HISTOIRE DE L'EMPIRE METALLIQUE
épisode 4

Le dôme


1) L’Empire contre-attaque

   Vous arrivez en plein moment de triomphe ! La ville G-15 vient de tomber (très facilement d’ailleurs) aux mains de l’Empire Métallique. Un petit assaut rondement mené, près d’une centaine de spider-warriors utilisés et des spider-spy lâchés toutes les minutes pour éviter le sale tour de la dernière fois. Les Ggs n’étant pas très imaginatifs, ils avaient effectivement réessayé la méthode de Fant qui était de déguerpir avant le début du combat pour revenir en plein milieu, ceci évitant en théorie de se faire repérer par les spider-spy. La ville avait été prise en moins de deux. L’ennemi n’avait opposé que quatre Explorateurs, plus deux qui avaient tenté de prendre les assaillants à revers. La méthode consistant à lancer régulièrement des spider-spy avait fait des merveilles : les pilotes attendant en embuscade n’avaient même pas compris ce qu’il leur arrivait. F avait même prévu quelques fantassins armés de pisto-lasers, des fois qu’un ou deux makis se seraient amusés à aider les défenseurs. Les fantassins en question s’étaient contentés de taper le carton sur un arbre pas trop loin pendant que les Explorateurs se faisaient allumer un par un. Bataille rapide donc. Comme d’habitude, les soldats avaient pu apprécier les visages surpris, voire même un tantinet effrayés, des habitants de la ville lorsque les vrilles de leurs spider-warriors avaient atteint la caverne, défonçant deux-trois maisons au passage. Le reste avait été encore plus facile. Les Ggs ont cet avantage qu’ils se soumettent facilement une fois leur milice au tapis. Les issues de la grotte avaient été rapidement sécurisées et un petit ascenseur en kit avait été déployé dans un puit creusé par les araignées de combat de l’Empire.
   C’était sur cet ascenseur que F arrivait justement, un grand sourire aux lèvres. Pour l’occasion, et comme à chaque fois qu’il prenait une ville, il avait enfilé une grande cape rouge sur ses épaules. Il trouvait que ça lui donnait un air plus « impérial », d'autant qu'il est toujours bon d’épater les conquis. Mais il n’avait pas encore compris qu’avec un simple pagne en-dessous, ça faisait plutôt tenue de soirée pour Chez Michou. Tout autour de l’endroit, une ancienne maison transformée en place publique sous l’action des vrilles, des Ggs étaient rassemblés, essayant de deviner ce qui allait leur arriver. Un cordon de soldats impériaux (Ffs et Ggs) maintenait la foule à distance de leur chef et surveillait attentivement que personne n’essaye de s’en prendre à leur commandant. F savait qu’aucun Ggs ne s’y risquerait. Il suffisait de voir leurs visages pour comprendre qu’ils accepteraient leur défaite sans rechigner. C’était toute la différence avec un village maki…

   Se tenant droit comme un I, le Ff attendit patiemment que ses hommes aient déroulé un tapis rouge amené exprès pour l’occasion, puis il s’engagea à travers la rue jusqu’à deux de ses hommes (des Ffs) qui tenaient un jeune Gg entre eux. F le considéra un instant de haut puis demanda à un soldat :
   - C’est leur chef ?
   - Affirmatif. Il dit être le bourgmestre de ce taudis. Les autres l’appellent Gondul.
   - Gondul ? Par l’Empire, quel nom ridicule (rappelons pour la citation que le vrai nom de F est Founi).
   Puis, se tournant vers le pauvre Gg :
   - Est-ce vrai ? Vous dirigez bien cette ville ?
   Gondul hésita un peu à répondre, mais les Ffs qui le maintenaient n’avaient pas l’air très avenants et bien qu’habillé de la façon la plus grotesque qui soit, l’énergumène en face de lui semblait être du genre à prendre des décisions hâtives quand on l’énervait. Aussi Gondul n’attendit pas trop longtemps avant de répondre par l’affirmative.
   - Bien. Alors je t’informe que ce n’est dorénavant plus le cas. Ce secteur passe immédiatement sous le contrôle de l’Empire Métallique. Des soldats resteront pour s’assurer que vous obéissiez bien gentiment. En gros, assurez-vous de faire ce qu'on vous dit et tout ira bien pour tout le monde.
   - Euh… Excusez-moi, mais… C’est vous notre nouveau chef ?
   - Moi ? L’Imperator soit loué, bien sûr que non ! Je suis un militaire, moi. Dès demain, je retourne au city-dôme pour planifier l’attaque d’une autre cible. Vous, vous restez là et vous attendez l’équipe technique qui ne va plus tarder.
   - L’équipe technique ?
   - A vrai dire, tout ça ne me concerne pas vraiment, mais en gros, on va remodeler un peu le décor, histoire que l’extraction de fer soit plus facile et que l’acheminement se fasse sans histoire. Pour les travaux, vous serez sûrement sollicités et ceux qui se comporteront bien recevront plus vite leur citoyenneté. Ne faites pas cette tête. Les Ggs ont un peu de mal à accepter le changement, mais en général, ils s’acclimatent très vite à leur nouvelle condition.
   Sur ces mots, F s’apprêta à faire demi-tour quand une dernière pensée lui vint à l’esprit. Se penchant vers Gondul avec un air de conspirateur, il lui demanda :
   - Au fait, le Ff qui vous avait aidés la dernière fois, était-il dans l’un des Explorateurs qui ont pathétiquement essayé de défendre ce trou ?
   Le bourgmestre eut un peu de mal à entendre ainsi traité ses camarades qui s’étaient sacrifiés pour la ville, néanmoins, il fut intrigué :
   - Fant ? En quoi vous intéresse-t-il ?
   - Cela ne te regarde absolument pas, mais disons juste que j’avais une petite querelle à régler avec lui. Enfin, s’il est mort, c’est pas grave, hein…
   - Non, il n’y était pas…
   - Comment ?
   - Fant et Mela ont quitté cette ville il y a moins d’un femp, peu après votre première attaque.
   - Tu ne mens pas j’espère… Parce que si c’était le cas, je te rappelle que je peux très bien décider d’un claquement de doigt de réduire de moitié la population de ce bouge infâme. L’Empire peut se passer d’un peu de main d’œuvre…
   Gondul avala difficilement. Il ne parvenait pas à détourner ses yeux du regard améthyste de son opposant. Finalement, il parvint à répondre :
   - Je dis la vérité. Ils sont partis deux jours après la première bataille.
   F se redressa tout en continuant à le regarder de biais, un sourcil levé. Puis machinalement, il s’assit en tailleur pour réfléchir. Apparemment, ce petit homme bleu ne lui disait pas toute la vérité, mais le Ff savait que par nature, les Ggs ne mentaient pas. L’emmerdeur Ff et sa maki apprivoisée avaient donc quitté la ville. D’un certain coté, c’était ce qu’ils avaient de mieux à faire et c’est vrai que la bataille d’aujourd’hui avait été trop facile. Mais là où tout ça coinçait…
   F releva la tête en se rendant compte que tout le monde le fixait étrangement. Etouffant un juron, il retira son pied de son oreille droite et se releva dignement en nettoyant une poussière imaginaire sur sa cape. Tendant de reprendre une posture digne, il déclara :
   - C’est bon, ce sera tout.
   Puis il s’éloigna le plus dignement possible pour un homme surpris par son armée et son adversaire en train de se curer l’oreille avec le pied.

   Encore un méfait à ajouter à la liste de ce Ff ! Alors comme ça, il s’appelle Fant ? (c’est à peine mieux que moi). C’est une bonne chose qu’il ait fui. Ca ne rend la traque que plus savoureuse.
   D’autant plus que F savait où commencer à chercher. Il y a quelques jours à peine, ce Fant avait été repéré en compagnie de Ggs qui tentaient de saboter la ligne de chemin de fer menant au city-dôme. F en avait déduit que la ville G-15 tentait fébrilement de contre-attaquer et que le Ff honni s’y trouvait toujours. Apparemment, il avait changé de ville. C’était ça que le bourgmestre avait tenté de lui cacher. Et bien, plutôt une bonne nouvelle, non ? Ca faisait durer la chasse.

   Rentrant dans son spider-warrior personnel, qui soit dit en passant ne différait en rien de n’importe quel autre spider-warrior, F ferma la trappe d’accès et s’installa aux commandes comme il put, après quoi il enleva rageusement sa cape qui, outre le fait de peser sur ses épaules, lui donnait d’horribles démangeaisons. Décidément, que ne fallait-il faire pour épater les provinciaux ! Une fois les soldats correctement établis en ville, F reprit le chemin du dôme accompagné du reste de son armée. Il ignorait encore que ce retour allait lui réserver une surprise…

2) Un femp plus tôt

   - Ca suffit, Mela, faut qu’on foute le camp d’ici !
   - Encore cette histoire ?
   - Oui, j’en peux plus.
   - Tu m’as dit que tu étais d’accord pour rester et aider si les araignées revenaient.
   - Oui, je me souviens que je l’ai dit et je le pensais sincèrement. Seulement, à ce moment là, je n’avais pas encore goûté leurs saloperies aux champignons !
   Mela ne sut quoi répondre, pour la bonne raison que la soupe aux champignons commençait à lui porter sur l’estomac, à elle aussi. Et pas seulement la soupe, d’ailleurs…
   Pour situer un peu, nos compères se trouvaient dans la maison qu’on leur avait allouée, sur le périmètre extérieur de la ville G-15 (pour les abrutis qui ne lisent pas mes merveilleux titres de chapitre, je rappelle que ceci se passe un femp, c'est à dire une semaine, avant le chapitre 1). Les Ggs construisaient leurs villes de manière à ce qu’il y ait toujours plus de maisons que d’habitants. Ainsi, il y avait toujours de quoi accueillir des invités ou des Ggs venant d’autres villes. Fant nota que l’avantage majeur (selon lui) était qu’ainsi, il n’y avait aucune restriction des naissances et donc on pouvait faire des galipettes tant qu’on voulait. Les ensevelissements et autres accidents industriels s’occupaient de réguler la population. C’était au point que les Ggs ignoraient tout de l’homosexualité. Le Ff en aurait bien profité, mais premièrement, les Ggs étaient très fidèles, et deuxièmement, leur physique ne l’attirait pas outre mesure, au contraire même. Il en était donc réduit à partager une horrible baraque en pierre tristement semblable à toutes les autres avec une femelle maki. Bien entendu, Fant avait immédiatement réquisitionné le lit à deux places et Mela se contentait des lits pour enfants collés les uns contre les autres. Ils étaient ainsi nourris, logés, blanchis aux frais de la princesse, ouplutôt aux frais de la ville. Mine de rien, c’était plutôt sympathique, jusqu’à ce que vienne l’heure du premier repas…

