnerait qu’ils en connaissent, sinon ils ne vivraient pas ici. Ils l’auraient déjà utilisée.
   - Pas faux, mais on n’en saura rien tant qu’on n’aura pas essayé. Allons-y.
   Et prenant son air le plus intrépide, Fant s’engagea d’un pas qu’il espérait vigoureux sur le chemin descendant la cuvette. Son image en avait pris un coup dans le tunnel et l’occasion était bien choisie pour redorer son blason auprès de Mela. Malgré tout, il espéra fortement que la vie dans les grottes n’avait pas rendu les habitants trop méfiants. D’un autre coté, ce n’était pas ici qu’ils risquaient d’avoir souvent de la visite. Probablement seraient-ils heureux d’avoir des nouvelles de l’extérieur…
   Enfin, j’espère, songea-t-il.

   En approchant, ils purent à loisir détailler les habitants de la ville. Finalement, ils n’étaient ni Ffs, ni makis, même s’il semblait évident qu’ils avaient un ascendant Ff. Ils avaient la même peau couleur bleu, les mêmes oreilles pointues et ne semblaient pas avoir la moindre pilosité ailleurs que sur le haut et l’arrière du crane. Ah oui, ils avaient aussi quatre doigts à chaque mains, ce qui veut dire que je vais continuer à parler de memps et de huitièmes de femps. Fant remarqua aussi qu’on distinguait les mâles des femelles aux mêmes détails que chez les Ffs. La ressemblance s’arrêtait là. Vous me direz, ça fait déjà beaucoup. Je vous répondrai, lisez la suite avant de m’emmerder.
   Effectivement, ces êtres ne faisaient pas la moitié d’un Ff en taille. Par contre, la largeur compensait largement. Petits, trapus et particulièrement musclés, ils avaient de plus l’étrange habitude de s’habiller de peaux de bêtes différemment travaillées.
   Allez savoir pourquoi les êtres qui vivent sous terre sont souvent petits et trapus. Au moins, ceux-là n’avaient pas de barbe. Oui, on cherche l'originalité où on peut.
   Fant ne put s’empêcher de noter que les couleurs d’yeux étaient nettement moins variées que chez lui. Ici, on avait surtout du gris, tendant parfois sur le blanc. De plus, tous les cheveux étaient parfaitement blancs. Aucun enfant n’était en vue, mais c’était assez normal. Dans le village Ff aussi, on ne laissait pas les enfants se promener quand les adultes travaillaient.

   Arrivés en périphérie, Mela et Fant abordèrent le premier habitant venu. Celui-ci portait sur ses épaules plusieurs planches de bois taillées et ne semblait pas vouloir leur accorder le moindre regard, tout occupé par ses pensées.
   - Pardon, Monsieur, pourrions-nous vous déranger quelques instants ? Merde, au fait Mela t’es sûr qu’ils parlent comme nous ?
   Le petit être tourna les yeux dans leur direction. Aussitôt, son visage s’éclaira d’un grand sourire :
   - Tiens ! Des visiteurs ! Alors ça, si je m’attendait. Ne vous en faites pas, jeune homme, je parle la même langue que vous et c’est le cas de tout le monde ici. Là, je suis un peu occupé, mais si ça vous dit, passez donc chez moi après les heures de travail. Je vous ferai un petit thé aux champignons, vous m’en direz des nouvelles.
   - Euh… Oui, bien sûr. Mais, pourrions-nous voir quelqu’un qui nous expliquerait précisément vos us et coutumes et qui pourrait nous renseigner ?
   - Bien entendu. Allez à la mairie. C’est le grand bâtiment au bout de la rue.
   - De la quoi ?
   - La rue… Ah oui, c’est vrai. Vos villages sont fait autrement. Excusez-moi. Allez tout droit dans cette direction et c’est le grand bâtiment tout au bout. Vous ne pouvez pas le rater. Oh, et ma maison, c’est celle-là, fit-il en désignant un gros bloc de pierre rigoureusement identique à tous les autres blocs de pierre. N’oubliez pas de venir me dire un petit bonjour. Ca fera plaisir aux enfants de voir des étrangers.
   - Bien sûr, nous n’y manquerons pas. Merci beaucoup.
   L’amical petit bonhomme repartit donc après un dernier signe de main. Fant lâcha un soupir de soulagement :
   - Au moins, ils ont l’air amical.
   - Effectivement. Tu as compris tout ce qu’il t’avait dit ?
   - Pas tout, non. Mais le principal, c’est qu’on sait où trouver des informations. Allez, viens. Et fais attention quand même, des fois que ce serait un piège pour nous faire relâcher notre vigilance.
   - Tu vois le mal partout…

   C’est ainsi qu’un Ff et une maki s’engagèrent dans la rue principale de la ville G-15 des Ggs. Eh oui, j’ai décidé de ne pas me faire chier pour les noms de race. Ca vous pose un problème ?
   Ca, on peut dire qu’ils détonnaient. Tout le monde les regarda d’un air surpris, avant de reprendre le travail, quel qu’il soit. Cette façon d’être dévisagé n’était pas fort agréable, mais les différents citadins ne s’attardaient pas, et la plupart leur firent un grand sourire accompagné d’un aimable « bonjour ». Fort gêné, notre couple fit de son mieux pour répondre aux salutations avec un petit sourire crispé. Fant s’attendait de plus en plus à ce que tout le monde leur saute dessus sans crier gare, aussi fut-il particulièrement heureux d’atteindre la mairie sans encombre.

4) Gondul

   Celle-ci était en tout point identique à tous les autres bâtiments de la ville, à ceci près qu’elle était nettement plus large et possédait un étage. Ne sachant pas trop comment s’y prendre, Fant et Mela décidèrent d’entrer. Après avoir lutté pour comprendre comment marchait la porte - aucun d’eux n’avait jamais vu de poigné - ils arrivèrent dans le hall principal. Ce hall n’était pas bien grand, mais c’était la première fois que nos héros entraient dans un intérieur de plus de 12 mètres carré. Les mêmes globes lumineux qu’à l’extérieur illuminaient l’endroit comme en plein jour. A droite et à gauche, plusieurs autres portes menaient vers ce qui devait être des bureaux. En face de l’entrée se trouvait un énorme escalier en bois recouvert d’un tapis rouge style Titanic du plus bel effet, mais sans les sculptures quand même.
   Derrière un petit bureau juste à coté de l’entrée sur lequel était écrit l’équivalent Gg pour « Accueil », une Gg chaudement habillée remplissait des papiers avec une belle plume d’oiseau rouge en guise de stylo. Cette vue rassura Fant sur le fait que ces personnes devaient avoir un contact avec la surface. Les apercevant, l'employée leur fit un grand sourire et s’adressa à eux en ces termes :
   - Ca alors ! Des étrangers ! Bienvenue dans la ville G-15. Que puis-je faire pour vous ?
   - Euh… Je ne sais pas trop. C’est vous qui êtes le chef du village ?
   - Non, pas du tout, fit-elle en rigolant. Vous voulez sans doute parler du bourgmestre. Il est un peu occupé, mais il trouvera sûrement le temps de vous accueillir. C’est pas tous les jours qu’on voit du monde de l’extérieur. Allez à l’étage, je l’appelle.
   Fant comprit vaguement qu’on attendait d’eux qu’ils montent les escaliers. Ainsi firent-ils, pendant que la fonctionnaire se saisissait d’un des nombreux tuyaux de cuivre disparaissant dans le plafond et appelait le bourgmestre en parlant dedans.