   - Oui, nous sommes vraiment désolés, Gondul. Je sais que Fant et moi ne sommes arrivés qu’il y a deux jours, mais nous pensons qu’il n’est pas bon d’attendre ainsi que l’ennemi attaque à nouveau. Aussi avons-nous décidé d’aller jeter par nous-même un œil à ce mystérieux dôme. Croyez bien que nous regretterons votre hospitalité, mais cela nous a paru la meilleure démarche à suivre.
   C’était assez comique de voir Mela s’exprimer ainsi face au bourgmestre. Pour ce qu’en savait Fant, c’était probablement la première fois qu’il la voyait mentir. Décidément, sa fréquentation commençait à lui enseigner quelques petits trucs fort utiles. Bien sûr, elle avait encore un peu de mal avec le mensonge, mais son trouble passa pour de l’embarras aux yeux du jeune Gg, ce qui est compréhensible pour des héros qui ont promis de protéger la ville et qui décident d’un coup de se carapater. Gondul sembla un peu triste, mais il se reprit vite :
   - Vous savez, j’ai discuté avec le bourgmestre de la ville G-13 et nous en étions arrivé à la même conclusion. A vrai dire, j’allais même vous proposer ce que vous venez de me demander. Je pensais tout de même que vous pourriez rester un ou deux jours de plus…
   Avant qu’il ait le temps de leur proposer un dernier repas truffé de champignons immangeables, Fant crut bon d’ajouter un petit quelque chose :
   - Avant de partir, nous nous demandions s’il serait possible de vous emprunter l’un de vos Explorateurs. Oui, je sais à quel point vous tenez à ces merveilleuses machines, mais si nous voulons augmenter nos chances, il serait probablement plus sûr de faire le voyage à bord de l’une d’entre elle.
   Gondul eut un petit sourire triste.
   - Malheureusement, vous n’iriez pas bien loin. Les Explorateurs ont une autonomie très limitée.
   - Gné ?
   - Pardon. Disons qu’au bout d’un très court moment, ils ne marchent plus si on ne les ravitaille pas.
   - Et on ne peut pas emporter du ravitaillement ?
   - J’ai bien peur que non, mon ami.
   - Et merde !
   Fant venait de voir s’envoler en fumée son rêve de reprendre ses voyages dans la jungle à bord d’un Explorateur qu’il utiliserait toute sa vie.
   - Mais ne vous en faites pas, j’ai beaucoup mieux !
   - Ah bon ?
   - Comme je vous l’ai longuement expliqué après la bataille (mais il semble que vous n’ayez pas écouté), cela fait presque cinq femps que la ville G-13 surveille le dôme métallique. Ils en sont très près et ils cherchent activement comment s’en débarrasser, mais sans aucun succès pour l’instant. Suite à vos prouesses dans la défense de la ville G-15, le bourgmestre de la ville G-13 m’a demandé de vous transmettre une proposition. Elle voudrait (oui, c’est une femme) que vous veniez rejoindre leur équipe de lutte. Vos points de vue étrangers feront sûrement progresser les choses. Alors, qu’en dites-vous ?
   Mela et Fant restèrent un instant interdits, puis après un bref regard à son compagnon, la maki tâcha de répondre diplomatiquement :
   - Euh, écoutez, c’est très gentil à vous de proposer de nous héberger dans une autre ville, mais je ne voudrais pas abuser.
   Surtout que la bouffe sera toujours aussi dégueulasse.
   - C’est vrai qu’aller là-bas vous mettra aux premières lignes et je peux comprendre que vous soyez réticents à cette idée. Vous préférez donc partir, c’est votre droit. Non, non, n’insistez pas, je sais que c’est à ça que vous pensiez. Et vous, Fant ? Partirez-vous avec votre compagne ou aiderez-vous la ville G-13 malgré tout ?
   - Ca dépend. Si je vais là-bas, pensez-vous qu’on me laissera participer aux missions en Explorateur ?
   - Si c’est votre choix, bien entendu, mais c’est ce qu’il y a de plus dangereux.
   - Alors je n’hésiterai pas une seconde. Votre hospitalité m’a profondément touché et je considère un peu les Ggs comme mon propre peuple à présent. Je sais que l’un d’entre vous aurait fait la même chose s’il avait été dans un village Ff. Cette affaire me touche donc beaucoup et c’est avec une immense fierté que j’accepte de me rendre à la ville G-machin.
   Sous ce déluge de paroles flatteuses, Gondul eut un petit frisson d’enthousiasme, réaction inverse à celle de Mela. Celle-ci tira Fant par le bras et lui murmura :
   - Mais tu es fou ? Je sais que ces gens sont très gentils et je comprend ton besoin de les aider, mais pense à la nourriture, tu n’arriveras jamais à tenir un huitième de femp de plus !
   - Allons, Mela. Ces gens comptent sur nous. On ne peut pas les abandonner comme ça. Tu sais aussi bien que moi que si on était allé au dôme, que ce soit à pied ou en Explorateur, on aurait vite constaté qu’on ne pouvait rien faire et on aurait abandonné cette ville. Là, on a une chance de nous rendre utile. Réfléchis enfin, tu n’abandonnerais quand même pas pour une histoire de bouffe, non ?
   La macaque, elle va pas me faire chier ! En allant là-bas, on s’éloigne de cette ville pourrie qui risque de se faire attaquer d’un jour à l’autre. En plus, à la première excursion, on se casse en Explorateur. Ces machins ont peut-être une durée de vie limitée, mais ils me permettront toujours de fuir suffisamment loin de ces araignées métalliques. Si on s’enfuit en accrocheurs, on n’a aucune garantie de ne pas se faire rattraper. Si ça se trouve, les bois grouillent de petites araignées qui vont de nouveau transmettre notre position.
   Soupirant, Mela répondit :
   - Très bien, je comprend. (se tournant vers Gondul) Mon compagnon m’a convaincue, je vais l’accompagner à la ville G-13, bien que j’ignore encore en quoi ma présence pourrait les aider.
   - Allons, pas de fausse modestie, vous êtes une grande guerrière et je suis très heureux d’apprendre que vous acceptez. Mais surtout, ne vous forcez pas, croyez bien que je comprendrai tout à fait que vous vouliez partir.
   Cette dernière démonstration de gentillesse acheva de convaincre Mela.
   - Non, je vous suis. Fant a raison…
   (- Bien sûr que j’ai raison !)
   - … C’est mon devoir de vous aider.
   Et cette dernière démonstration de gentillesse acheva de convaincre Fant que Mela était vraiment une imbécile finie.

3) Voyage

   Le trajet fut pour Fant en même temps une bénédiction et une horrible torture. D’un certain coté, il était content de quitter cette horrible ville, d’un autre, il découvrit les joies du mal de mer sous terre. Le transport était une succession de wagons fermés tractés par une locomotive d’aspect cauchemardesque sur-boostée à l’électricité. Toute en métal, celle-ci était de forme très pointue « pour limiter la résistance à l’air », leur avait-on dit. La quasi totalité des wagons servaient au transport de barres de fer, de produits manufacturés et autres tuyaux de cuivre. Un seul wagon, tout à l’avant, servait au transport de voyageurs. Bien que l’extérieur soit tout aussi métallique que le reste du train, l’intérieur était très aménagé : parquet, rideaux (sur des fenêtres inexistantes, mais d’un très bel effet), fauteuils fixés aux murs et tapisserie. L’endroit semblait encore plus confortable qu’une maison Gg. Le tout se déplaçait sur un rail dans un tunnel sans aucun éclairage, mais il n’y en avait pas besoin, vu que l’intérieur du wagon en était pourvu. Le voyage aurait pu être très agréable si le tunnel ne serpentait ainsi. A chaque virage, Fant sentait son estomac essayer de lui ressortir du ventre. L’excitation des premières minutes avait été remplacée par une lente agonie.

   Nos amis ne furent accompagnés que d’un seul Gg, une femelle relativement âgée nommée Gemp venue directement de la ville G-13 pour les y accompagner. Après une rencontre très formelle, ils avaient immédiatement embarqué dans le train, sous les yeux embués de larmes du bourgmestre de la ville G-15. Pendant que Fant agonisait sur une banquette à l’autre bout du wagon et émettait des gémissements en musique de fond, Gemp entreprit de mettre Mela à l’aise en lui parlant de leur destination :
   - Vous verrez, selon les critères des Ffs, la ville G-13 est très agréable. Et je dois avouer moi-même que je lui trouve un certain charme très typique. Vous me direz, vu qu’il s’agit de ma ville natale, je ne suis pas très objective.
   - Excusez-moi, êtes-vous le bourgmestre de la ville où nous allons ?
   La dame eut un léger rire.
   - Non, pas du tout. J’ai passé l’âge d’administrer une ville. C’est un rôle pour de jeunes gens dynamiques. N’êtes-vous pas d’accord ?
   - Chez moi, c’était le doyen qui dirigeait…
   - Oui. Il paraît que c’est pareil chez les Ffs. Enfin les décisions sont beaucoup moins importantes à la surface. Ici, le travail de bourgmestre est très difficile. Il faut s’occuper de gérer les lois, les ressources, les relations avec les autres villes, etc. C’est d’ailleurs dans ce dernier domaine que je travaille.
   - Vous conseillez le bourgmestre ?
   - Non, pas du tout. Je voyage dans les différentes villes, je prend contact, je m’assure que les commandes sont correctement effectuées. Je voyage tout le temps. Ce n’est pas très difficile, mais c’est assez fatigant pour mon âge. Ce qui me plait, c’est que je rencontre plein de gens. C’était d’ailleurs la première fois que je rencontrais une maki, même si j’avais déjà entendu parler de votre peuple.
   - Toutes les villes Ggs sont-elles comme la ville G-15 ?
   - Non, pas toutes. La ville G-15 est particulièrement industrialisée et elle a la chance de se situer dans une très grande caverne naturelle. D’autres villes, telle la G-21, ne sont qu’une succession de couloirs et d’habitats taillés à même la roche. Certaines sont construites tout en hauteur et quelques-unes descendent même jusque dans les arbres, mais c’est très rare et je ne me suis personnellement jamais rendu dans une telle ville.
   Gémissements de douleur
   - Décidément, votre ami n’a pas l’air bien. Ne vous en faites pas, ça disparaîtra après un bon repas.
   Gémissements accentués
   - Euh… Je ne suis pas sûr qu’un repas soit la meilleure chose qu’il lui faille…
   Gemp prit un petit air ingénu :
   - Comment ? Vous n’aimeriez pas notre cuisine au champignon ?
   - Mais si, voyons ! Bien sûr que si ! C’est juste que… Enfin...
   Le visage de la vieille Gg se creusait de rides à mesure que son sourire augmentait.
   - Allons, il est ridicule de le cacher. Je sais très bien que les Ffs ne supportent pas notre cuisine et je me doute bien qu’il doit en être pareil pour les makis. Après tout, les champignons ne poussent pas à la surface. Ne vous inquiétez pas, la ville G-13 se spécialise entre autre dans la récolte de produits de la surface. Vous ne devriez manquer ni de fruits, ni de viandes.
   - Et les insectes ?
   - Quoi les insectes ?
   - Vous ramenez aussi des insectes ?
   Il fallut un petit moment pour que la Gg comprenne de quoi Mela voulait parler. Elle prit alors un air effaré.
   - Par l’électricité, les makis se nourrissent d’insectes ?
   - Entre autre, oui. Pourquoi ?
   Gemp éclata alors de rire.
- Excusez-moi. Je ne m’y attendais pas. Ne vous inquiétez pas, je pense que vous aurez tous les insectes que vous voulez. Enfin, il y a fort à parier que vous devrez les chasser vous-même.

4) La ville G-13

   L’arrivée à la ville G-13 fut décevante pour Mela (mais un grand soulagement pour Fant). Le train sortit du tunnel dans un bâtiment à peine plus grand que le train lui-même, taillé dans la pierre et qui ressemblait à s’y méprendre à celui par lequel ils avaient quitté la ville G-15. Gemp semblait toute contente de retrouver sa ville. La maki la soupçonna d’avoir grandement exagéré la description des lieux.

   La personne qui attendait sur le quai et qui dut faire un pas de coté pour ne pas se faire vomir dessus par Fant se révéla être le bourgmestre. Elle semblait en effet très jeune, mais terriblement pincée. Elle se tenait très droite, dans des vêtements classiques, mais avec un chignon. Après une remarque acerbe sur le comportement des Ffs quand on venait les accueillir, elle salua brièvement Gemp et se tourna vers Mela :
   - Bonjour. Bienvenue à la ville G-13. Je vous remercie d’avoir accepté de nous aider. Ce dôme et ces araignées nous empoisonnent l’existence. Je vous préviens tout de suite que vous ne risquez pas de me voir très souvent. Je suis fort occupée et c’est déjà beaucoup que de venir vous accueillir ici. Gemp ici présente vous montrera vos quartiers et vous dira ce que vous avez besoin de savoir. Si vous avez la moindre question, adressez-vous à elle.
   - Mais, et quand elle sera repartie dans une autre ville ?
   - Ne vous en faites pas pour ça. Pour l’instant, elle reste ici. Bon, si vous n’avez rien à ajouter, je retourne à mon devoir de bourgmestre. Venez Grumpf, nous rentrons à l’hôtel de ville.
   Et sur ces mots, elle donna le bras au dénommé Grumpf et sorti dignement du bâtiment, suivie d’une dizaine de notables. Je vous préviens que Grumpf n’a aucun rôle important dans l’histoire, aussi n’est-il pas vraiment important de vous le décrire, mais je ne résiste pas au plaisir de le faire quand même. C’était un Gg d’une tête de plus que les autres et surtout, d’une carrure particulièrement impressionnante. Pour donner un ordre d’idée, on aurait pu glisser deux Ffs dans chacune des manches de son pantalon. Et ils auraient encore eu un peu de place. Cette montagne de muscles aurait probablement pu combattre un maké au corps à corps et s’en tirer indemne. Sa mâchoire inférieure dépassait de deux bons centimètres sur la mâchoire supérieure et la seule chose qu’il savait dire était son nom. Ce Gg carabiné suivait son bourgmestre comme son ombre et lui servait de garde du corps et d’homme à tout faire.

   Ainsi, dès que le bourgmestre fut parti et que les portes se furent refermé sur un dernier « Grumpf » sonore, Gemp se tourna tout sourire vers ses invités :
   - Bien. Laissez-moi vous montrer la ville G-13.
   Et aussitôt, elle se précipita d’un pas plein d’allégresse vers la sortie, suivie d’un Fant et d’une Mela sur la défensive. Avant même de franchir la porte, ils notèrent un changement dans l’atmosphère. L’air. C’était de l’air pur qu’ils respiraient. On sentait même l’odeur de la végétation. Ce détail s’expliqua alors qu’apparut sous leurs yeux émerveillés la ville G-13. (Ca fait bien, non ?)

   La gare (à défaut de tout autre nom) se trouvait contre la paroi de la grotte au point le plus élevé. La grotte en question avait une forme sphérique, aussi la ville s’étendait-elle devant eux en pente douce jusqu’au centre. Premier changement par rapport à la ville G-15 : les bâtiments. Bien que nombre d’entre eux étaient encore taillés dans la pierre, on en apercevait un grand nombre qui étaient construits en bois et de différentes formes et tailles. Ces structures se trouvaient principalement vers le bas de la pente. Ensuite, il n’y avait qu’un seul échafaudage qui disparaissait dans le plafond. Il était situé très près de la paroi, aussi ne le remarquait-on pas au premier abord. Les autres puits à électricité avaient été taillés directement dans la roche entourant la ville, ce qui fait qu’on ne les voyait jamais. J’arrive maintenant au meilleur détail. J’ai dit que la grotte avait une forme sphérique ? Toutes mes excuses, en fait elle avait la forme d’une demi-sphère (verticale). Vers son centre, elle était coupée par une gigantesque et vertigineuse fissure naturelle qui courait sur une bonne centaine de mètres au delà de la grotte. La source de l’air frais, mais aussi de l’éclairage, était bien évidemment cette fissure qui s’ouvrait en grand sur le plein air. C’était en explorant cette fissure qu’un jour des Ggs avaient trouvé cette grotte sur le versant et avaient décidé de l’agrandir pour y établir leur treizième ville. Le résultat était effectivement de toute beauté. La lumière orange de l’extérieur donnait une ambiance très mystérieuse renforcée par les gazouillements d’oiseaux et les bruits d’insectes qui vivaient dans la faille. Sur le versant opposé, on voyait une végétation éparse, mais néanmoins bien fournie pour un mur vertical. Quelques branches d’arbres du dessous commençaient même à envahir le bas de la grotte. Mela et Fant se sentirent tous deux renaître.

   - Ici, nous arrivons dans le quartier artisanal.
   Nos trois compères terminaient la visite par le quartier le plus bas. Ils avaient vu les nombreux quartiers résidentiels, ils avaient vu l’hôtel de ville, fort semblable à celui de la ville G-15, ils avaient vu les quelques usines locales, beaucoup moins nombreuses que dans leur ancienne cité et ils arrivaient maintenant, si vous avez bien suivi, dans le quartier artisanal.
   - C’est ici que sont transformés tous les produits ramenés de la surface. Dans ce bâtiment, on stocke la viande grâce à un procédé de diminution de la température. Quelque chose me dit que vous y passerez souvent. Dans ce grand bâtiment en bois à la toiture si particulière, on traite le bois contre la moisissure et la vermine. Ici, dans ce bâtiment trapu au toit arrondi et avec toutes ces cheminées, on distille un alcool à base de plantes récoltées à la surface. On obtient ce que nous appelons affectueusement « la bière ».
   - Pardon, mais pourquoi nous décrivez-vous les bâtiments ? Nous les voyons très bien.
   - C’est pour les lecteurs.
   - Ah oui, c’est vrai.
   - Je reprend. Là vous avez une autre distillerie qui fait des liqueurs plus subtiles. Elles sont aussi beaucoup plus fortes alors nous les réservons aux grandes occasions. A ce propos, je vous suggère de faire attention quand vous irez dans des bars. Il y en a plein la ville, vous n'y couperez pas. La bière est très bonne, mais elle monte vite à la tête quand on n’y est pas habitué. Ce bâtiment trapu tout en longueur que vous voyez là est une rareté. Il ne doit pas y avoir plus de cinq villes Ggs qui en sont équipées. C’est une fumerie de plum…
   - De quoi ?
   - De plum. Une plante de la surface qui quand on le fume... Ah, mais je vois à votre tête que vous connaissez déjà.
   - Je sens que je vais me plaire ici.

   La visite se termina par le bord du gouffre. Des barrières entouraient une sorte de no man’s land pour éviter que quiconque s’approche trop près du vide, mais Gemp leur précisa qu’ils avaient tout à fait le droit d’aller au delà :
   - Nous autres Ggs n’aimons pas nous approcher du vide. C’est pour ça qu’il y a ces barrières. Mais je ne vous empêcherai pas de vous en approcher si vous faites attention. Je sens que vous mourrez d’envie de revoir le ciel.
   Ni Fant ni Mela n’osèrent nier ce fait. Souriant, la vieille Gg leur donna rendez-vous dans un quartier résidentiel pour quand ils auraient fini et s’éloigna.
   Le franchissement de la barrière fut un spectacle intéressant pour les quelques Ggs qui passèrent à ce moment-là. Entre Mela qui fit un bon de dix mètres en avant et Fant qui fit la roue par dessus la barrière, il y eut de quoi impressionner les passants. Rappelons que les Ggs devaient réussir à sauter un mètre avec élan quand ils étaient en grande forme.
   Arrivée devant le vide, la femelle maki sauta et se raccrocha à la paroi quelques mètres plus bas. Toute folle, elle se mit à se promener le long de la faille en chassant quelques insectes pour le plaisir. Quand le mâle Ff arriva, il se contenta de s’asseoir les jambes dans le vide et de regarder le paysage. Il avait vu ça toute sa vie, mais jamais le ciel orangé ne lui avait paru si beau. Au bout d’un moment, il se pencha et cria vers la gauche, direction dans laquelle son amie avait disparu :
   - Hé ! Si tu trouves des fruits, pense à m’en ramener quelques-uns !
   Une voix lui répondit en résonnant tout le long de la faille :
   - No prob !
   Ce moment de calme fut interrompu quand une voix mâle se fit entendre derrière Fant :
   - Ah, la jeunesse…
   Se retournant, le Ff se retrouva face à un de ses semblables. Les yeux rouges pomme, celui-ci était visiblement assez âgé, mais semblait se porter comme un charme. Son visage commençait à se creuser de quelques rides, mais qui lui donnaient plus un air sérieux qu’un air de petit vieux. D’ailleurs, ses muscles montraient bien qu’il ne se négligeait pas. Voyant l’air surpris de Fant, il rigola doucement et reprit :
   - Pardon de t’avoir surpris. J’ai été étonné : on m’avait bien dit qu’un Ff et un maki allaient arriver, mais je suis toujours seul ici au delà de la barrière. Je me présente : Fondarfin, expert en mécanique et résidant de la ville G-13. Je suis heureux que soyez là. J’aime beaucoup les Ggs, mais quelques connaissances issues de la surface me changeront agréablement de mon ordinaire. Comment t’appelles-tu, fiston ?
   Embarrassé, Fant se releva précipitamment pour se présenter :
   - Je m’appelle Fant. Enchanté.
   - Alors toi aussi tu as quitté ton village ? Amusant, je devais avoir à peu près ton âge quand j’ai quitté le mien.
   - Vous avez beaucoup voyagé ?
   - Plus ou moins. Au bout de cinq memps, je suis tombé sur un groupe de Ggs en Explorateurs en train de couper du bois. Ca m’a fait un choc. Apparemment, ils connaissaient les Ffs et ont proposé de m’amener chez eux, dans la ville G-35. Même pas deux huitièmes de femp plus tard, je voulais à tout prix rentrer chez moi. La lumière naturelle me manquait et surtout, leur bouffe était dégueulasse.
   - Oui, on a connu ça aussi.
   - C’est là que j’ai rencontré Gemp. Elle venait de commencer son métier d’ambassadeur après s’être retiré de l’usine où elle travaillait. C’est elle qui m’a parlé de la ville G-13. Je n’étais vraiment pas chaud, mais la technologie Gg me fascinait. A l’époque, j’étais persuadé que c’était de la magie. Quand je suis arrivé ici, j’ai compris que je ne voudrais plus jamais en partir.
   - C’est un peu l’impression que j’ai moi-même…
   C’est ce moment que choisi Mela pour refaire son apparition, des baies rouges plein les mains. N’ayant jamais vu de maki, Fondarfin fut persuadé qu’un maké sauvage les attaquait et il fallu que Fant lui fasse un placage pour l’empêcher d’aller sonner l’alerte en ville. Néanmoins, le jeune Ff fut très heureux de découvrir qu’il n’était pas le seul à avoir fait l’erreur. Cette joie douteuse disparu néanmoins quand son semblable, ayant compris son erreur, adressa ses excuses à Mela en l’appelant « Mademoiselle ».
   Mais comment il a vu que c’était une nana ?

5) Garlic

   Alors que Mela marchait d’un bon pas vers le quartier résidentiel où Gemp leur avait donné rendez-vous, Fondarfin et Fant suivaient quelques mètres derrière, en pleine discussion :
   - Alors, gamin ? Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter ton village ?
   - Le village entier se moquait de moi. Ils n’ont jamais voulu me croire quand je leur ai dit que j’avais terrassé un maké géant à moi tout seul.
   A ces mots, le Ff plus âgé partit d’un grand rire.
   - Un maké géant ? Pas mal. Moi, j’avais vu un arbre parlant. Les réactions ont été les mêmes…
   - Un arbre parlant ? C’est vrai ?
   - Bien sûr que non, comme ton maké géant. J’avais inventé ça en pensant épater le monde. J’ai retenu la leçon…
   - Mais…
   - Oui ?
   - Non, rien.
   Fant décida qu’insister d’avantage risquait de nouveau de le faire passer pour un idiot. Et puis mieux valait ne pas trop en dire. Si Mela avait une conversation un peu poussé avec ce Ff, elle risquait de se poser des questions. Pour elle, Fant avait déserté le village qui avait massacré les siens. Et mieux valait qu’elle continue à le croire.

   Au point de rendez-vous, ils ne retrouvèrent pas la vieille Gemp, mais un Gg tout jeune en tenue noire et blanche, avec des espèces d’oreilles en tissu sur le sommet du crane et une lanière de cuir pendant sur chaque jambe. Comme si cet accoutrement ne suffisait pas, l’énergumène portait également des lunettes, spectacle auquel nos voyageurs n’étaient pas encore vraiment habitués. Plissant les yeux à travers ses verres carrés, le jeune homme reconnu enfin qu’il avait affaire à des étrangers. Aussitôt, il s’approcha d’eux à grandes enjambées (enfin, des grandes enjambées pour un Gg) et salua longuement chacun d’eux.
   - Bonjour Monsieur ! fit-il d’une voix de fausset en serrant la main de Mela, au grand plaisir de Fant.
   - Bonjour Madame ! fit-il ensuite en se tournant vers Fant qui en resta un instant interdit.
   - Et vous, qui êtes-vous ? demanda-t-il enfin à Fondarfin.
   - Du calme, Garlic, je ne suis pas un mond en rut qui essaye de t’agresser.
   - Ah, Fondarfin. Ce n’est pas très gentil de ta part de me rappeler cette douloureuse méprise. Tu étais dans l’ombre et je n’étais moi-même pas très réveillé.
   - Tu étais surtout plein comme une outre.
   Puis, se tournant vers Fant et Mela :
   - Mes amis, je vous présente Garlic. Ne vous fiez pas aux apparences, Garlic est un très fin stratège. C’est lui qui planifie les sorties pour espionner le dôme ou pour contrer les araignées mécaniques. Sans lui, on se serait déjà fait repérer.
   - Oh non, Fond’, tu exagères.
   - Ne fais pas le modeste, Garl’. Bon, par contre, je dois vous avertir qu’il est myope comme une taupe, même s’il refuse de l’admettre.
   - Ah non ! Tu ne vas pas remettre ça ! Pas devant des invités qui plus est !
   - Oui, tu as raison. Garlic, laisse-moi te présenter Mela et Fant. Comme tu ne le vois pas, Mela est une maki et c’est une femelle…
   - Oups, toutes mes excuses. Je dois avouer que je connais mal les makis. Au moins, je me rattrape par ma connaissance des Ffs. Je ne me suis pas trompé sur votre sexe, n’est-ce pas, mademoiselle ?
   Fant dut se retenir pour ne pas frapper ce freluquet à la voix aiguë. A coté de lui, Mela pouffa, ce qui ne fit rien pour arranger l’humeur du Ff.
   Bien qu’amusé, Fondarfin comprit qu’il valait mieux calmer la situation.
   - Euh, Garl’… Fant est un mâle…
   - Tu te moques de moi ?
   Ce fut Fant qui répondit (en prenant sa voix la plus grave possible) :
   - Non, il ne se moque pas de vous !
   - Oh la la. Je suis sincèrement désolé. Apparemment, je ne suis pas aussi fin connaisseur que je le pensais.
   Néanmoins, Garlic plissa les yeux et essaya de mieux discerner la raison qui l’avait fait douter. Sans résultat. Il décida donc de poursuivre la conversation en changeant habillement de sujet.
   - Au fait, Madame l’ambassadeur m’a envoyé vous chercher à sa place parce qu’elle était trop occupée.
   - Qui ça ?
   Fondarfin répondit à la place du Gg :
   - Il parle de Gemp.
   - Oui, c’est ça, si vous voulez. Enfin Madame l’ambassadeur a décidé de donner chez elle une réception pour fêter votre arrivée et vous accueillir dignement. Tout le gratin sera là. C’est pour ça que j’ai mis mon beau costume.
   Fant jeta un regard interloqué à son aîné, regard qui échappa totalement à Garlic.
   - Oui, c’est un costume pour les grandes occasions qu’il porte là. Je dois dire que malgré les nombreux cycles passés parmi les Ggs, je ne me suis jamais habitué à ce qu’ils appellent la mode.
   - Et on va devoir porter ça ?
   - Par la Chute, non ! Et encore heureux. Vu que nous sommes des étrangers, ils comprennent que nous soyons hermétiques à ces élucubrations. Enfin, ils ne disent pas ça comme ça. Ils disent que « nous ne sommes pas assez raffinés pour comprendre ».
   - Et ça veut dire quoi ?
   - Que de toute façon, ils nous considèrent comme de vulgaires ploucs cul-terreux et donc qu’ils se foutent royalement de notre façon de nous habiller.
   Après ce petit intermède explicatif, Garlic reprit :
   - Je vais vous amener à la réception. Vous allez voir, l’ambassade est un très grand bâtiment.
   - Tiens ? Gemp n’habite pas dans une de ces petites maisons que tout le monde semble tant affectionner ici ?
   - Oh. Mais si, bien sûr. Mais l’ambassade sert à tenir de grandes conférences ou à accueillir les étrangers. C’est Madame l’ambassadeur qui en a la charge. Dépêchons-nous, ça fait toujours bien d’arriver en retard, mais il ne faudrait pas abuser.
   Devinant plus qu’apercevant les visages dubitatifs de ses interlocuteurs, le Gg à lunettes ne put s’empêcher d’ajouter :
   - Ne vous en faites pas. Les réceptions de Madame l’ambassadeur sont réputées pour le bon goût du maître de maison.