   Le premier étage était en fait un large balcon faisant le tour de la moitié du grand hall. Au delà se trouvait une vaste salle de conférence dont nous n’avons pour l’instant que faire. Plusieurs autres bureaux donnaient sur le balcon. La porte de l’un ces bureaux s’ouvrit pour laisser passer une jeune Gg pimpante, quelques feuilles de papier hâtivement fourrées sous le bras, qui jeta un rapide coup d’œil à Fant et Mela avant de disparaître précipitamment dans un autre bureau en remontant quelque peu son décolleté. Le bourgmestre suivit de peu en sortant par la même porte qu’elle. Il était tout sourire et accueillit chaudement ses invités.
   - Ah ! Bienvenue ! Laissez-moi me présenter : Gondul, bourgmestre de la ville G-15 des Ggs.
   - Pardon ?
   - Oh, mais quelle impolitesse de ma part. Entrez donc dans mon bureau.
   En parfait hôte, il resta à la porte le temps que Fant et Mela pénètrent dans la petite pièce. L’intérieur était fort peu décoré, mais meublé d’un petit bureau fonctionnel à tiroirs, de deux meubles de rangements plein de livres et de dossiers et de trois chaises, dont une derrière le bureau. Un autre globe lumineux pendait du plafond par un fil. Fant nota que la plupart de ces meubles étaient taillés dans du bois, ce qui signifiait deux choses : déjà, les Ggs avaient accès à une source de bois, donc à l’extérieur ; deuxièmement, s’ils étaient capables de sculpter aussi bien et patiemment le bois, ils étaient autrement plus travailleurs que les Ffs.
   - Allons, asseyez-vous, mettez-vous à l’aise.
   - Euh, nous ne vous dérangeons pas, j’espère, demanda Fant en se rappelant que leur venue semblait avoir délogé une jeune fille de ce bureau.
   - Pas du tout ! On était en train de me faire l’inventaire de nos stocks de bois.
   Pour ceux qui auraient des doutes, je confirme que c’était effectivement le cas. La demoiselle était responsable de l’acheminement et de la conservation des réserves de bois de la ville. Les Ggs étaient des êtres très sérieux quand il s’agissait du travail, même le bourgmestre. Hors de question de faire baisser la productivité par des parties de jambes en l’air pendant les heures de travail.
   Pendant que Gondul présentait sa ville et parlait de tas de choses qui passaient largement au-dessus de la tête de Fant et Mela, ceux-ci remarquèrent qu’il était drôlement jeune pour être chef de village. De plus, ses habits n’étaient guère différents de ceux des gens croisés dans la rue.
   - Alors, qu’est-ce qui peut bien attirer un Ff dans notre ville ?
   - Hé ?
   - Ah ah ! Etonné ? Bien sûr que nous connaissons les Ffs, même si vous êtes le premier que je rencontre. Il y en a un qui habite la ville G-13. Je ne l’ai jamais rencontré, mais j’en ai beaucoup entendu parler.
   - Ah bon ?
   - Bien sûr. Quant à vous, Mademoiselle, je dois avouer que je ne connais pas votre espèce. Vous ressemblez à une maké, mais votre regard est beaucoup plus intelligent, vous vous tenez plus droite et il me semble que votre fourrure est plus claire. Très belle fourrure au passage.
   Fant en resta comme deux ronds de flanc. Non pas qu’il fut particulièrement impressionné que le Gg ait fait la différence entre une maki et une maké, bien qu’il se soit lui-même méchamment planté lors de la première rencontre. Il était surtout complètement abasourdi par le fait que le bourgmestre ait su qu’il avait affaire à une femelle du premier coup d’œil, alors que le Ff ne faisait toujours pas la différence après un bon femp passé à voyager avec elle.
   Ravie qu’on la flatte ainsi, ce qui changeait radicalement de l’autre imbécile de Fant, Mela remercia ce complimenteur.
   - Merci beaucoup. Je viens d’un village où nous nous faisons appeler makis. Effectivement, nous vivons en société et sommes bien moins agressifs que les makés sauvages.
   - Passionnant ! répondit le bourgmestre d’un air sincère. Et que nous vaut votre visite ?
   Fant et Mela se jetèrent un bref regard, et Fant décida de répondre succinctement.
   - En gros, on s’est retrouvé dans ces grottes et nous voudrions savoir si vous pouvez nous aider à retourner à la surface.
   - A la surface ! Mais vous êtes fous ! Il faut être cinglé pour vivre là-dessous.
   Sans penser qu’il était peut-être en train de commettre un terrible sacrilège, Fant répondit :
   - Quoi ? Mais au contraire ! C’est vivre dans la terre qui est anormal.
   - Mais pas du tout, c’est beaucoup plus naturel. Enfin, à l’air libre, on risque sans arrêt de tomber. Vous n’avez pas peur de tomber ?
   - Euh… En fait si, nous appelons ça la Chute. Mais de toute façon, c’est ainsi que doit se terminer toute vie, on ne peut y échapper. Et ici, vous n’avez jamais peur que le plafond s’écroule ?
   - Ah… Eh bien si, on appelle ça l’Ensevelissement. Mais bon, on n’y échappe pas, c’est notre destin à tous. Mais c’est sûrement moins désagréable que de tomber vers l’infini.
   - Quand on tombe, au moins on peut encore respirer.
   Sentant que cette conversation stupide risquait de s’éterniser, Mela fit intelligemment comprendre aux deux mâles qu’elle s’emmerdait ferme : après avoir longuement soufflé et baillé à s’en décrocher la mâchoire, elle avait fini par donner un coup de pied taquin dans la chaise de Fant qui s’était violemment viandé contre le mur. Se rendant compte qu’argumenter ne servait à rien, Gondul se résolut à emmener ses invités vers le « bâtiment de passage » dont le but principal était de permettre l’accès à la surface.

5) Pas le temps de souffler, première baston

   - Vous allez voir notre méthode pour récupérer du bois et sortir en toute sécurité à la surface. Nos machines sont incroyables, nous en sommes très fiers.
   - Je n’en doute pas, ajouta Fant en voyant que le bourgmestre semblait attendre une réponse impressionnée de sa part.
   Mela se pencha à l’oreille de son camarade et lui demanda :
   - C’est quoi une machine ?
   - Aucune idée. Au nom, j’aurai dit un truc qui aide à mâcher, mais ça ne cadre pas avec le contexte.
   La découverte de ces fameuses machines fut malheureusement repoussée à plus tard par une succession de gongs qui retentirent à travers toute la ville. Alors que Fant se demandait quel animal étrange pouvait produire un tel son, la vue perçante de Mela repéra qu’il s’agissait de petits marteaux suspendus aux fils électriques qui glissaient tout le long grâce à un ingénieux système de poulies motorisées. A intervalle régulier, le marteau venait heurter une sorte de cloche à fromage en métal, produisant cet étrange son. Ce réseau parcourait la ville entière, ne laissant personne non averti.
   - C’est quoi ça ?
   - Le signal d’alarme !
   - De quoi ?
   - L’alarme ! Il se passe quelque chose. Je dois me rendre immédiatement au poste de communication le plus proche.
   Et sur ces mots incompréhensibles pour des êtres non habitués aux merveilles de la technologie, le bourgmestre tapa un sprint vers un bâtiment somme toute quelconque. Préférant éviter de rester sans information au milieu d’une ville inconnue dont les habitants commençaient à prendre des airs paniqués, nos deux étrangers décidèrent de suivre Gondul vers son petit bâtiment.

   L’intérieur était une grande salle unique. Sept bureaux étaient placés, orientés vers l’extérieur à différents coins de la pièce. Il ne semblait y avoir qu’une seule personne présente, en plus du bourgmestre. Celle-ci était assise à un bureau, un casque étrange sur la tête. Elle semblait résumer la situation quand nos amis entrèrent. Parfois, elle s’interrompait et penchait légèrement la tête, comme pour écouter une autre personne parler. Elle se retournait aussitôt pour transmettre ce qu’elle venait d’entendre. Avant que Fant ou Mela aient pu comprendre quoi que ce soit, Gondul se retourna et passa à coté d’eux en coup de vent, sans leur accorder un regard. A vrai dire, il n’avait plus l’air joyeux qu’il arborait après son écoute de l’inventaire des stocks de bois. Fant se tourna vers la personne responsable des communications qui s’était assis à un autre bureau, avait mis un autre casque en tout point semblable au premier et parlait dans une étrange ouverture au bout de ce qui ressemblait à une perche.
   - Excusez-moi. On peut savoir ?
   L’employé se retourna et sembla les apercevoir pour la première fois. Sa surprise de tomber nez à nez avec de telles créatures fut intense, mais très brève. Il boucha l’ouverture - un système peu élaboré de micro, pour ceux qui n’auraient rien capté - afin que l’interlocuteur n’entende pas :
   - Pardon, je suis très occupé à relayer les ordres. Suivez le bourgmestre, vous comprendrez.
   Fant et Mela se jetèrent un regard. Ce qu’ils se dirent dans ce regard différait selon la personne. Les yeux de Mela exprimaient une profonde curiosité et une certaine excitation. Un liseur d’yeux averti pouvait aussi y déceler une très légère crainte. En gros, le message était : « Vite, suivons Gondul ! » Chez Fant, on lisait surtout un certain agacement et une envie de foutre des baffes à la première personne venue, sauf à Mela. Si elle décidait de lui rendre la pareille, l’opérateur de communication risquait de devoir nettoyer le mur à l’endroit où la tête de Fant le percuterait. Le petit scintillement au fond, à droite signifiait fort clairement qu’une bonne roulée de plum serait la bienvenu. En gros, le message était : « C’est quoi cette ville de merde où on me prend pour un con ! »