6) La réception

   Effectivement, l’ambassade était impressionnante. La réception avait lieu dans le grand hall. Un peu partout, on pouvait voir de magnifiques tentures, les meubles étaient particulièrement travaillés, un tapis qui avait du nécessiter des femps de travail recouvrait le plancher pourtant irréprochable et un grand lustre illuminait le tout. Garlic expliqua que l’ambassade se devait d’être le bâtiment le plus impressionnant pour recevoir les invités. Pendant que Fant se trouvait fortement dénudé au milieu de tous ses gens en tenue de soirée, Mela constata que leur guide regardait un peu partout, semblant chercher quelque chose. Un peu plus loin, Gemp se trouvait en grande conversation avec d’autres Ggs, tous portant l’accoutrement à la mode.
   Apercevant Garlic et ses invités, elle mit poliment fin à sa discussion pour aller les retrouver.
   - Alors, que pensez-vous de mon ambassade ?
   Mela fut la première à répondre :
   - Très impressionnante, en effet. J’ignorais que vous étiez un personnage si important dans cette ville.
   Cette remarque déclencha un rire discret chez la vieille Gg.
   - Oh, mais je ne suis pas si importante. C’est moi qui ait eu l’idée de construire une ambassade et d’y donner des réceptions une fois de temps en temps. Madame le bourgmestre a très vite accepté à l’idée de la réputation que cela pourrait donner à notre ville. Oh, mais je vois que vous êtes là aussi, Fondarfin.
   - Effectivement. Je les ai croisés au bord du vide et nous avons déjà pu faire connaissance.
   - Et moi qui voulais leur faire une surprise.
   - Oh, je crois que mon apparition les a déjà pas mal surpris.
   Gemp retourna son attention sur les deux étrangers :
   - Garlic vous a-t-il montré vos quartiers ?
   - Non, pas encore.
   - Je suis désolé, Madame, intervint Garlic. Nous venons juste d’arriver et je n’ai pas encore eut le temps de leur faire visiter le bâtiment.
   - Ce n’est pas grave, tu leur montreras à la fin de la réception.
   Un détail de la conversation tira Fant de sa torpeur :
   - Pardon, mais vous avez parlé de nos quartiers, puis de ce bâtiment. Dois-je comprendre que nous logerons à l’ambassade ?
   - Bien entendu, il y a des chambres pour les invités de marque. Après tout, vous avez accepté de nous aider dans notre entreprise contre le dôme. C’était la moindre des choses. A ce propos, Fondarfin, j’ai une bonne nouvelle. J’ai obtenu du bourgmestre que l’ambassade puisse vous servir de QG.
   - C’est vrai ?
   - Oui. Nous n’attendons aucun invité dans les temps qui suivent, alors elle m’a permis de réquisitionner toute l’ambassade. Les membres pourront même y dormir.
   Fant et Mela se regardèrent sans comprendre, chose qu’ils faisaient très souvent ces derniers temps, et le Ff demanda :
   - Pardon ? Il se passe quoi, là ?
   Fondarfin lui répondit, sourire aux lèvres :
   - Eh bien, tu vois, toute le ville ne peut pas se concentrer sur le problème des araignées mécaniques. On a une économie à faire marcher ici, et une grosse majorité de la milice est déjà occupée à ratisser les cavernes à la recherche d’éventuelles infiltrations. Voilà pourquoi la ville G-13 a constitué un petit groupe de volontaires qui tentent d’attaquer le dôme directement. Pour l’instant, on a surtout été envoyé contre des araignées mécaniques. Nous avons tenté trois fois de nous approcher du dôme lui-même, mais les patrouilles d’araignées sont sévères. Il n’y a qu’une fois où nous sommes arrivés à la base du dôme. On a dû laisser tomber, c’est de l’acier renforcé et ça a l’air drôlement épais. Je ne suis même pas sûr qu’en y amenant un Explorateur, sa scie circulaire pourrait ébrécher le blindage. Enfin, jusqu’ici, on se réunissait au bar et ce n’était pas forcément le meilleur endroit. C’est pour ça que nous avons décidé d’établir un QG permanent et Madame Gemp ici présente vient de nous dénicher le meilleur qu’on pouvait trouver.
   - Et c’est quoi un QG ?
   - C’est notre lieu de rassemblement, là où on prépare nos coups et qu’on réfléchis à nos prochains mouvements. QG, ce sont les initiales de Quartier Général. Je suis d’accord que ça fait très prétentieux, mais bon. Avant, on pensait l’appeler notre Petit Quartier, mais les initiales ne rendaient pas aussi bien.
   - Ah. Et nous allons donc rejoindre ce groupe ?
   - Exactement. Je vous présenterai les autres membres. Vous savez maintenant que j’y suis et vous connaissez déjà Garlic, mais…
   Avant qu’il ne puisse en dire d’avantage, Fondarfin fut coupé en pleine phrase par un retentissant :
   - Grumpf !
   Une demi seconde plus tard, le Gg du même nom défonça plus qu’il n’ouvrit la double porte par laquelle on rentrait dans l’ambassade. Juste derrière lui, madame le bourgmestre entra d’un air digne, habillée du même costume ridicule que tout le monde. D’un air important et pressé, elle suivi Grumpf qui lui ouvrait un passage à travers la foule jusqu’au buffet tout en continuant à grogner bruyamment.
   Tout excité, Garlic se tourna alors vers Gemp :
   - Madame l’ambassadeur, ça y est, tout le monde est là. Vous allez nous dévoiler la surprise de la soirée, n’est-ce pas ?
   Cette question attira l’attention de Mela :
   - Une surprise ? Quelle surprise ?
   Le vieux Ff lui répondit d’un air blasé :
   - Rien. C’est une sorte de coutume. A chacune de ses soirées, Gemp glisse une petite originalité « de bon goût » qui fait s’esclaffer tout le gratin. A chaque fois, il y en a pour parier sur l’originalité en question, mais tout le monde se trompe toujours.
   - Ca a l’air plutôt amusant.
   - Mouais, si on veut. Pour te donner une petite idée, la dernière fois, c’était une plante en pot posée sur le lustre. C’était sensé donner une ambiance « jungle » au grand hall...
   Pendant que la maki digérait l’information, Gemp fit un signe distrait à plusieurs serviteurs qui acquiescèrent silencieusement et allèrent retirer les soieries qui masquaient les tabourets. Un murmure approbateur résonna quand tous découvrirent que les tabourets en question n’étaient en réalité que des petits rochers à peine taillés. Beaucoup de Ggs se mirent à discuter de ces rochers qui donnaient un air très « caverne » au grand hall. Quelques personnes allèrent s’asseoir dessus et commentèrent longuement la confortabilité de la chose. Devant le buffet, le bourgmestre continua à s’empifrer sans faire le moins du monde attention au nouveau look de l’ambassade. A son côté, Grumpf surveillait que personne ne vint l’importuner et prenait parfois une poignée de petits fours histoire de tenir.
   Mela et Fant regardèrent Fondarfin avec l’air de demander si les différentes réactions étaient normales, mais il se contenta de lever les yeux au ciel et de se détourner, indifférent.
Avant que Gemp ne parte pour discuter de détails avec le bourgmestre, Garlic trouva l’occasion de lui glisser à l’oreille :
   - Madame l’ambassadeur, avec ces petits rochers, vous nous avez vraiment gâtés.

7) Réunion tactique

   A la toute fin de la soirée, juste avant que Mela et Fant ne se séparent pour aller se coucher à l’étage, dans leur chambre respective, la jeune maki un peu inquiète posa une dernière question à son camarade :
   - Dis-moi Fant, tu as vraiment l’intention de rejoindre ce commando et d’aider cette ville ?
   - Bien sûr ! Ca a l’air d’être un coin sympa. Une fois cette histoire terminée, j’ai bien l’intention de m’installer ici.
   - D’accord, mais tu es sûr qu’on ne s’attaque pas à trop fort parti ? Tu as entendu Fondarfin, il pense que même un Explorateur ne pourrait pas percer une entrée dans le dôme. Comment pourrions-nous y changer quoi que ce soit ?
   - Ne t’inquiètes pas, on trouvera bien quelque chose. On a déjà vaincu une de leurs armées après tout.
   Mela ne sembla pas convaincu, mais n’insista pas d’avantage.
   - Si tu le dis… Bonne nuit.
   - C’est ça, bonne nuit.
   Se glissant dans son nouveau lit bien douillet, Fant se rendit compte avec surprise qu’il avait été honnête dans sa réponse à Mela. Alors que jusqu’ici il n’avait eut que la fuite à l’esprit, il découvrait maintenant qu’il pensait sincèrement pouvoir vaincre les armées d’araignées et le Ff qui était à leur tête, afin de pouvoir ensuite s’installer confortablement dans la ville G-13 pour y passer le restant de ses jours, comme Fondarfin. Il finit par s’endormir sur cette pensée joyeuse, d’un sommeil plein de rêves de victoires. A aucun moment il ne pensa que son courage nouvellement trouvé pouvait provenir des quantités phénoménales de plum qu’il s’était fumées ce soir.

   Le lendemain après-midi, la première réunion du commando encore sans nom eut lieu. Mela avait passé toute la matinée à se promener en ville, dans la faille, dans la jungle aux abords et à chasser de succulents moustiques. Fant quant-à-lui était resté au lit comme une merde. C’est donc les paupières encore lourde qu’il arriva dans le grand hall où une table avait été tirée pour permettre au groupe de se rassembler. La super ambiance « grotte » avait disparu : on avait remis des tabourets normaux. Tout le monde était déjà là quand il arriva. Après avoir présenté Fant et Mela au reste du groupe, Fondarfin entreprit de présenter chaque membre un par un aux nouveaux venus. (Alors là, accrochez-vous, y a du peuple)
   - Tout d’abord, moi-même. Je pense que vous me connaissez déjà à peu près, je ne vais pas m’étendre sur le sujet. Je préciserai quand même mon rôle. Comme je vous l’ai dit hier soir (mais le lecteur n’était pas assez concentré sur le texte), je suis mécanicien. Je m’occupe d’habitude d’entretenir les Explorateurs. C’est moi qui ait eu l’idée de monter ce groupe dès qu’on a pris conscience du danger. Ca doit être mon coté Ff. Je participe aux excursions du mieux que je peux, mais je suis loin d’être un pilote émérite. J’ai fabriqué quelques bottes en métal pour permettre aux Ggs de sortir de leurs Explorateurs, mais il n’y en a pas encore beaucoup. Disons que pour l’instant, je suis plus le soutien moral du groupe.
   Se tournant vers Garlic, qui portait maintenant une tenue tout à fait comparable à celle des autres Ggs, en dehors de ses lunettes,
   - Vous connaissez aussi Garlic. Il se trouve qu’il est le cerveau de l’opération. C’est lui qui prépare les sorties et gère les plans à suivre. Il ne participe pas directement aux opérations, mais avec sa vue, ce ne serait pas conseillé.
   Le Ff se tourna ensuite vers un Gg en salopette avec les dents de devants proéminentes, à tel point qu’elles dépassaient même quand il fermait la bouche.
   - Voici Glover (sans mauvais jeu de mot). Glover est le frère de Garlic. Il travaillait jusque là comme ouvrier dans l’usine d’assemblage des poutrelles qui servent aux puits à énergie. La présence de son frère l’a incité à venir et nous ne le regrettons absolument pas. Bien qu’il n’en ait absolument pas l’air (et c’est peu de le dire), Glover est un excellent pilote d’Explorateur. Il est un peu timide comme ça, mais vous devriez le voir sur le front. Dis bonjour, Glover.
   - Bonzour...
   Fondarfin passa ensuite à trois Ggs en uniforme de la milice, un mâle et deux femelles. Les trois avaient l’air pas mal baraqués et bien que ce ne fut pas le cas, on les aurait dit de la même famille. Ils portaient tous trois des tatouages faciaux qui, associés à leurs traits durs, les faisaient ressembler à des bêtes sauvages.
   - Voilà Ger, Gunat et Guissiquil (ce dernier étant le mâle). Ils viennent tous les trois de la milice et ont reçu l’autorisation de la quitter pour nous rejoindre. Ce sont bien entendu nos meilleurs pilotes d’Explorateurs. Accessoirement, Gunat sait se servir d’un canon IMπ. Nous n’avons pas pu nous en procurer un, mais le capitaine de la milice nous laisse utiliser l’un des leurs quand nous en avons besoin. Et enfin…
   Fond’ désigna alors la dernière personne. Fant et Mela eurent la surprise de découvrir qu’il s’agissait de Gemp, débarrassée de ses beaux habits.
   - Voilà Gemp, que vous connaissez, et qui a appris à Madame le bourgmestre cette nuit même qu’elle avait l’intention de se retirer de son poste d’ambassadeur. Madame Gemp ne nous accompagnera pas pendant les missions, mais personne d’autre qu’elle ne connaît aussi bien la région. De plus, si nous sommes amenés à dialoguer avec d’autres villes, elle sera un très précieux atout. Malheureusement, Gemp ne pourra pas être présente très souvent parce qu’elle devra former le nouvel ambassadeur. Des questions ?
   La salle resta silencieuse.
   - Bon, alors nous allons pouvoir passer au premier point essentiel : le nom du groupe !
   - C’est vraiment essentiel ? demanda Mela.
   - Mais bien entendu que c’est essentiel ! Un nom, c’est une identité, et sans identité, pas de motivation. On va faire un tour de table et Gemp notera les propositions.
   Ainsi fut-il fait. A la fin du tour de table, la vieille Gg relu la fiche. En gros, ça donnait ça :
   Fondarfin : L’anti-dôme team.
   Garlic : les Tactiques Ultimes
   Glover : Ze sais pas trop. Z’est comme vous voulez…
   Ger : l’Escadron Sanglant
   Gunat : les Tueurs d’Araignée
   Guissiquil : la Virilité Incarnée (- Et nous ? On n’existe pas ? – On s’en fout de vous !)
   Mela : …
   Fant : Mais qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?
   - Et ma proposition personnelle, vu que je fais aussi partie du groupe : le Commando G-13.

   Après d’âpres délibérations au cours desquelles chacun tenta de défendre son bifteck, parfois même avec les poings, il fut finalement décidé que la proposition de Gemp était encore la meilleure, même si Fondarfin argua que ça manquait d’originalité, que Ger trouva que ça faisait tantouze (Fant prit un air dégagé à cette remarque), que Gunat avança l’opinion comme quoi ça puait d’une certaine partie de l’anatomie et que Guissiquil déclara que ça faisait pas assez « mâles pleins d’hormones » (- Et nous ? – Osef !).

   La suite de la réunion concerna la prochaine opération. Garlic prit donc son air le plus important avant de s’éclaircir la gorge, puis de prendre la parole :
   - Messieurs… (voyant Ger qui haussait un sourcil agressif) et Mesdames… (puis apercevant Mela) et Mademoiselle… (il jeta un dernier regard pour vérifier qu’il n’avait rien oublié. Fant hésita à le relancer par simple envie de foutre la merde, mais se retint). Hum, nos dernières observations ont montré que le dôme n’envoyait presque plus d’araignées de notre coté. De plus, la milice a bien compris comment s’en débarrasser. Nous ne sommes plus vraiment essentiels à la défense de la ville. Nous pouvons donc nous concentrer sur l’attaque. Nos quelques tentatives précédentes ont montré qu’il nous était impossible de pénétrer dans le dôme en perçant une entrée. Comme les autres issues semblent diaboliquement défendues, il va falloir nous résigner à rester à l’extérieur.
   - Tapette !
   - Oui, merci Guissiquil, mais je n’ai pas encore fini. Comme nous ne pouvons donc pas rentrer, nous allons assiéger l’ennemi.
   Petit silence pour faire de l’effet. Ne voyant pas de réaction, Garlic continua, un peu déçu.
   - Vos précédents rapports m’ont montré que les seuls échanges du dôme avec l’extérieur, à part l’envoi d’araignées par le canon et la tentative d’attaque sur la ville G-15, ce sont les convois qui arrivent par rails.
   Mela prit la parole :
   - Euh, pardon, mais on n’est pas au courant, nous.
   - Ah oui. Ce n’est pas très grave, vous le verrez tout de suite quand vous approcherez. Le dôme est en pleine jungle, mais il y a toute une route qui a été déblayée. Elle est occupée par des rails et on voit des trains suspendus y passer fréquemment. Mon plan d’aujourd’hui consiste à couper ces rails. L’ennemi sera ainsi privé d’approvisionnement et finira par mourir à petit feu.
   Ce fut au tour de Ger de prendre la parole :
   - Ca, c’est seulement s’il y a des êtres vivants à l’intérieur. Qui nous dit que tout n’est pas automatisé ?
   - Qu’importe. L’ennemi reçoit de l’approvisionnement. Quoi que ce soit, il en a besoin. C’est peut-être de la nourriture, c’est peut-être du carburant, c’est peut-être des matières premières. Quoi qu’il en soit, couper ces rails affaiblira forcément le dôme.
   Mela décida de reprendre la parole :
   - Mais et s’il y a des habitants et que nous les privons de nourriture ? Peut-être est-ce une ville, nous ne pouvons pas condamner toute la population.
   Gunat décida de répondre à la place de Garlic :
   - Chochotte !
   Cette déclaration manquant singulièrement d’intérêt, Fondarfin reprit le flambeau :
   - C’est vrai, Mela, mais si ça se trouve, tout est automatisé là-dedans. Il se peut qu’il n’y ait aucun mort.
   - Si, il y a des êtres vivants. Durant la bataille de la ville G-15, nous avons affronté un autre type d’araignées métalliques. Elles étaient pilotées par des Ggs et des Ffs. J’ai même vu un maki.
   - Mince, c’est vrai, Fant ?
   Ce dernier soupira, mais fut forcé de hocher la tête. Si Mela commençait à emmerder le monde avec des idées humanitaires, le problème du dôme risquait d’être beaucoup plus épineux qu’il n’y paraissait. Par chance, Gemp régla la question :
   - Mela, même s’il y a une ville complète là-dedans, nous n’allons pas tuer qui que ce soit. Si ces trains transportent vraiment de la nourriture, les habitants pourront toujours se fournir dans la jungle. Nos peuples ont toujours vécu correctement de cette manière.
   Garlic crut bon d’ajouter :
   - Oui. Si nous voyons que des individus fuient le dôme dans les jours qui viennent, nous les laisserons partir sans leur faire de mal.
   A cette déclaration, les trois anciens de la milice se jetèrent des regards complices associés de sourires entendus. Ce manège n’échappa pas à Fant, mais il se garda bien de le signaler. Après tout, cette réaction l’arrangeait.

   - Passons maintenant aux détails de la mission. Cette fois-ci, nous utiliserons les Explorateurs.
   Cette annonce déclencha des cris de joie chez les peinturlurés (comme Fant décida de les appeler).
   - Il n’y aura que trois Explorateurs importants. Les autres seront surtout là en couverture. Il est très possible que les rails soient surveillés, donc il faut s’assurer que nous puissions repousser une petite force d’assaut. Nous n’en aurons pas pour très longtemps, donc je ne pense pas que le dôme aura le temps d’envoyer des renforts. Je suis plus inquiet au sujet du canon. Si nous sommes remarqués, ce canon pourra nous envoyer une ou deux araignées métalliques. Nous savons maintenant que le lancer peut être très précis, mais qu’il y a toujours plusieurs minutes entre deux lancers. Au pire, nous aurons à repousser trois ennemis.
   - Oulah ! Tu sais que les Explorateurs ne font pas le poids face à leurs lasers.
   - Exactement ! Voilà pourquoi j’ai trouvé un plan infaillible ! Pendant que les trois Explorateurs principaux poseront les explosifs sur les rails, deux autres Explorateurs attendront à distance. Si des araignées arrivent, les Explorateurs planqués attaqueront par derrière. C’est pas génial ?
   - Non, intervint Fant.
   - Non ?
   - Non et je vous explique pourquoi. Je suppose que si vous proposez maintenant cette tactique, c’est parce qu’on vous a dit que je l’avais utilisée avec succès à la ville G-15. Correct ?
   - Euh… Oui, bien sûr.
   - Alors ce n’est plus la peine d’y penser. J’ai vu leur chef. Ca n’a pas duré longtemps, mais il ne m’a pas donné l’impression d’un abruti fini. Il ne se fera plus avoir par la même technique, il faut innover.
   - Euh… Mais c’est que je n’avais pas prévu ça…
   Mela fit alors une proposition :
   - J’ai une idée. A la ville G-15, je m’étais accroché à une de ces araignées. Mon poids nous a fait tomber tous les deux. Or, nous autres makis sommes adeptes de la technique maké pour se débarrasser des Ffs.
   - C’est à dire ?
   - On s’accroche à eux pour leur faire lâcher prise, et quand ils tombent, on saute sur une branche hors de danger.
   Gunat intervint :
   - Minute poulette. Ces bestioles sont en fer. Si tu la lâches, elle retournera au sol.
   - Exact. Mais si je la lâche d’assez bas, elle s’écrasera en percutant le sol. S’il n’y a qu’une seule araignée à la fois, c’est gérable pour moi.
   - Et s’il y en a plus, on te couvrira.
   La maki fut très étonné de découvrir que ce commentaire venait de Guissiquil. Les deux femelles venant de la milice approuvèrent du chef. Les peinturlurés ne lui avaient pourtant pas donner l’impression de particulièrement la tenir dans leur cœur. Peut-être étaient-ils plus dévoués qu’ils ne le semblaient.
   - Ne vous en faites pas, reprit Garlic. De toute façon, le dôme ne pourra pas envoyer plus d’une araignée à la fois.
   A ces mots, Ger explosa :
   - Putain, tu nous gaves, le nabot ! On avait enfin l’espoir de pouvoir nous fritter à du tangible et toi, tu nous gâches tout !
   - Ouais, c’est clair.
   - Tu pues, Garlic.
   - Euh… Si vous le dites… Enfin, il nous faut maintenant répartir les rôles. Qui fait quoi ?
   Les trois parodies de militaires répondirent en même temps :
   - On met les bombes !
   - C’est quoi une bombe ? (question de Fant)
   Pour éviter qu’il ne passe pour un niais trop longtemps, Gemp lui répondit :
   - C’est un petit ustensile que nous utilisons pour déblayer les tunnels. En gros, ça détruit tout dans un rayon d’un mètre au moment de la détonation.
   - Ah…
   Il n’avait pas l’air d’avoir plus compris.
   - Si ça ne déranze personne, ze veux bien surveiller Mela.
   - Pas de problème, frérot. Il y aura donc quatre Explorateurs, c’est parfait.
   - Non attendez !
   Mela, qui venait de lancer cette dernière phrase, ne se sentait pas vraiment rassurée à l'idée d’être protégée par le petit Gg zozotant.
   - Loin de moi l’idée de mettre en doute les talents de Glover, mais j’ai pris l’habitude de me battre avec Fant à mes cotés. Ne pourrait-il pas venir à sa place ?
   - Quoi ? Moi ? Mais depuis quand tu as besoin de moi ?
   Comme s’il n’était déjà pas assez dedans jusqu’au cou, Fondarfin décida de rajouter son grain de sel :
   - C’est vrai, Fant. Tu serais un atout précieux. Après tout, tu as surpris l’armée ennemie lors de la bataille de la ville G-15. Un pilote tel que toi sera une bonne chose.
   - Ben oui, mais c’était à G-15, quoi…
   - Allez Fant, fais-moi plaisir.
   Devant l’air insistant de Mela (et ses grimaces menaçantes pour bien lui faire comprendre qu’il n’avait pas intérêt à refuser), Fant du s’avouer vaincu.
   - Bon, d’accord. Je viendrai.
   - C’est réglé donc. Glover, puisque tu sembles tant vouloir venir, tu les accompagneras aussi. A cinq Explorateurs, vous aurez plus de chances. C’est le nombre qui me semblait optimum. Bien, vous partez dans cinq minutes. Allez vous préparer.
   - Déjà ?
   - Un problème, Fant ?
   - Ouais, elle a un problème, la pédale ?
   Résolu, Fant baissa la tête.
   - Non, aucun…

   - Enfin, mais pourquoi tu as demandé à ce que je vienne ?
   - Parce que j’ai plus confiance en toi qu’en ce Gg zozotant.
   La première réponse qui vint à l’esprit de Fant fut celle-ci :
   - T’es vraiment conne. Ce type pilote depuis beaucoup plus longtemps que moi, et lui il a vraiment l’intention de te protéger. Moi, je serai prêt à te trouer la peau si ça me permettait de vivre deux secondes de plus.
Par chance, il se retint et se contenta d’énoncer son manque d’expérience du pilotage.
   - Eh bien, c’est pas grave. Ca me va. J’ai confiance en toi et ça me suffit. Et à ce propos, je voulais te donner un truc. Attend une minute.
   La jeune maki rentra dans sa chambre et ressortit en tenant ce qui ressemblait très fortement à un pistolaser.
   - C’est quoi, ça ?
   - C’est l’arme que tenait le Ff qui a essayé de nous tuer l’autre fois. Il l’avait lâchée avant de fuir, alors je l’ai ramassé.
   - Mais on ne sait même pas ce que ça fait !
   - Il l’a pointée sur moi, tu peux être sûr que ce n’était pas pour soigner mes blessures. Ca marche probablement comme les arbalètes à explosion des Ggs.
   - Mais pourquoi tu ne le gardes pas ? Je serai dans un Explorateur, je n’en aurai pas besoin.
   - On ne sait jamais. Et puis de toute façon, je ne me fie pas à ces trucs bizarres. J’espère qu’il pourra un jour te sauver la vie.
   Entendant que Fondarfin les appelait, Mela arrêta la conversation et laissa Fant observer l’arme d’un air pensif.

8) Grand banditisme

   Nous revoici dans la jungle. Ca faisait un moment qu’on ne s’y était plus rendu. Depuis la dernière fois, rien n’avait changé. Les arbres étaient toujours aussi verts, les fleurs aussi colorées, la végétation si luxuriante, les oiseaux si nombreux et les prédateurs si repus. Justement, un trio de quadrupèdes digérait tranquillement en somnolant, soigneusement accroché au sol meuble par leurs griffes rétractiles. Le réveil fut brutal alors que l’Explorateur de Fant sortit d’un gigantesque fourré et écrasa bruyamment l’un des mammifères. Sous le coup de la surprise, les deux autres lâchèrent prise avant de se rappeler qu’il aurait mieux valu essayer de viser un arbre avant de sursauter bêtement.