   La suggestion de Mela étant plus constructive, il fut tacitement décidé de suivre le bourgmestre. Le chemin emprunté rappela curieusement à nos héros l’endroit par lequel ils étaient venus et pas seulement parce que toutes les maisons de la ville se ressemblaient. Et effectivement, une petite foule se rassemblait près de l’entrée par laquelle ils étaient arrivés. Fant eut un pressentiment et voulu faire demi-tour, mais voyant son hésitation, Mela lui attrapa le bras et le força à continuer. Détail amusant : tout le monde regardait vers le haut. Comme souvent dans ces cas-là, les nouveaux arrivants levèrent aussi la tête, au risque de passer pour des imbéciles s’il n’y avait rien à voir. Fort heureusement (non, très malheureusement en fait), il y avait quelque chose à voir.
   Si vous n’êtes pas trop lent d’esprit, vous aurez deviné qu’il s’agissait de la mystérieuse boule de métal aperçue dans la première grotte. De sa forme première, il ne restait plus grand chose. La bestiole mesurait maintenant un mètre de plus et six longues pattes arachnides lui sortaient en divers endroit. Curieusement, elle semblait toujours à son aise au plafond et ne semblait guère avoir envie de descendre. Pour l’instant, elle bougeait à peine, ses intentions n’avaient pas l’air foncièrement hostiles. Ce qui n’empêcha pas de nombreux Ggs vêtus de gilet de métal de sortir de petites arbalètes (la milice, vous l’aurez compris. Enfin j’espère pour vous) et de les pointer vers la chose. Sur un signe d’un gradé, ils décochèrent tous en même temps. Les arbalètes émirent une violente détonation qui fit sursauter l’unique Ff du coin.
   Alors que le plafond devait être bien 80 mètres au-dessus, les carreaux n’eurent aucun problème à l’atteindre. Par contre, très peu de carreaux touchèrent leur cible. Et quand bien même auraient-ils tous touché que cela n’aurait rien changé. La carapace métallique ne fut même pas éraflée. Aussi pourrait-on se demander ce qui fâcha la chose, car elle contre-attaqua méchamment. Pas avec des carreaux boostés à l’explosif, mais aux rayons lasers. Ouais, comme dans Star Wars ! Trop cool, hein ?
   Mais tout d’abord, les rayons lasers, ça ne fait pas piou-piou. Tout simplement parce que ça ne fait aucun bruit. Par contre, la roche qui se les bouffe a tendance à siffler et à grésiller de préoccupante façon. Deuxièmement, on ne les voit même pas, ces saloperies. On repère facilement les points d’impact, mais les rayons en eux-mêmes sont parfaitement invisibles. Toujours est-il qu’aux premiers éclats de roche, la rue se vida à une vitesse éclair, surtout du coté des Ffs accros au plum. Espérant être à l’abri, collé à une maison qu’il espérait solide, Fant aperçu l’araignée métallique qui entamait une descente vers les parois de la grotte. Il semblait qu’elle voulait repartir vers le tunnel par lequel elle était arrivée. Elle fumait par endroits et le bout de ses deux canons étaient rouges, ce qui se voyait d’autant mieux que ça éclairait pas mal. Apparemment, ses lasers chauffaient beaucoup et étaient devenus inutilisables pour un moment. Il était fort possible qu’elle revienne plus tard, une fois les canons refroidis. D’ici-là, il fallait impérativement avoir quitté la ville.

   Pas loin de là, le bourgmestre Gondul expliquait à Mela qu’il était urgent d’arrêter le monstre avant qu’il ne transmette la position de la ville. Tout ce qu’elle comprit, c’est qu’il fallait détruire la chose très vite.
   - Nous avons des armes adaptées, mais il faut d’abord réussir à l’amener au sol.
   - Ne peut-on pas attendre qu’il rentre dans le tunnel ?
   - Surtout pas. A l’intérieur du tunnel, il n’aura qu’une direction à surveiller. Il a d’autres systèmes d’armement qui tuera immédiatement quiconque pénétrera dans le tunnel à sa suite.
    Pour information : un système de lames déployables à l’arrière qui se détachaient pour parcourir quelques mètres. Ce que Gondul ignorait, c’est qu’il n’y avait que deux lames. Donc une fois deux suicidaires massacrés, on pouvait facilement aller achever le monstre.
   Les Ggs étaient très travailleurs. C’était probablement leur qualité première. Mais dès qu’il s’agissait d’aller détacher du plafond une araignée métallique armée, on sentait quelques hésitations. Pour sa part, Mela ne prit même pas la peine de réfléchir et couru vers l’entrée du tunnel pour l’atteindre avant l’ennemi. Une fois là, elle entreprit d’escalader la paroi, comme pour aller à la rencontre du monstre. Fant la vit au loin et, alors que tous les Ggs s’extasiaient de son courage, il se dit qu’il devrait bientôt continuer sa route en solitaire. Pour une maki, l’escalade se révéla extrêmement aisée et Mela se retrouva bientôt debout sur un énorme affleurement rocheux, vertigineusement loin du sol. Continuant sa route sans la remarquer, ou tout du moins sans faire attention à elle, le monstre mécanique passa à dix mètres de là en direction du sol. La femelle maki prit quelques pas d’élans et bondit vers le monstre tel Michael Jordan sautant vers le panier dans Space Jam (chacun ses références). Elle se plaqua contre le dos de la bestiole et lâcha ses pieds pour rester suspendue. Comme un Ff et ses accrocheurs, le monstre se détacha de la paroi et partit s’écraser vingt mètres plus bas. Le détail que Mela n’avait pas pris en compte, c’est que quand il y a un sol de roche dure seulement vingt mètres en dessous, on a moins de temps pour prendre appui sur sa proie et se catapulter ailleurs. De fait, la maki se retrouva très précisément sous la machine lorsque celle-ci percuta le sol.

6) IMπ

   Loin de là, Fant rentra la tête dans les épaules en étouffant un petit « ouille ! ». Tout autour de lui, des Ggs se ruèrent vers le lieu de l’impact. L’un d’eux portait une espèce d’énorme sac à dos rectangulaire. Un long câble en sortait et rejoignait un bâtiment en périphérie de la ville. Dans les mains du Gg, une sorte de fusil était relié à son sac. L’ensemble donnait une vague impression de Ghostbuster en version nain bleu. Les autres gardes se placèrent autour de lui, comme pour l’escorter. Sentant qu’il devait s’agir d’une arme, notre héros froussard en déduisit que la bestiole n’allait pas tarder à passer de vie à trépas et donc que le danger était suffisamment restreint pour pouvoir innocemment satisfaire sa curiosité.

   La bestiole en question était tombée sur le dos et battait frénétiquement l’air de ses six pattes. Les Ggs évitèrent soigneusement de s’approcher de son derrière d’où les dangereuses lames n’attendaient qu’un abruti pour sortir avec fracas. Le Gg tueur de machine s’approcha alors que les gardes dispersaient la foule pour lui faire de la place. Soudainement, le monstre se souleva, dispersant la foule beaucoup plus efficacement que tous les gardes réunis. Néanmoins, la cause de ce mouvement ne se révéla pas être une fonctionnalité inconnue de la chose, mais Mela elle-même qui se releva en tenant la machine à bout de bras au-dessus de sa tête. Tous furent grandement impressionnés par la force colossale que requérait un tel exploit.
   Fant, arrivé peu après la milice, ne put s’empêcher de demander :
   - Comment tu fais ça ?
   Ne semblant pas fournir d’efforts particuliers, la maki tout aussi impressionnée lui répondit :
   - Je n’en sais rien du tout. Il est vachement léger. En fait, non, c’est comme s’il essayait de retourner au plafond. C’est mon poids qui nous maintient au sol. Je ne me suis jamais senti aussi légère !
   Comprenant qu’il n’y avait aucun danger, une des gardes s’avança :
   - Pardon, Mademoiselle, mais nous risquons de vous blesser si vous restez là. Ne pourriez-vous pas poser ce monstre pendant que mon collègue se charge de le finir ?
   Derrière elle, le « Spider-buster » (TM) montra son fusil avec un petit sourire pendant qu’un autre garde actionnait un levier sur l’étrange sac à dos. Ceci alluma plusieurs petites lumières fort cool tout le long du fusil.
   - Je suis désolée, si je le lâche, il va retourner au plafond. Je ne sais pas comment ça se fait, on dirait qu’il est attiré vers le haut. C’est apparemment ce qui a amorti ma chute.
   - Ah oui, zut, c’est vrai.
   Puis, se tournant vers le « Spider-buster » :
   - Bon, Gat, vise bien haut surtout.
   Répondant d’un bref hochement de tête, le dénommé Gat pointa son fusil à lumières clignotantes et appuya sur la détente. Mela eut l’impression de se prendre un mur lancé à pleine vitesse en pleine poire. Elle tomba à la renverse pendant que l’araignée remontait s’écraser au plafond. Fant aida son amie à se relever et ne put s’empêcher de ricaner en constatant que chaque poil de son corps était dressé, la faisant paraître deux fois plus larges que d’habitude et lui donnant un superbe look d’ours en peluche. Pendant ce temps, la milice de la ville constata avec soulagement que la boule de métal accrochée au plafond crachait des étincelles par tous les orifices et fumait abondamment. Constatant les dégâts et laissant Mela se relisser le poil, Fant demanda ce qu’il s’était passé, étant donné qu'il n’avait rien vu sortir du fusil.
   - On appelle ça affectueusement un fusil à onde de choc IMπ. Ca crame tout ce qui utilise des circuits électriques. Le seul problème, c’est que c’est encombrant et qu’il faut qu’il reste branché sur le secteur. Ca empêche de l’utiliser trop loin de la ville.
   - IMpi ?
   - Non, IMπ. C’est un caractère spécial.
   - Ah…
   - Ca veut dire Igniteur Méta Pi. On a trouvé que ça claquait. Le mec qui l’a inventé voulait qu’on parle d’impulsion électromagnétique, mais ça perdait tout son charme.
   - Si vous le dites…
   Et après avoir récupéré Mela, dont les neurones ne s’étaient pas encore correctement remis en place, Fant retourna vers la mairie en compagnie du bourgmestre qui décida de lui expliquer davantage comment fonctionnait la société des Ggs.

7) F

   Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas fait un long exposé bien chiant sur une quelconque race et sa manière de vivre. N’attendez plus, lisez les lignes qui suivent si ça vous manquait. Si ça ne vous manquait pas, dommage pour vous. Au moins n’aurais-je pas à m’attarder sur l’apparence physique des Ggs, nous avons déjà pu les observer à loisir. Nous nous attacherons donc d’avantage à leur façon de vivre.
   Ces êtres petits de taille, mais autrement plus musclés qu’un Ff, vivaient dans la terre, ou plutôt dans des réseaux de grottes reliés entre elles par des tunnels taillés au fil du temps. Probablement un jour, quelques Ffs pas tout à fait comme les autres étaient arrivés dans ces sous-sol, si je puis dire, et avaient décidé d’y vivre. L’évolution naturelle avait fait le reste. La différence la plus marquante entre un Gg et un Ff était, bien avant le physique, la volonté féroce du Gg et son acharnement au travail. Ce peuple avait ainsi réussi à créer de nombreuses villes (de la ville G-00 à la ville G-47) qui s’étendaient sur une très vaste portion du monde. Les villes G-48, G-49 et G-50 étaient déjà en cours de construction et un projet de ville G-51 était à l’étude. Quasiment tout dépendait en majeure partie de l’électricité. Je ne vais pas vous expliquer ce que c’est que l’électricité, si vous ne savez pas, retournez en cinquième. L’unique source de cette électricité se trouvait à plusieurs centaines de mètres au dessus des villes.
   En fait, la véritable source était de nombreux kilomètres plus haut, mais les Ggs n’avaient ni le besoin, ni le matériel pour aller si haut. Effectivement, quand on creusait suffisamment loin, on atteignait une zone où la température augmentait de façon significative et à force de monter, la roche finissait même par rougeoyer. Les Ggs installaient donc dans leurs villes d’énormes échafaudages qui disparaissaient dans le plafond des grottes. Là, les Ggs perçaient la roche jusqu’à arriver assez haut pour installer des convertisseurs spécialement étudiés qui transformaient la chaleur en courant électrique. Un énorme réseau de câbles fréquemment entretenus relayait cette électricité dans toute la ville et dans les tunnels et cavernes environnants. Bien qu’un seul puit vertical soit suffisant pour alimenter toute une ville, il était fréquent qu’au moins deux tours soient opérationnelles.
   Dans la ville G-15 où se trouvaient alors nos héros, seule une tour fonctionnait, mais les ouvriers travaillaient activement à remettre la deuxième en marche. Et si vous avez fait attention à la description de la ville, vous aurez noté qu’une troisième tour était en construction. Il faut dire qu’aussi bien entretenues qu’elles soient, ces gigantesques tours pouvaient toujours connaître un problème quelconque. Dans l’histoire de la ville G-15, une vingtaine de tours s’étaient déjà écroulées depuis sa fondation, ce qui remontait à si loin que le nombre vingt était en fait incroyablement petit. Une coupure de courant étant une catastrophe absolue, les règles de sécurité et les plans de rechange existaient en très grand nombre. De fait, plus personne ne se souvenait de la dernière coupure survenue dans une ville Gg.

   C’est bien gentil tout ça, mais et la bouffe ? Bah oui, faut bien qu’ils mangent, tous ces travailleurs. Ne vous en faites pas pour eux, ils mangeaient à leur faim. Le principal composant de leur alimentation était le champignon. Dans chaque ville, plusieurs bâtiments assuraient un ravitaillement constant en champignons, grâce à un merveilleux système d’agriculture en intérieur. Les pousses étaient plantées dans du bon terreau et un ingénieux système d’irrigation alimentait tout ça en eau. A ce propos, on ne manquait jamais d’eau dans une ville Gg. De nombreuses rivières souterraines étaient détournées par un complexe réseau de tuyauteries et tout le monde avait au moins un robinet par foyer. Toutes ces sources d’énergie et de nourriture, tous ces câbles, tuyauteries et méthodes de communication avaient engendré une forte quantité de travail à fournir. On trouvait donc chez les Ggs des artisans et des ouvriers dont la seule paye était le droit à une maison, à l’électricité, à l’eau courante et à des portions de nourriture. Les enfants étaient envoyés dans des écoles où ils apprenaient à lire et à écrire, où on leur enseignait l’histoire Gg et ses valeurs morales et où des professeurs spécialisés tentaient de déterminer le meilleur métier futur pour chaque enfant. Après quoi, ceux-ci commençaient leur apprentissage. Il n’y avait pas besoin de police ou de système de punition, tant la citoyenneté était ancrée dans les gènes des Ggs. Par contre, il existait une milice qui servait à lutter contre les menaces extérieures et à protéger les travailleurs qui devaient s’éloigner de la ville, pour effectuer une maintenance par exemple. C’était également la milice qui s’occupait des excursions à l’air libre.

   Nous arrivons donc enfin à l’exploitation extérieure. Ben oui, les grottes, c’est bien beau, mais on n’y trouve pas tout. La principale ressource récupérée sous la surface était le bois, pour les meubles, les échafaudages et autres ; mais la milice ramenait parfois aussi de la viande, ce qui changeait agréablement des champignons.