   - Fant, je suis sûre que tu as fait exprès d’écraser ce pauvre turs.
   - C’est vrai, je l’ai eu ? Cool ! Depuis l’intérieur, je ne pouvais pas vérifier.
   Mela s’était posé entre les deux pattes de l’Explorateur de Fant et en profitait pour observer le paysage. A coté d’eux, Ger, Gunat, Guissiquil et Glover complétaient le groupe. L’unique Ff fut particulièrement heureux de constater que chaque membre de l’opération pouvait désormais communiquer. Depuis la première rencontre avec une araignée métallique, Fondarfin avait analysé les débris et repêché assez de connaissances pour fabriquer ses propres radios sans fil. On était loin d’atteindre le niveau des communicateurs ennemis, la portée restant limitée à quelques mètres tout au plus, mais la possibilité de se parler entre pilotes améliorait considérablement les chances de réussite d’une opération. Chaque membre, Mela incluse, se voyait donc porter un casque équipé d’un micro beaucoup moins encombrant que ceux qu’on trouvait dans les centres de communication Ggs. Par contre, il restait impossible de converser avec Garlic, resté à la ville G-13 et qui se rongeait les ongles devant un plateau figurant un plan de la région et sur lequel il déplaçait des figurines en forme d’araignées et d’Explorateurs. Non pas que ça manquait beaucoup en fait.

   Le moment où Fant se dit qu’il avait vraiment eu une riche idée en quittant son village paumé, c’est quand ils sortirent de la jungle pour tomber sur la voix ferrée. A vrai dire, celle-ci n’était guère impressionnante et consistait de trois rails espacés de deux mètres afin de laisser le passage à trois convois en même temps. Le point intéressant, c’est que pour la placer, on avait préalablement déforesté une bande de dix mètres de large qui s’étendait apparemment à l’infini d’un coté et jusqu'au dôme de l’autre. Et là, ben faut dire que le spectacle en valait la chandelle. Alors que Fant et Mela n’avaient jamais vu que des arbres à perte de vue, et un maké géant en ce qui concernait Fant, quand ils regardaient la jungle par en-dessous, ils apercevaient aujourd’hui une énorme demi-sphère toute de métal. Elle dépassait largement sous les arbres et devait être visible à des dizaines de kilomètres à la ronde pour quiconque descendait les plus grands arbres. Le dôme semblait scintiller à la lumière du jour orangé. Sur toute une partie, d’énormes lettres peintes en noir annonçaient « City-dôme n°984 » mais personne ici présent ne savait lire les pictogrammes employés par l’Empire.
   Effectivement, bien qu’il sembla y avoir quelques protubérances ici ou là, on ne voyait aucune ouverture telle que fenêtre, ventilation ou autre. Mais à cette distance, il semblait bien improbable de pouvoir apercevoir une de ces ouvertures si elle existait. On ne voyait qu’une très mince fente horizontale tout en bas (c’est-à-dire non à la base, mais au sommet) qui faisait tout le tour de la chose. Fant devina qu’elle devait servir pour laisser passer le canon lance-araignées. Le tout devait peser plusieurs milliers de tonnes. Pas étonnant qu’on l’ait construit en métal. Sans cette mystérieuse attraction, le dôme tomberait quelles que soient ses attaches.

   Ce bref moment de contemplation fut interrompu par Guissiquil qui cria dans son micro :
   - Allez, fini de mater, les petites pédales ! On a du boulot à faire !
   - Ouais, on fait tout péter ! renchérit Ger.
   Mela soupira avant de demander :
   - Bon, est-ce qu’il serait possible que vous utilisiez vos casques pour des commentaires un peu plus constructif ?
   - BORDEL DE BORDEL DE MES COUILLES, QU’ILS Y VIENNENT CES PETITS MERDEUX, QUE JE LES ETRIPE !
   - …
   Bref silence, finalement rompu par Fant :
   - Ce… C’était qui, ça ?
   Quelques rires en provenance des peinturlurés retentirent dans le casque, puis Gunat répondit :
   - C’est Glover. Il pète un câble dès qu’on le met au commande d’un Explorateur.
   - OUAIS ! CA TE POSE UN PROBLEME, CONNARD ?
   - Euh… Non, non. C’est bon, tout baigne.
   Il échangea un bref regard avec Mela à travers son cockpit. Apparemment, elle était aussi choquée que lui. Avant qu’ils aient le temps de se remettre, les trois militaires porteurs de bombes se dirigèrent vers les rails pour y placer leurs explosifs. Malheureusement, ils ne se rendirent pas compte de la présence d’un spider-bug pas loin en dessous.

   Spider-bug : nom masculin, 1) Petite caméra aéroportée grâce à un système d’hélices placées en-dessous, le but étant de l’empêcher de monter s’écraser. Ne ressemble absolument pas à une araignée. Rapporte immédiatement la moindre intrusion au centre le plus proche.
2) Se dit d’une personne qui se mêle d’affaires qui ne la regardent pas.

   Cette définition explique pourquoi, la première bombe n’étant même pas encore posée, le dôme orienta son canon dans la direction des rails et envoya immédiatement un spider-scout pour tenter d’empêcher l’odieux forfait. Malheureusement pour le pauvre spider-scout en question, la détonation s’entendit de loin et le sifflement caractéristique d’un objet qui file à grande vitesse à travers l’air eu tôt fait d’alerter Mela. Ainsi, l’araignée eut à peine le temps de se déployer que la maki s’agrippait déjà à elle et qu’elles empruntaient toutes deux la voie de la Chute infinie. Comme prévu, Mela sauta au dernier moment sur un arbre à proximité, mais elle faillit se rater, vu la distance qui la séparait de l’arbre le plus proche. Elle n’avait pas tout à fait prévu de se battre en terrain si découvert. De son coté, l’araignée repartit vers le sol avec une vitesse sans-cesse croissante et s’éclata violemment. Fant comprit alors pourquoi ces sales bêtes étaient envoyées par le canon sous forme de grosses boules. Elles devenaient trop sensibles aux chutes une fois en position de combat. De son coté, Mela tenta de remonter l’arbre aussi vite qu’elle pouvait. Il fallait être au niveau du sol au moment de l’envoi de la prochaine araignée.

   Pendant ce temps, les peinturlurés avaient ouvert leur cockpit et plaçaient chacun une bombe sur un rail en s’espaçant suffisamment pour faire le maximum de dégâts possibles. Fant s’éloigna un instant pour aller récupérer son amie toute essoufflée qui venait d’arriver au niveau du sol. Ger referma son cockpit et commença à s’éloigner de son rail. La situation s’annonçait plutôt bien. La pose des explosifs avançait vite, le dôme allait bientôt envoyer une deuxième araignée qui rejoindrait sa copine sans tarder et tout le monde rentrerait sans problème. Bien sûr, si je dis que tout va bien, vous l’aurez compris, c’est bien parce qu’une complication ne va pas tarder à surgir. Et effectivement, pile à l’heure, un train arriva depuis le dôme. Mis au courant de la tentative terroriste par le spider-bug, il avait déjà commencé à freiner à s’arrêta bien avant la zone à risque. Là où sa présence devint problématique, c’est quand l’un des wagons s’ouvrit pour laisser sortir deux spider-warrior dans un grand nuage de vapeur. Fant avala difficilement. Ces bestioles étaient beaucoup trop ferrées pour que le poids de Mela les emporte. Il allait falloir qu’elle utilise la bonne vieille méthode de l’arrache-cockpit et du jet-de-pilote. Alors qu’elle s’apprêtait à sauter dans leur direction, un sifflement de mauvais augure retentit et Fant se protégea machinalement la tête. Le sifflement s’arrêta au moment où un nouveau spider-scout s’écrasa juste à coté de l’Explorateur. Mela hésita une brève seconde, puis sauta sur la petite araignée beaucoup plus proche.
   - Fant, occupe-toi des deux autres !
   Le visage de l’interpellé devint livide et sa main trembla quand il s’alluma le petit cône de plum qu’il avait emporté au cas où…

   - OUAAAAAAAAAAHHHHHHH !
   Glover n’avait pas attendu. Dès que le train s’était arrêté, il avait décidé d’entrer en action et avait avancé son Explorateur droit vers la menace, bien décidé à se débarrasser de son trop plein de testostérones. Quand les grosses araignées métalliques apparurent devant lui en pleine vapeur, cela ne fit qu’accroître la puissance de son cri et il chargea sans réfléchir. Les pilotes des araignées ne s’attendaient certes pas à se faire ainsi charger, et certainement pas par un gros truc auusi poussif. En conséquence de quoi le choc fut-il très rude pour la pauvre Gg qui pilotait le spider-warrior que percuta l’Explorateur. J’ai déjà dit que ces machines étaient assez lentes, mais ce défaut est compensé par la puissance du bestiau. Alors que l’Explorateur encaissa plutôt bien le coup, l’araignée fut à moitié broyée et l’habitacle devint vite un peu étroit pour celle qui s’y trouvait. L’autre pilote de spider-warrior, bien qu’ayant entendu un monstrueux bruit de métal tordu pas loin, préféra se concentrer sur Fant et fit d'autant moins attention à sa collègue que la vapeur a du mal à se disperser quand on est au plafond et que donc la visibilité était plutôt réduite. La malheureuse Gg fit tout son possible pour défoncer la trappe de sortie de son appareil, mais celle-ci était déjà tellement tordue qu’elle refusait obstinément de s’ouvrir. Juste à coté, Glover continuait d’avancer en hurlant comme un goret et il finit par amener le spider-warrior contre le train. Loin de l’arrêter, il pressa d’avantage la manette pour avancer et sa victime se retrouva impitoyablement broyée entre le train et l’Explorateur qui pour le coup subit quand même de méchants dommages.

   De son coté, Fant entendit plus qu’il ne vit que l’un des ennemis en prenait pour son grade et alors que l’araignée restante sortait du nuage de fumée afin d’avoir une cible soigneusement dégagée, le deuxième spider-scout lâché par Mela s’écrasa quelques mètres derrière lui. Sous l’effet du plum, il constata avec intérêt que l’ennemi l’alignait soigneusement quand Mela lui hurla dans le casque :
   - Fant ! Réagit ! Fais quelque chose, il va te tirer dessus.
   Se réveillant vaguement, et sans trop savoir pourquoi, il tira un levier qu’il n’avait encore jamais touché jusqu’ici. Une petite trappe s’ouvrit alors sur le dessus de l’Explorateur et une grosse barre de fer en jaillit pour se planter dans le sol. Partiellement libérée de l’attraction magnétique, la machine se mit aussitôt à tomber vers le néant. Le tireur s’immobilisa alors qu’il s’apprêtait à tirer. Sa proie venait de tomber toute seule. Après une rapide observation, il constata que l’appareil n’était pas vraiment tombé. Ses pieds étaient restés magnétisés et s’étaient séparé du reste de l’Explorateur. Un câble partait de ces deux pattes et tenait sûrement l’habitacle qui pendait plus bas (je vous invite fortement à relire la description des Explorateurs dans l’épisode 3 pour une explication plus détaillée de cette fonction et de son utilisation habituelle). Malheureusement, le cockpit des spider-warrior empêchait de regarder vers le bas. Qu’à cela ne tienne, un bon tir dans l’un des câbles, et le gugusse en bas ferait moins le malin. Alors que le Ff impérial visait soigneusement pour ne pas rater son coup, un tir de laser perfora le moteur de son araignée et le tout explosa de spectaculaire façon. Un peu plus bas, Fant avait ouvert son cockpit (maintenant, il savait faire) et contemplait d’un air émerveillé le pistolaser encore fumant que Mela lui avait offert. Y avait pas à dire, c’était efficace. Il fut tiré de ses pensées quand Mela sauta depuis l’arbre où elle se trouvait jusque sur l’Explorateur suspendu (Fant ne compris jamais comment elle pouvait oser faire des sauts pareils alors que la moindre erreur n’offrait aucun seconde chance) et lui cria dans les oreilles en plus du casque :
   - Referme ton cockpit et ramène-nous là-haut ! On n’est pas encore tiré d’affaire.

   Effectivement, une lente remontée motorisée et une récupération de barre métallique plus tard, Fant découvrit que Glover s’acharnait toujours contre la coque du train et que les trois peinturlurés s’étaient déjà cassés. Exhorté par Mela, il alla rejoindre le Gg berserk et s’aperçut très vite que son Explorateur n’irait pas plus loin. Il l’avait complètement bousillé. Dans leurs casques, ils entendirent Guissiquil les appeler :
   - Alors ? Vous ramenez votre cul, oui ?
   - Une minute, on récupère Glover.
   Mela passa de l’appareil de Fant à celui du Gg et ouvrit sans peine le cockpit défoncé.
   - JE VAIS VOUS ENCULER A SEC, BANDE DE MER… Euh… Ou-oui ?
   - On décampe, Glover. Sort de là.
   A peine avait-elle dit cette phrase que les explosifs détonnèrent en même temps, brisant les rails et bloquant définitivement le train. Le contenant du train ne pouvant plus être livré, autant l’utiliser. Les trois wagons suivants s’ouvrirent et lâchèrent chacun deux nouveaux spider-warrior et beaucoup de vapeur pour un effet maximum. Pressant son micro contre sa bouche, Mela rajouta à destination de Guissiquil et des deux femmes soldats :
   - Finalement, ne nous attendez pas. On va être un peu retardé.

   Se tournant vers Fant, la maki le trouva étrangement calme. Il lui fit même un sourire innocent. Elle comprit alors qu’il n’était certainement pas en état de l’aider d’une quelconque façon que ce soit et s’apprêta à emporter le maximum d’ennemis avec elle dans un dernier baroud d’honneur. Se levant à son coté, Glover aperçut le danger et se mit à sangloter.
   - Allons, debout soldat !
   Rien n’y fit, il était redevenu le timide zozotant qu’elle avait rencontré à la ville G-13. Se tournant une dernière fois vers Fant, elle vit que celui-ci avait de nouveau ouvert son cockpit et regardait la paroi du train contre lequel ils étaient collés.
   - Fant, je vais tenter de les attaquer. Essaye de fuir pendant ce temps.
   Tout souriant, il se contenta de se tourner vers elle et de lui répondre :
   - J’ai une meilleure idée.
   Deux minutes après, les deux Explorateurs se faisaient éclater sous une pluie de lasers. Une rapide inspection des décombres et de la zone environnante ne montra aucune trace de survivants. Les spider-warrior retournèrent dans leur wagon respectif et le train repartit vers le dôme.