   Pour ces petites excursions à l’extérieur, la milice utilisait l’apogée de la technologie Gg : l’Explorateur. La ville G-15 comptait en réalité une petite centaine d’Explorateurs, tous fonctionnels. Cette machine faisait deux fois la taille de Fant et était particulièrement trapue. Imaginez un œuf couché (un très gros œuf). Imaginez maintenant que cet œuf possède deux grosses pattes sur le côté, chacune en forme de demi-œuf. Vous avez maintenant une vague idée de la forme de l’Explorateur.

   Gondul expliquait fièrement le fonctionnement des machines, alors que Fant écoutait d’une oreille distraite, ne pensant qu’à foutre le camp, et que Mela était passionnée et le bombardait de questions. Se rendant compte qu’il ne risquait pas de pouvoir partir avant un bon moment, Fant s’arrêta devant un Explorateur qu’il observa d’un peu plus près. La quasi totalité de la chose était peinte en rouge, mais les rivets, le bord des pattes et l’hémisphère de l’ « œuf » central étaient peints en jaune. La partie supérieure avant était en verre transparent, pour permettre au pilote de voir où il allait.
   Car oui, l’Explorateur est un mécha. Avec un nom pareil, n'était-ce pas évident ?
   Le Ff se demanda brièvement comment un truc aussi lourd pouvait se déplacer, mais après tous les trucs magiques qu’il avait vu en ville, ça ne l’étonnait plus vraiment. Par contre, il n’arrivait toujours pas à se faire à l’idée que la chose marchait au plafond.
   Eh oui, les pattes sont vers le haut, pas vers le bas. Je vous ai bien eu, hein ?
   Le bourgmestre avait vaguement expliqué que tous les objets en métal étaient attirés vers le haut (une histoire de champ magnétique à laquelle Fant n’avait rien compris), le fait que tous les objets ne tombent pas dans la même direction troublait terriblement le Ff. Du plum aurait été bienvenu…

   De son côté, Gondul continuait à expliquer à Mela les techniques employées par les Explorateurs pour récolter le bois. En gros, les pattes et le corps étaient détachables. Alors que les pattes restaient fixées au sol, l’habitacle relâchait une grosse barre métallique. Le poids était alors plus fort que l’attraction magnétique et la machine descendait doucement, suspendue aux pattes par des câbles. Dans cette position, l’Explorateur ne pouvait plus se déplacer, mais trois ou quatre d’entres eux pouvaient alors déployer un large filet en plein ciel. Il ne restait plus aux autres Explorateurs qu’à couper du bois grâce à une scie circulaire placée à l’horizontale sous le ventre de l’appareil, ou à tuer du gibier grâce à des carreaux propulsés par poudre explosive, comme pour les arbalètes Ggs. Les récoltes tombaient alors dans les filets déployés sous la cime des arbres. L’un des Explorateurs récupérait le filet et son contenu, remontait en se hissant aux câbles par un moteur, récupérait sa grosse barre de fer pour être de nouveau attiré vers les hauteurs et rentrait à la ville.
   - C’est tout bonnement incroyable ! déclara Mela. Jamais je n’aurai pu imaginer qu’on puisse faire bouger quelque chose d’aussi gros.
   - Et encore, vous verriez l’usine qui les fabrique…
   - Et pour l’électricité, ils sont reliés à la ville ?
   - Ils l’étaient autrefois, mais depuis nous avons trouvé une méthode pour stocker l’électricité. C’est assez limité et le temps de chargement est affreusement long, mais c’est beaucoup plus pratique que de se traîner un câble.
   Un peu lassé de ces explications, Fant décida de ramener le sujet sur quelque chose qui l’inquiétait d’avantage :
   - Et cette grosse bestiole métallique, c’était quoi ? Vous en avez souvent des trucs pareils dans le coin ?
   - Non, pas du tout, le rassura le bourgmestre. A vrai dire, c’était la première fois qu’une telle chose nous attaquait, mais nous avions été prévenus par la ville G-13. Ils semblent avoir déjà eu quelques problèmes avec ces choses.
   - Qu’est-ce que c’est ? demanda Mela, inquiète.
   - Eh bien, les Explorateurs de la ville G-13 en ont croisé un certain nombre à la surface. A chaque fois, ils les trouvent en boule dans un cratère, puis elles s’activent quelque temps plus tard. Dès les premières attaques, ils ont mis au courant toutes les autres villes du coin. En étudiant les restes, leurs ingénieurs ont pu déterminer qu’il s’agissait d’éclaireurs. Ils sont programmés pour repérer tout centre d’activité important et d’en transmettre la localisation à leur base de lancement. Des recherches à la surface ont permis de découvrir que ces araignées étaient envoyées depuis un mystérieux dôme metallique dans la jungle. Il n’existait pas il y a encore un memp. Nous ignorons qui y vit ou pourquoi on l’a construit, mais ces araignées éclaireuses sont régulièrement projetées un peu partout par un gigantesque canon rotatif. Comme elles sont en métal, elles remontent vers le sol. Nous pensions être à l’abri, mais il semblerait que l’une d’entre elle se soit enfoncé dans une de nos galeries. C’est inquiétant. Probablement l’avez-vous activée en arrivant ici.
   - Euh…
   Fant recula involontairement d’un pas. D’un coup d’œil, il estima le temps qu’il lui faudrait pour atteindre une sortie si le bourgmestre décidait tout à coup de se venger. Mela préféra s’excuser :
   - Nous sommes désolés. Nous ignorions tout de votre existence et de ces créatures.
   - Allons, ce n’est rien. Vous ne pouviez pas savoir. Et puis l’un de nos techniciens aurait fini par l’activer en allant s’occuper de la maintenance. Et nous avons eu de la chance, il n’y a eu ni mort, ni blessé. Je vous remercie encore pour votre intervention, jeune demoiselle. La question importante, c’est l’avons-nous détruite avant qu’elle n’ait le temps de transmettre notre position…

   A plusieurs kilomètres de là, à l’intérieur du dôme mystérieux, un Ff se tenait en tailleur devant ce qui ressemblait à un échiquier. Réfléchissant, il mâchonnait un vieux crayon de bois. Autour de lui, des tas de consoles compliquées avec des boutons partout et des lumières clignotantes mettaient une ambiance sympathique dans la pièce. Alors qu’il était sur le point de découvrir comment assurer la partie en quatre coups, un interphone s’alluma :
   - Commandant ?
   Relevant la tête, le Ff cracha son crayon et entreprit distraitement de se curer l’oreille droite avec le pied.
   - Moui ?
   - L’un de nos spider-scout (*) vient de nous transmettre la position d’une ville Gg. J’envoie les données sur votre ordinateur.
   - Enfin !
   Heureux de cette interruption dans sa routine, le commandant posa ses mains devant lui et entreprit sans effort de se mettre en position de poirier. De là, il se laissa tomber en avant et réatterrit les pieds sur un fauteuil. Se remettant en tailleur sur la chaise, il pianota à toute allure sur son clavier pendant que son pied gauche recommençait à lui curer l’oreille. Comme tous les Ffs, celui-ci portait le pagne. Pour avoir l’air cool, il se faisait appeler F par ses troupes. Ce en quoi, il avait assez raison : Founi n’était pas un nom très charismatique.
   Ses cheveux étaient aussi noirs que ceux de ses compatriotes, mais ses yeux d’un violet améthyste étaient une rareté chez les Ffs. Ou plutôt, non, c’est aussi rare que n’importe quelle autre couleur, mais ça fait toujours bien de dire que le grand mauvais a un détail physique un peu anormal.
   Sur son écran apparut une carte de la région. Un point rouge clignotant y afficha l’emplacement de la ville G-15. F ne put s’empêcher de laisser un sourire béat lui traverser le visage. Depuis le temps qu’il envoyait des spider-scout un peu partout et qu’ils se faisaient démolir les uns après les autres sans avoir l’opportunité de transmettre quoi que ce soit, il était temps que l’un d’eux se révèle utile. Le Ff soupçonnait qu’une ville se trouvait toute proche, mais aucun éclaireur n’avait été assez rapide. C’est pourquoi F avait décidé de les envoyer plus loin, espérant tomber sur une autre ville non prévenue. Apparemment, le stratagème avait marché. Quelques pianotages de plus et tous les pilotes de la base recevaient l’ordre de se mettre sur le pied de guerre. F retira son pied de son oreille et se frotta les mains : une nouvelle ville à coloniser !

8) Préparations

   Ca ne faisait pas deux heures que l’araignée métallique avait été détruite que la ville G-15 recevait un message alarmant de la part de la ville G-13. Leurs espions surveillaient constamment le dôme à distance raisonnable et ils venaient de surprendre une armée de vingt araignées géantes qui en étaient sorti avec l’intention évidente de se diriger vers la ville G-15 et sûrement pas pour de simples salutations amicales.
   Quand le bourgmestre apprit la nouvelle, Fant était en train de se promener en Explorateur dans le hangar. Il avait un peu rechigné quand Gondul lui avait proposé de s’essayer aux commandes, mais il s’amusait maintenant comme un petit fou et mourrait d’envie de l’essayer en extérieur. Certes, il était complètement à l’étroit dans l’habitacle prévu pour un Gg et il avait pas mal galéré au début avec les commandes, mais finalement, celles-ci s’étaient révélées fort simplistes : vitesse constante et il suffit de lâcher le levier pour s’arrêter. Gondul s’était attendu à voir Fant sortir livide après avoir parcouru trois mètres, mais il avait été très étonné de constater que le Ff se débrouillait très bien.
   Bah oui, si le héros ne sait pas conduire les méchas, ça ne sert à rien de mettre des méchas dans l’histoire !
   Mela avait aussi été invitée à en essayer un, mais sa carcasse refusait de tenir dans le siège, ça débordait de partout. En plus, elle avait l’impression de manquer d’air dès qu’on essayait de fermer le cockpit. Enfin bref, Mela ne pilotera pas de mécha par la suite.

   Tout ça pour dire que comme par hasard, Fant se trouvait dans un Explorateur en train de faire le pitre quand le bourgmestre reçut la nouvelle de l’attaque imminente. Il n’en fallut pas plus pour qu’une trentaine de Ggs de la milice déboulent dans des harnachements spéciaux et se précipitent aux commandes de leurs Explorateurs respectifs. Mela se demandait où se mettre pour ne pas gêner quand la machine de Fant approcha. Un mécanicien Gg ouvrit aimablement le cockpit et laissa le Ff se pencher vers Gondul :
   - Il se passe quoi, là ?
   - C’est terrible ! Apparemment, l’araignée a eu le temps de transmettre notre position. Une vingtaine d’autres se dirige actuellement par ici. Il faut absolument les arrêter avant qu’ils arrivent à rentrer dans le sol.
   - A rentrer dans le sol ?
   - Oui, les éclaireurs étudiés par la ville G-13 étaient équipés de vrille sous le ventre. Ils peuvent creuser à la verticale et ainsi débarquer directement dans la ville. C’est pour ça qu’ils envoient des éclaireurs pour connaître la position exacte.
   - OK… Juste pour savoir, ils sont combien ?
   - Vingt. Et nous sommes trente. Mais nos Explorateurs ne sont absolument pas prévus pour le combat. Nos tubes à fléchettes ne pénétreront pas leurs coques. Il ne nous reste que les scies circulaires. Vous êtes étrangers à cette ville, ceci ne vous concerne pas. Vous devriez partir avant que ça chauffe trop.
   Fant réfléchit quelques secondes, ce qui lui arrivait de plus en plus souvent dernièrement. Mela ne se fit aucune illusion sur ce qu’allait être la réponse, mais après avoir combattu l’araignée et vu la faible vitesse des Explorateurs, elle avait de gros doutes sur les chances de succès des Ggs. Elle avait bien quelques remords, mais partir était sans doute plus sage.
   Fant finit par dire :
   - Je reste pour vous aider !
   - Oui, moi aussi, je pense que je vais partir et… Quoi ?
   - J’ai dit que je restais pour me battre. La ville n’aura que trop besoin d’un pilote supplémentaire.
   Quel retournement de situation, hein !
   La maki en resta comme deux ronds de flan. Apparemment, elle avait mal jugé ce mâle Ff. En y repensant, c’est vrai qu’il avait quand même abandonné son village pour ne pas avoir à participer au massacre de la tribu de Mela. Ce jeune Ff poltron était donc capable d’un grand courage quand ses valeurs morales étaient en cause. Elle en eut presque les larmes aux yeux (presque, faut pas pousser non plus). Elle décida de se reprendre.
   - Je resterait pour combattre à vos cotés, moi aussi ! Après tout, c’est nous qui avons réveillé ce monstre. Il est normal de vous assister, surtout après votre chaleureuse hospitalité.
   Gondul en fut profondément ému.
   - Merci, mes amis. Je constate que je ne m’étais pas trompé à votre sujet. Vous êtes de valeureux héros.
   Fant ne parvint pas à garder son masque sérieux en entendant ça et un court instant, son sourcil droit cilla. Il se reprit très vite et laissa le bourgmestre continuer.
   - Malheureusement, je doute que votre aide ne change grand chose au destin de la ville G-15…
   Alors ça c’est du suspens, non ?

   La formidable armée d’Explorateurs coupeurs d’arbres se rassembla sur une partie du plafond délimitée par un carré rose.
   Oui, J'ai trouvé que ça changeait des rayures noires et jaunes.
   Mela s’était perché sur le cockpit de Fant et se préparait à retrouver le grand air. C’est alors qu’en dessous des trente et un méchas, le sol s’ouvrit pour dévoiler un magnifique ciel orangé. Fant se demanda un instant comment il allait réussir à passer par ce trou alors que son engin restait obstinément collé au plafond, mais il s’aperçut que le plafond lui-même, du moins la partie délimitée par les bandes roses, descendait pour combler le trou nouvellement formé. Relevant les yeux, il aperçut le bourgmestre qui agitait les mains en un geste encourageant au milieu des lumières rouges clignotantes. Ces lumières ne servaient d'ailleurs à rien, mais ça faisait cool.
   Puis le hangar disparut pour être remplacé par l’extérieur. Il n’y avait pas à dire, c’était plus sympa que ces horribles cavernes, même en étant coincé dans un gros bidule de métal prévu pour une demi-portion. Restait le problème qu’une armée de vingt araignées métalliques sur-armées se dirigeait vers la zone avec l’intention évidente de tout flinguer. Problème pas si gênant que ça. Quand Gondul en avait parlé, la première pensée de Fant avait été qu’il fallait impérativement foutre le camp au plus vite. Là où cette option merdait, c’est qu’il serait très difficile de fuir des machines collées au sol en étant soi-même obligé de se trimballer des accrocheurs. Après tout, peut-être l’éclaireur avait-il relayé à sa base la présence d’un Ff et d’une maki dans le village. En ce qui concernait la maki, elle avait l’intention de se battre, donc les araignées la trouveraient bien assez tôt. Mais l’armée continuerait peut-être à tout ravager sur son passage jusqu’à ce qu’elle ait aussi trouvé le Ff. Quoi qu’il en soit, il serait beaucoup plus rapide et beaucoup moins fatiguant pour Fant de fuir en Explorateur qu’en accrocheurs.
   Voilà le raisonnement que s’était tenu notre héros quand Gondul lui avait conseillé de fuir. Sachant que le bourgmestre, aussi gentil qu’il en ait l’air, ne lui aurait jamais prêté d’Explorateur, la solution du moment avait été de lui faire croire que Fant voulait aider. Cette solution avait l’avantage d’impressionner Mela qui avait un peu trop pris l’habitude de lui voler la vedette dernièrement. Notre pilote aguerri attendit patiemment que Madame daigne descendre de son Explorateur pour sauter sur une branche, puis courageusement, il fit faire un quart de tour à sa machine et se dirigea droit vers la jungle avec la ferme intention d’être le plus loin possible quand l’ennemi arriverait. Sur le coup, ça fit une certaine impression aux défenseurs restants…

9) L’habituel bourrinage final

   A quelques centaines de mètres de là, F lâcha ses accrocheurs magnétiques : version améliorée des accrocheurs classiques, utilisant une forme de magnétisme électrique pour tenir plus fermement au sol et avec une propulsion intégrée. Il atterrit souplement sur une branche basse et se redessa fièrement. Alors qu’à sa gauche, son armée avançait vers l’ennemi, il vit revenir les spider-spy envoyés dix minutes plus tôt.
   Peut-être le moment est-il venu de parler des spider-spy...