9) Comment terminer un épisode trop vite

   Annoncer une mauvaise nouvelle à F n’était jamais une épreuve facile. Le pauvre commandant Gg qui devait s’y coller aujourd’hui pouvait à nouveau le constater. C’est amusant de voir à quel point c’est toujours pire en live que dans les souvenirs.
   - Et donc ? Que vouliez-vous me dire de si important ?
   Comme à chaque fois qu’il sentait venir la mauvaise nouvelle, F prenait son air le plus serein qui soit. Très dure épreuve pour le messager qui aurait donné très cher pour voir le commandant se mettre sainement en colère.
   - C’est à propos de la voie de rails.
   - Eh bien, qu’a-t-elle, la voie de rails ?
   - Un groupe de Ggs en Explorateurs vient de la saboter. Les trois rails sont hors service et deux spider-warriors du convoi de ce matin ont été détruits.
   - Il me semblait bien avoir entendu le canon tirer à deux reprises. J’en déduis que nous avons aussi perdu deux spider-scout. Le convoi est-il arrivé à destination ?
   Imperator tout puissant ! Si je lui dis, il va encore faire son petit sourire.
   - Euh… Non, il a été obligé de revenir ici.
   Comme prévu, le visage de F se fendit, ou plutôt se tordit, d’un tout petit sourire en coin. Le Gg sentit un frisson glacé lui descendre l’échine.
   - La scène a-t-elle été filmée ?
   - Oui, oui ! Enfin, plus ou moins…
   - Comment ça « plus ou moins » ? Des spider-bug n’ont-ils pas été déployés ?
   - Si, bien sûr ! Mais… Enfin, il vaut mieux que vous voyiez par vous-même.
   Le messager se dirigea vers une console murale pleine de boutons et de petites lumières clignotantes et lança l’enregistrement sur grand écran après quelques pianotages hésitants.
   F s’assit en tailleur et se cura tranquillement l’oreille (avec le pied, ais-je encore besoin de le préciser ?) pendant toute la projection. A la grande terreur du Gg, le sourire de F s’élargit encore un peu quand Mela apparut et il laissa même apparaître les dents au moment de la petite manœuvre de Fant pour se débarrasser de son adversaire. A la fin du visionnage, F se releva lentement et se tourna encore plus lentement vers le subordonné qui était sur le point de s’évanouir :
   - D’où vient toute cette vapeur qui empêche de voir ?
   - Euh… C’est vous qui aviez demandé à ce qu'on remplisse les wagons de vapeur juste avant de déployer les spider-warrior. Une histoire d’effet psychologique sur l’adversaire…
   Une courte seconde d’attente, puis tout aussi calmement :
   - En effet, je m’en souviens. Oui, l’effet psychologique est très important, mais l’opacité sur le champ de bataille est très gênante. Il faudra que je note de diminuer la quantité de vapeur relâchée…
   - Au moins trois des attaquants ont trouvé la mort, ajouta bêtement le Gg dans une vaine tentative de détendre l’atmosphère.
   Il s’interrompit dès qu’il vit son supérieur le fixer avec l’ombre d’un sourire sur les lèvres. Une grosse boule se forma dans sa gorge.
   - Vous semblez bien sûr de vous, dites-moi. Aurait-on retrouvé des corps ?
   - Euh… non, bien sûr. Ils ont dû tomber…
   - …
   - Non ?
   F poussa un soupir théâtral et se laissa mollement tomber sur une chaise :
   - Les Ggs n’ont jamais été réputés pour leurs capacités de réflexion, n’est-ce pas ? Question : où se trouve le spider-bug par rapport au champ de bataille ?
   Se sentant parfaitement crétin, le Gg répondit faiblement :
   - En-dessous ?
   - Bien. Deuxième question plus difficile : Dans quelle direction ont tendance à tomber les cadavres ?
   - Vers le bas… Oh !
   - Ben oui.
   - Je n’avais pas vu la situation sous cet angle.
   - Et ça ne m’étonne pas le moins du monde venant d’une personne telle que vous. Toujours est-il que nos trois compères s’en sont sorti je ne sais encore comment sous couvert de la vapeur. Le retour du convoi n’est pas une si mauvaise chose, nous allons pouvoir utiliser le matériel qui se trouve à bord. Nous avons assez attendu. Il y a suffisamment de spider-warrior en réserve dans ce city-dôme pour écraser trois villes Ggs aidées d’autant de Ffs et de makis qu’ils auront pu trouver. Que l’armée se tienne prête, nous partons dans trois jours. Cette fois, cette ville tombera.
   - Et pour les rails ?
   - Leur réparation attendra. Vous pouvez disposer, mon brave.
   - Euh…
   - Oui ?
   - Vous ne me punissez pas ?
   - Non pas de punition. Allez, tirez-vous.
   F fit négligemment une roulade depuis sa chaise et atterrit en tailleur sur le sol où il commença à tracer des tas de lignes très compliquées en se mettant le pied dans l’oreille. Le Gg sortit de la pièce sans oser respirer. Une fois dans le couloir, il laissa échapper un gros soupir. Il tremblait de partout. Même pas de punition après avoir annoncé une si mauvaise nouvelle ! Vraiment, des commandants pareils, c’était invivable.

   Trois jours plus tard, une grosse armée composée de la majeure partie des forces du city-dôme quittait celui-ci pour partir à la conquête de la ville G-15. Comme vous l’avez lu dans le chapitre 1, la résistance allait être à la limite du ridicule et la ville serait prise sans perte pour l’Empire Métallique. Aussi nous intéresserons-nous plutôt à la situation à l’intérieur du dôme.

   - Debout là-dedans ! Ils sont partis !
   Ce cri vigoureux venait d’être poussé par Fant à l’intention de Mela et Glover. Ceux-ci sortirent timidement de la petite réserve à charbon qui leur servait de cachette depuis trois jours. Bien entendu, l’idée de Fant pour fuir la bataille avait été de s’accrocher au train et de rentrer discrètement par là où étaient sorties les araignées métalliques. Ce plan, en plus de leur avoir sauvé la vie, leur avait permis de rentrer dans le dôme. Comme ils l’avaient vite découvert, les militaires s’habillaient exactement comme n’importe quel représentant de leur espèce respective. Ils avaient ainsi pu se promener comme ils le voulaient, ou presque. Le cours moment où Mela avait dû se déplacer du train jusqu’à la cachette avait attiré beaucoup de regards. Apparemment, les makis étaient plutôt rares et les différents membres du personnel s’étonnaient plus facilement d’apercevoir un visage inconnu. Aussi Mela avait-elle dû rester dans la réserve à charbon durant ces trois jours. Les incisives proéminentes de Glover ainsi que son zozotement continu lui donnant un air peu militaire, Fant avait limité au maximum les sorties du Gg, ce qui donna un peu de compagnie à Mela. Le Ff de son coté prit un malin plaisir à se promener un peu partout, à se présenter à la cantine plusieurs fois pour ramener de la nourriture à ses amis, poussant même le vice jusqu’à manger avec les autres soldats et à discuter avec eux. L'organisation militaire de l’Empire semblait ne fonctionner correctement que sur les champs de bataille. L’administration était catastrophique et personne ne se rendit compte que trois rations supplémentaires disparaissaient à chaque repas.
   Tout le dôme semblait en fait être une succession de couloirs et de pièces compliquées, bâties entièrement dans du métal mais recouvert de cloisons isolantes grises. Le tout avait un effet plutôt relaxant et les précédents séjours de Fant dans les grottes lui permirent de ne pas trop déprimer face à l’absence d’air extérieur. D’autant que l’aération était excellente.

   Sa visite de la caserne-usine que semblait être ce dôme se révéla passionnante. Il avait assez vite compris le but de l’installation. Il s’agissait d’une usine à araignées métalliques. On y construisait de tout : des petites (les spider-scout), des grandes avec pilotes (les spider-warrior), des petites saloperies automatisées (les spider-spy), des petites caméras qui réussissaient à se détacher du sol sans tomber (les spider-bug) et même de plus gros engins volants avec pilote, mais non armés (les spider-fly, que nous n’avons pas encore eu l’opportunité de rencontrer). Ses nombreuses discutions lui apprirent plus ou moins comment fonctionnaient ces petites merveilles et certains aspects de la construction et de l’assemblage lui semblèrent soudain moins « magiques » qu’il ne le pensait. Par contre, il évita au maximum de se faire des amis. D’abord pour éviter qu’on finisse par lui poser des questions déplaisantes, ensuite parce qu’il avait bien l’intention de faire sauter l’endroit et qu’il ne voulait pas s’encombrer de remords. L’usine était dotée d’un énorme réacteur dans les niveaux supérieurs et Fant avait vite noté avec quelle nervosité en parlait les techniciens. La zone était trop surveillée pour pouvoir s’y infiltrer plus tôt, mais avec toute l’armée partie, l’opération devenait possible.

   - Debout là-dedans ! Ils sont partis !
   Vous allez dire que je me répète, mais c’est ce cri que poussa Fant pour faire sortir Glover et Mela de leur cachette une fois l’endroit moins encombré. C’est avec joie que Mela bondit hors de la réserve après s’être assurée que personne ne regardait dans sa direction. La réserve à charbon se trouvait dans un gigantesque hangar à la sortie des chaînes de production et tout près des quais d’où partaient les trains.
   - Enfin ! Y en avait marre de ce réduit. Allez, on se tire d’ici. Je suis pressée de manger de la vraie nourriture et de faire un peu d’exercice.
   - Désolé de te décevoir, Mela, mais j’ai un autre plan.
   - Oh non. Quoi donc ?
   - On fait sauter l’endroit…
   - Hein ? Et nous ?
   - Ne t’en fais pas, j’ai un plan infaillible.
   Alors que Mela commençait à se laisser persuader, Glover intervint :
   - Mais, et les Zabitants ?
   - C’est vrai ça ! On n’est pas venu ici pour commettre un massacre. Je ne marche pas.
   - Mela, ce complexe est purement militaire. Il n’y a ici que des soldats dont l’intention est de se battre. Tu ne montrais pas autant de remords quand tu les arrachais à leur cockpit.
   - Mais c’était une question de survie !
   - Et là non ? Si nous détruisons cet endroit, nous sauvons la ville G-13 et toutes les autres villes alentours. D’ailleurs, presque tout le bâtiment est désert. On ne tuera presque personne.
   - Désert ? Où sont-ils partis ?
   - Ca, je ne sais pas, mentit Fant. Mais je m’en fout complètement, dit-il honnêtement.
   - Alors ? On y va ? demanda Glover.

   L’opération se révéla encore plus facile que prévue. Ils ne rencontrèrent presque personne et n’attirèrent aucune attention. La sécurité du réacteur était très réduite et ils passèrent avec un tir de pistolaser et un bon coup de la part de Mela. Amusant de voir à quel point l’ennemi ne s’attendait pas à ce que quelqu’un puisse s’introduire dans sa base. Quelques baffes sur un technicien leur révéla comment augmenter la pression dans le réacteur. Un nouveau tir de pistolaser empêcha ce même technicien de donner l’alerte et notre groupe se mit en quête de la baie aux spider-fly. C’est là que les choses se corsèrent.

*****

Fondarfin manqua tomber à la renverse quand Ger, de retour de sa mission d’observation lui révéla que le dôme venait d’exploser. Lui et Garlic n’eurent pas le temps de réfléchir à ce qui avait pu se passer que Gemp les prévenait d’une attaque sur la ville. En effet, Guissiquil et Gunat, équipés d’un canon IMπ, s’apprêtaient à en découdre avec une sorte de grosse bulle métallique montée sur une hélice tournoyante qui venait d’arriver au-dessus de la ville en passant par la faille. Ils grognèrent de dépit quand le cockpit de l’appareil s’ouvrit pour révéler Fant et un autre Ff aux commandes, les privant de leur dose quotidienne d’action. Fondarfin et Gemp, quant-à-eux, crurent à un miracle quand ils aperçurent celui qu’ils croyaient mort depuis maintenant trois jours. Après l’atterrissage, on s’échangea des accolades et quelques questions, on ligota vite fait le Ff ramené en souvenir, mais Gunat cassa l’ambiance en demandant :
- Et où sont Glover et la maki ?
- …
- C’est vrai ça, où sont-ils ?
Fant prit alors son meilleur air de circonstance et annonça d’une voix poignante de sincérité :
- Je suis désolé. J’ai fait tout mon possible, mais ils ne s’en sont pas sortis…

*****

On est toujours un peu surpris quand on est en pleine jungle et qu’on débouche sur un gigantesque cratère avec juste quelques restes d’arbres carbonisés disparates. Dans les secondes qui suivent, la surprise fait place à l’horreur quand on prend conscience que son habitat devrait se trouver au centre approximatif du cratère. F ouvrit la trappe de son spider-warrior et se hissa entre les pattes pour vérifier, des fois que la verrière de son cockpit lui jouerait des tours. Ce n’était pas le cas.