   Spider-spy : nom masculin qui claque à défaut d’être original, 1) petite créature métallique (qui colle au sol donc) ultra-rapide de deux centimètres de long envoyée en grand nombre avant une bataille importante. Le spider-spy repère les véhicules ennemis et se colle à eux, envoyant un message à très basse fréquence. Avec un outil adéquat, on peut repérer très précisément la position de chacun des spider-spy, et donc des ennemis. 2) se dit d’une personne insignifiante qui se croit importante. Ex : Ce mec ne sert à rien. C’est vraiment un spider-spy !

   Après cet intermède culturel, revenons à notre histoire. Donc F voyait revenir les spider-spy qu’il avait envoyés. Vous noterez qu'ici, c'est le premier sens du terme qui s'applique.
   Grâce à la célèbre formule « spider-spy envoyés – spider-spy de retour = nombre d’ennemis », il conclut très vite qu’il avait affaire à 30 machines adverses, ce qui fera comprendre au lecteur que Fant s’était cassé avant l’arrivée des spider-spy. Du gâteau pour ses vingt spider-warriors (dérivés du spider-scout plus gros et pilotés), surtout quand on connaissait l’unique tactique guerrière des Ggs : on attaque tous de front et en même temps. F sortit un écran portable de son sac à dos, l’alluma et le régla sur la fréquence des spider-spy. Cela lui permit de constater sans surprise que l’ennemi arrivait en bloc sans tenter la moindre stratégie potable. Atteint d'une certaine lassitude, il alluma son casque avec micro et parla à son unité :
   - Technique habituelle. Dix warriors de front, cinq par l’ouest, cinq par l’est. Vous attendez que la bataille ait commencé pour les prendre en tenaille.
   Le tacticien Ff poussa un soupir à fendre l’âme. A une époque lointaine, on racontait que l’Empire Métallique commençait toujours par négocier la reddition de la ville attaquée. On avait depuis découvert que c’était du temps perdu. Que l’ennemi accepte les termes ou pas, il était beaucoup plus rapide de raser l’armée ennemie avant d’imposer ses propres termes à la ville sans défense. Cet état de fait convenait fortement à F, mais selon lui, l’ennemi ne se montrait jamais à la hauteur de son génie militaire. Une fois de plus, il soupira en constatant que la bataille d’aujourd’hui serait aussi fade que d’habitude. C’est à ce moment là que le premier des spider-warrior pila net et que le cri du pilote retentit dans le casque de toute l’unité alors qu’il entamait une Chute vers la brasier.

   Pour comprendre ce qui venait d’arriver à l’infortuné pilote de spider-warrior, revenons quelques minutes plus tôt. Mela était toujours terriblement frustrée du sale tour que Fant venait de leur jouer en désertant. Les Ggs avaient un peu de mal à comprendre un tel comportement, mais Mela sentait confusément que si elle ne faisait pas montre d’héroïsme durant cette bataille, les conséquences de la trahison du Ff lui retomberaient violemment dessus. La frustration était d’autant plus intense qu’elle avait vraiment cru pendant un court moment qu’il était sincère. Voilà pourquoi, dès que le premier spider-warrior ennemi apparut et descendit en moins de deux un Explorateur (Ais-je signalé que les warriors étaient équipés de lasers ?), elle se rua de branches en branches pour se jeter sauvagement contre la carlingue de l’appareil. Elle fit alors deux constatations, pendant lesquelles trois autres spider-warriors firent leur apparition et que quatre Explorateurs explosaient sans avoir eu le temps d’arriver à portée de scie circulaire.
   Premièrement, ces bestioles étaient autrement plus grosses que celle qu’elle avait amenée au sol de la caverne quelques heures plus tôt. Deuxièmement, elle ne se souvenait pas avoir constaté un cockpit circulaire sur toute la face avant de la machine à l’intérieur duquel se trouvait un Ff. Le Ff en question essayait de se remettre de l’attaque cardiaque causée par l’apparition d’une maki enragée sur sa vitre avant.
   Ceci pouvait vouloir dire deux choses. Soit le concepteur de l’appareil avait des goûts artistiques particuliers et peignaient des Ffs pilotes de mécha sur ses appareils, soit il y avait effectivement quelqu’un à l’intérieur qui contrôlait la chose. Jetant son dévolu sur la deuxième possibilité, Mela agrippa fortement l’écoutille à la jonction entre la vitre et la carlingue de l’appareil et tira comme une folle. Le pilote eut droit au désagréable spectacle de sa vitre avant se faisant violemment arracher par une macaque en furie. Le spectacle qui suivit, à savoir le vide s’étendant à l’infini sous ses pieds, fut encore plus désagréable, d’où le hurlement cité plus haut.

   Balancer dans le vide un type ressemblant fortement à Fant n’avait pas été suffisant pour la calmer, aussi Mela sauta-t-elle de la machine inoccupée, réatterrit souplement sur une branche tel un prince de Perse et repartit directement sur la prochaine araignée métallique. Celles-ci étaient au nombre de dix et leurs lasers arrachaient le métal des Explorateurs comme de vulgaires feuilles de papier. Le seul avantage des Ggs était que la cadence de tir de l’ennemi était terriblement réduite pour empêcher les canons de chauffer. Néanmoins, aucun Exporateur n’arrivait assez près pour pouvoir se servir de sa scie. Quelques-uns essayaient les fléchettes, mais l’effet était aussi inutile qu’un dard de moustique sur une coquille d’escargot. C’est alors que les autres spider-warriors, ceux qui avaient contourné, arrivèrent sur les flancs en bourrinant dans le tas. Les Explorateurs restants commencèrent à tourner sur place pour faire face à ces nouveaux ennemis, restant sans défense face à la première vague. La maki comprit alors que même si elle arrivait à détruire chaque ennemi, ce qui était hautement improbable de par leur nombre, tous les Ggs présents allaient mourir.

   Sur son écran tactique qu’il observait assis en tailleur sur une branche pas trop loin, mais pas trop près non plus, F constata que plusieurs de ses spider-warriors arrêtaient tout simplement de bouger et que leurs pilotes ne répondaient plus (les casques ont une portée très limitée). Les points lumineux les représentants apparaissaient toujours clairement sur l’écran, mais ils ne bougeaient ni ne tiraient plus.
   - Mais qu’est-ce qu’il se passe, bon sang ?
   - Je n’en sais rien, commandant. Je ne vois rien et les Ggs n’ont pas l’air d’utiliser une quelconque arme qui nous serait inconnue.
   Machinalement, le pied gauche de F revint curer son oreille droite. Il devait y avoir une explication logique.
   - Commandant ! Je le vois ! C’est… C’est un maké ! Il… Non ! Nooooooon !
   F changea la fréquence pour ne pas être indisposé par les cris du pilote qui découvrait les joies du saut à l’élastique sans élastique. Un maké… Se pourrait-il que les Ggs aient dressé des makés pour le combat ? A moins que…
   - Aaaaah !
   - Oh, bouclez-la quand vous tombez !
   Changeant légèrement de position pour soulager un muscle mal placé, F ouvrit la fréquence vers Minert, son seul pilote maki :
   - Minert, dis voir, tu t’y prendrais comment pour arrêter un spider-warrior si tu étais à pied ?
   - Moi ? Ben, j’utiliserai un pistolaser. Je viserai le réservoir et…
   - Oui oui oui, mais si tu n’avais pas de pistolaser ?
   - Quelle idée de sortir sans pistolaser…
   - Bon, tu ne comprends pas ma question. Que ferait quelqu’un de ton peuple non citoyen de l’Empire s’il devait aider les Ggs actuellement ?
   - Hein ? Et bien s’il n’est pas trop bête, il sauterait sur une machine et arracherait la verrière. C’est le gros point faible de ces… Oh merde ! Non, barre-toi, non ! Aaaaaaaaah !
   F laissa Minert à sa Chute et réfléchit. Un maki qui aide les Ggs… Et capable de s’en prendre à l’un des siens par-dessus le marché. Voilà qui était particulièrement inattendu. Et surtout, ça ajoutait du piment à cette petite sauterie. Les spider-warriors n’étaient absolument pas fait pour combattre des makis. Pour conquérir leurs villages, on utilisait la bonne vieille méthode des fantassins armés de pisto-lasers. Ou si on n’avait pas envie de se casser la tête, on bombardait allègrement (comment bombarde-t-on à l’envers ? Vous verrez dans un autre épisode, pas maintenant), vu que les makis ont souvent tendance à se battre jusqu’au dernier, d’où leur rareté dans l’Empire Métallique.
   Pour l’instant, le commandant F n’avait pas de bombardier sous la main et tous ses hommes étaient à bord de leur spider-warrior. Restait donc une seule personne à pied. Se frottant les mains, il se releva et entreprit d’escalader l’arbre jusqu’à ses accrocheurs magnétiques. Décidément, cette bataille se révélait beaucoup plus intéressante que prévu. En fait, elle allait même se révéler beaucoup trop intéressante, mais comme le Ff avait rangé son écran portable dans son sac à dos, il ne vit pas qu’un point allié venait de s’éteindre, suivi d’un autre peu de temps après.

10) La fin de l’épisode
(vous constaterez que le titre du dernier chapitre est souvent un peu moins original)

   Mela s’apprêtait à jeter un Gg dans le vide, car oui, il y avait même des Ggs dans les spider-warriors, quand elle se rendit compte que la dernière explosion avait concerné un engin ennemi. Hésitante, elle porta son regard vers la vague de cinq appareils qui étaient arrivés sur l’un des flancs et constata qu’un nouvel Explorateur s’en prenait à un adversaire en le tronçonnant par derrière. Le pilote du spider-warrior ne comprit ce qu’il se passait que lorsque son moteur prit feu. Les envahisseurs virent bien que leurs amis se faisaient détruire, mais le nouvel appareil n’apparaissait pas sur leurs écrans faute de spider-spy accroché dessus. La troisième victime ne pensa donc pas que la menace venait de derrière et finit comme les deux précédents.
   A cette vue, Mela crut qu’elle allait pleurer de joie. Fant était revenu !
   Comment ça vous vous en doutiez ? Dites tout de suite que mes histoires sont prévisibles !
   Il était en train d’attaquer l’ennemi à revers et comme il n’était pas marqué par un quelconque spider-spy, il était quasimment invisible à l’ennemi. Grâce à lui, ils avaient une chance de survivre. Le Ff réussirait sûrement à détruire les adversaires de son coté, aussi la maki se concentra-t-elle sur le restant de la première vague. Sur l’autre flanc, trois Explorateurs Ggs venaient de détruire un spider-warrior. Le nombre décroissant d’ennemi avait permis à l’un d’eux d’approcher suffisamment près. Enfin, sur les trois, deux étaient réduits à l’état de débris métalliques fumants, pendant que quelques débris moins métalliques tombaient.
   - Euh, excusez-moi…
   - Hein ?
   Mela se rappela qu’elle tenait toujours le pilote Gg au dessus du vide.
   - Oh, pardon.
   La jeune maki lâcha précipitamment sa victime et se remit à l’œuvre avec des forces renouvelées. Ce fut pendant qu’elle s’occupait de son huitième spider-warrior de la journée que le commandant F se laissa tomber sur une branche et la mit en joue avec son pistolaser. Il revint sur son idée initiale qui était de la tuer sans sommation après qu’une fléchette soit passée à deux mètres de lui avec un bruit rappelant le moustique sous acide. Alors que tous les Explorateurs Gg se battaient avec les spider-warrior restants, un dernier Explorateur se tenait à quelques mètres de lui, un de ses canons fumant. F tendit son pisto-laser vers lui, mais la femelle maki (c’était une femelle, il s’en rendait compte à présent) l’avait repéré et s’apprêtait à lui sauter dessus. F hésita et cela ne lui arrivait pas souvent. Son habileté au pisto-laser n’était plus à prouver et nul doute qu’il pouvait détruire cet Explorateur en un coup. Mais qu’il décide de tirer sur la maki ou sur la machine, l’autre le tuerait avant que son canon ait suffisamment refroidi.
   Pour information, les pistolasers demandent 40 secondes entre chaque tir malgré le mécanisme de refroidissement, ce qui les rend inefficaces face à plusieurs adversaires. Voilà pourquoi il se contenta de lever les mains et de lâcher son pistolet qui tomba au sol au dessus de lui. Apparemment, la maki s’était calmé. Essayant de deviner l’intention du pilote d’Explorateur, il discerna enfin sa silhouette. Un Ff ! Cet Explorateur était conduit par un Ff ! Mais bien sûr ! Aucun Gg n’aurait eu l’idée de s’éloigner du groupe pour éviter les spider-spy et revenir par derrière ensuite. Réalisant tout ça, il laissa échapper à haute voix :
   - Oui, très intéressante…
   Il leva un doigt vers Fant et fit semblant de lui tirer dessus, histoire de bien lui faire comprendre qu’ils se retrouveraient et qu’il avait bien l’intention de se venger. Ceci fait, F se retourna avec superbe et entreprit nonchalamment d’escalader l’arbre pour retrouver ses accrocheurs, puis nettement moins nonchalamment et beaucoup plus rapidement après que Fant l’ai raté de deux centimètres avec un autre tir.

   Finalement, quatre Ggs survécurent et les cinq spider-warrior restants prirent la tangente quand leur commandant leur donna l’ordre de retraite. Fant essaya de les poursuivre, mais fut semé avant qu’il ait pu parcourir trois mètres. Bien sûr leur retour fut triomphal, d’autant que les pilotes survivants racontèrent les exploits des deux héros du jour. On aida Fant à ouvrir son cockpit et Mela lui sauta au cou.
   - Je savais que tu n'étais pas un mercenaire !
   - Comment ça ? Tu en doutais ? Enfin, c’était pourtant évident que j’avais l'intention de les prendre par derrière. Allons, je ne vous aurai jamais abandonné comme ça ! Et d'ailleurs, je n'ai jamais dit que j'étais un mercenaire.
   - Tu aurais pu nous dire que c’est ce que tu voulais faire.
   - Mais je pensais que vous comprendriez. J’ai même été surpris que personne n’ait fait pareil pour l’autre flanc.
   - On pensait vraiment que tu désertais.
   Fant afficha une expression horrifiée.
   - Non ! Vous n’avez quand même pas pensé ça de moi ?
   - Je suis vraiment désolée d’avoir douté de toi. Dorénavant, je saurais qu’on peut te faire confiance.
   - C’est rien, c’est oublié.
   Ils se tournèrent tous deux vers Gondul qui venait les féliciter pour avoir sauvé la ville. Fant pris son air le plus héroïque possible. La véritable raison pour laquelle il avait fait demi-tour, bien entendu, c’est qu’il avait réalisé à mi-chemin qu’il n’arrivait pas à sortir de son Explorateur tout seul et qu’il n’y avait que les Ggs qui sauraient le sauver d’une lente agonie, privé d’eau et de nourriture dans cette saleté de cage marchante. Il faudrait leur demander comment on ouvre le cockpit la prochaine fois. Ca permettrait d’éviter d’avoir à prendre part à une éventuelle future bataille. En attendant, il était le héros du jour et nul doute qu’on le laisserait à nouveau piloter un mécha. Ce coup-ci, il n’y aurait pas de coup de théâtre.

   De retour au dôme, F s’isola dans ses quartiers. Il n’était pas vraiment en colère (F n’est jamais en colère, c’est anti-charisme), mais il n’était pas content non plus. Bon, la perte de quinze spider-warriors allait faire grincer des dents en haut lieu, mais la prise de cette ville Gg allait se révéler le premier vrai défi à sa taille. Non, cette défaite était presque une bonne chose. Ce qui lui déplaisait vraiment, c’est que cette saleté de Ff lui avait gâché sa sortie et mis à mal son légendaire charisme. Aucun de ses hommes n’avaient vu la scène, mais le Ff et la maki l’avaient vue et c’était deux personnes de trop. Il allait falloir leur régler leur compte dans les plus brefs délais. Sans y penser, F commença à se curer l’oreille avec le pied.



Alors ça y est ! L’intrigue est lancée !
Certains arrêteront dégoûtés,
mais d’autres mourront probablement d’envie de lire la suite : Le dôme






*Spider-scout : Oui, je sais, c'est de l'Anglais, mais je trouvais que ça claquait.