L’armée du City-dôme n°984 se rassemblait sur les bords du cratère, certains osant même s’avancer encore de quelques pas. Bien que très peu profond, la circonférence faisait peur à voir. Quelques arbres avaient pris feu aux alentours, mais dans un monde à l’envers, les incendies ont du mal à s’étendre. Une épaisse fumée stagnait dans le fond du cratère, n’arrivant pas à s’échapper. Néanmoins, il n’y avait nul besoin de disperser ces fumées pour constater que le dôme n’était plus là. Quelques lourds débris métalliques constellaient la zone et nul doute qu’on devait pouvoir en trouver à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Impossible de compter les pertes : s’il restait encore quelque chose des habitants, ce quelque chose se dirigeait actuellement à vitesse grandissante en direction du bas.
Quelques soldats qui s’étaient également hissés hors de leur spider-warrior se tournaient maintenant vers F, attendant des directives auxquelles se raccrocher. D’autres serraient la mâchoire ou pleuraient. Le Ff se rappela que certains d’entre eux avaient une famille. Il composa alors son meilleur air de commandant juste et impassible et donna ses ordres :
- Que tout le monde reste groupé. Farir, prenez trois hommes avec vous et parcourez la zone à le recherche de spider-bug qui n’auraient pas été endommagés. Grund, vous et votre unité, vous resterez ici au cas où d’éventuels survivants tenteraient de revenir. Laissez tous les canaux de communication ouverts. Nous enverrons un cuirassé pour vous rapatrier. Tous les autres, vous retournez dans vos spider-warrior respectifs. Que l’infanterie monte sur le ventre des appareils, pas plus de deux personne par spider. Nous partons immédiatement vers le centre d’échange n°178. Allez, on bouge. Vous pleurerez plus tard.

Tous les hommes obéirent en silence et l’armée se mit en marche. F devina que les commentaires et les hypothèses devaient courir sur les ondes, mais il laissa ses hommes parler entre eux sans connecter sa radio. Ils avaient besoin de parler librement (c’est en se disant ce genre de phrases que F se sentait l’âme d’un leader né). Il doutait fortement qu’un spider-bug ait pu résister à une telle déflagration et encore plus qu’il ait filmé un détail significatif, mais pour lui, ça ne faisait aucun doute. Une telle explosion ne pouvait être déclenchée que par une surchauffe du réacteur magnétique. Et une surchauffe du réacteur n’arrivait pas accidentellement . F ignorait comment on s’était introduit dans le dôme, mais l’Empire n’avait jamais établit de mesures de sécurité anti-intrus à l’intérieur de ses villes. Une fois là, n’importe qui de suffisamment informé pouvait se glisser jusqu’au réacteur et provoquer une surchauffe. Ce n’était même pas la peine de chercher le coupable, ça ne pouvait être qu’une personne. Décidément, la vie de F était devenue très intéressante depuis sa rencontre avec ce Fant, mais il faut bien dire que là, ça devenait un peu trop intéressant. Il allait falloir se concentrer sérieusement sur cet emmerdeur. En attendant, il faudrait proposer de nouvelles normes de sécurité. Quel ennui !

10) Comment se rattraper en rallongeant la fin

   Oui, d’accord, je comprend bien que vous soyez un peu dégoûtés de ne pas savoir ce qu’il s’est passé dans le dôme. Vous mourez tous d’envie de savoir qui est ce Ff que Fant a ramené avec lui, à moins peut-être que vous ne préfériez savoir ce qui est arrivé à Glover et Mela…
   J’adorerai faire durer le suspens jusqu’au prochain épisode, faire un « A suivre » à la Heroes au pire moment et vous laisser vous ronger les ongles pendant que je promets légèrement d’écrire très vite la suite. Mais bon, il me reste un chapitre à écrire, et contrairement à ce qu’on raconte, je ne suis pas cruel, enfin pas là en tout cas. Alors on va se faire un petit flash-back sympa si vous voulez bien.

   Notre groupe hétérogène courait donc dans les couloirs, provoquant une certaine surprise chez les quelques personnes insouciantes qu’ils croisèrent. La faille dans le plan de Fant, c’est qu’il avait une mémoire de lombric et qu’il ne se souvenait absolument pas du chemin qu’il avait pris quand il était tombé accidentellement sur le hangar aux spider-fly pendant ses déambulations. Par voie de fait, Mela et Glover suivirent Fant avec confiance alors que cet abruti s’éloignait de plus en plus de son but. Son inquiétude dut commencer à se voir, parce que Mela proposa assez vite de demander le chemin à quelqu’un.
   - Quoi ? Et pourquoi pas sonner l’alerte tant qu’on y est ? Ces types connaissent leur base par cœur. Si on demande à quelqu’un, on est sûr qu’il va se poser des questions.
   - Certes, mais je pensais lui poser la question de façon plus subtile.
   - Subtile ? Qu’est-ce que tu appelles… Ah, d’accord. Subtil, oui. Pas bête.
   Le Ff ressortit donc son pistolaser et s’apprêta à menacer le premier abruti qui se pointerait. Le couloir étant malheureusement désert, le groupe entreprit d’avancer précautionneusement. Finalement, Mela intervint :
   - Bon, c’est pas comme si on avait la journée. Je rappelle aux plus lents d’entre nous que l’endroit va bientôt Chuter. Alors voilà ce que je propose : séparons-nous, on aura plus de chances de se faire tu… Euh non, on aura plus de chances de tomber sur quelqu’un. On a juste à ne pas s’éloigner. Il y a des portes partout, on n’a qu’à les ouvrir.
   - Et si on tombe dans zune pièze où il y a pleins de vilains ?
   - Et bien tu cours, Glover. Tu sais faire, non ?
   - Euh… oui.
   - Alors c’est parfait !
   Et sur ces mots, Mela partit plus en avant dans le couloir pendant que Fant et Glover entreprirent d’ouvrir chaque porte du couloir une à une. Ils ne savaient pas trop où ils étaient tombés, mais l’endroit était sacrément vide. Pour les lecteurs que ça intéresse, il s'agissait de la section du service d’entretien, mais on leur avait donné leur journée.
   Après une section de salles toutes aussi métalliques les unes que les autres, parfois même avec des panneaux clignotants sur les murs, ils arrivèrent à un coude où se trouvait une porte autrement plus large que les autres. Rassemblant son courage, Glover poussa valeureusement le double battant et arriva dans une grande salle de détente, comme le montraient les diverses tables et tabourets, ainsi que le bar, et au fond de laquelle s’ouvrait une gigantesque baie vitrée par où rentrait une lumière crue. Intrigué, Glover s’approcha et ouvrit une porte vitrée qui donnait sur un balcon métallique. Fant sentit venir (à raison) le coup foireux.

   Et pour cause, sous les yeux de Glover s’étendait une ville. Alors que Fant s’approchait, il réalisa ce que son compagnon était également en train de réaliser. Le bâtiment militaire dans lequel nos trois compagnons avaient passé les derniers jours n’était qu’une très infime partie du dôme, un simple bâtiment parmi des milliers, posé au sol, et donc tout en haut de la ville. Le dôme semblait au moins quatre fois plus grand vu de l’intérieur. En regardant vers le bas, on avait autant le vertige qu’à l’extérieur. Plusieurs dizaines de villes Ggs auraient pu tenir ici. De gigantesques colonnes métalliques (habitées, vu les milliers de fenêtres qui les constellaient) partaient du sol pour atteindre la voûte plus de cinq cent mètres plus bas. De là, des centaines d’autres bâtiments s’étendaient à l’horizontale sur de nombreux étages. Le terme « cité de métal » pourrait sembler approprié à cette description, mais c’est parce que je n’ai pas encore terminer de décrire. En effet, cette mégalopole était envahie de végétation. Non pas une végétation sauvage comme à l’extérieur, mais une végétation apprivoisée, comme si on l’avait dressée à ne pousser que là où elle décorait sans gêner. Ainsi, de grands arbres comme ceux qu’on voyait dehors poussaient ici également. Et comme dans un village Ff, on y avait creusé des huttes. Mais ici, ces huttes étaient beaucoup plus modernisées et d’autres habitations métalliques avaient été fabriquées sur les branches. Des plantes grimpantes recouvraient certains grands bâtiments, mais étrangement, rien ne semblait rouillé. Tout était éclatant, à l’image de la lumière blanche aveuglante qui provenait du bas. Aurait-elle été orange qu’on ne se serait pas rendu compte qu’on était en intérieur.

   Voilà, je pourrais aussi longuement vous décrire les véhicules, que ce soit ceux qui restent au sol, ceux qui volent ou ceux qui se déplacent le long des structures verticales. Je pourrai aussi décrire à quel point la ville grouillait de vie, le secteur des affaires, le secteur ouvrier, le secteur administratif, etc. Mais à vrai dire, on s’en fout un peu puisqu’une demi-heure plus tard, plus rien de tout ça n’existerait. A ce propos, certains pourront comprendre la réaction de Glover :
   - Mais il y pleins de zens ! Il faut vite retourner arrêter l’exzplozion !
   Alors qu’il faisait demi-tour et s’apprêtait à courir dans le couloir pour appeler Mela, Fant le retint négligemment en lui passant un bras en travers du torse.
   - Tututut ! Pas de précipitation. Réfléchissons calmement et posément.
   - Mais il y a pleins de zens ! On ne peut quand même pas les laisser mourir, ze ne sont même pas des zoldats.
   - Ecoute, demi-portion. C’est eux ou ta ville. Non, je dis ça, mais c’est parce que les araignées métalliques, elles viennent quand même d’ici.
   - Mais il y a zûrement moyen de z’arranger. Ces zens doivent être raizonables.
   C’était la première fois (hors Explorateur) que Glover parlait autant. Ce détail fit comprendre à Fant qu’il n’arriverait pas à le raisonner.
   Bon. Plan B.
   - Glover ! Tu veux aller trop vite. Regarde donc par là !
   - Où za ?
   - Là, tout en bas de cette grande tour métallique. Tu vas voir pourquoi je ne veux pas sauver ces gens.
   Intrigué, Glover se pencha pour mieux voir. C’est seulement dix mètres plus bas qu’il comprit que Fant lui avait attrapé la jambe et l’avait fait basculer par dessus la barrière.

   Le cri nasillard alla décrescendo et finit par se perdre dans le lointain. Avec un petit sourire satisfait, Fant retourna dans la salle de détente. Puis il s’immobilisa et arrêta de respirer. Finalement, l’air accepta de sortir de ses poumons et en passant dans sa gorge contractée, il forma le son :
   - Et merde…
   Droit devant Fant, dans l’encadrement de la porte, se tenait Mela. Ses grands yeux ahuris prouvèrent au Ff qu’elle avait tout vu, ou en tout cas, qu'elle avait vu la mauvaise partie.
   - Tu…
   Elle ne parvint pas à exprimer sa pensée et Fant ne brisa pas le silence, de peur que sa voix ne la fasse sortir de sa torpeur. Malheureusement, même sans ça, le visage de la maki commença à se tordre peu à peu et l’expression de stupeur se mua en expression de colère pure. Et sur un maki, ça fait peur.
   - Je dois pouvoir trouver une explication raisonnable, si tu me laisses juste le temps d’y réfléchir un peu.
   - Tu l’as tué…
   - Euh… (Foutu pour foutu…) Oui, oui c’est vrai, je l’ai tué. Mais ce que tu ne sais pas, euh… Oui, il allait nous trahir et…
   - Tu es un lâche !
   - Quoi ?
   - Tu as tellement peur de voir les araignées attaquer la ville G-13, que tu préfères détruire une ville vingt fois plus grande avec tous ses habitants !
   - Euh… C’est une façon de voir les choses, mais…
   - Je sais maintenant que ta fuite n’était pas feinte lors de notre première bataille contre les araignées métalliques. Je suis même sûre que ce n’est pas l’honneur qui t’a fait quitter ton village.
   - Eh bien oui, je suis un lâche ! Mais en même temps, tu as été naïve de penser que j’étais un grand héros sans peur et sans reproche. Moi, je n’ai rien demandé d’autre qu’à ce qu’on me foute la paix !
   - Et pour ça, tu as tué Glover…
   - …
   Le visage de Mela était maintenant un masque de haine pure. Fant fut tellement impressionné qu’il ne sut plus quoi répondre. Aussi soudainement qu’un éternuement, la femelle maki chargea avec l’intention évidente de faire suivre à Fant la voie qu’il avait indiquée à Glover. Sa course fut brutalement interrompue par la rencontre avec un tir de pistolaser. La stupeur se peignit sur ses traits et elle bascula lentement en arrière alors qu’elle réalisait ce qu’il venait de se passer. Fant s’approcha prudemment d’elle, le pistolaser encore fumant. Timidement, comme si Mela risquait encore à tout moment de se redresser, il avança :
   - Tu voulais que cette arme me sauve un jour la vie. J’ai le plaisir de t’annoncer qu’elle vient de le faire. Je dois te remercier pour ce précieux cadeau.
Les mains sur la plaie qui traversait son corps de pars en pars, la maki ne put émettre qu’un faible grognement. Rassuré, Fant s’autorisa un sourire et poussa un peu sa témérité :
   - Au fait, tu sais, la guerre qui a décimé ton village…
   Les yeux de Mela se mirent à luirent d’une lueur inquiétante.
   - … Non, rien.

   C’est par la suite que Fant trouva un agent d’entretien plus qu’heureux de le conduire au hangar des spider-fly (on est toujours très heureux d’aider son prochain quand celui-ci vous colle le canon d’un flingue entre les omoplates). Ce qui n’empêcha pas que l’agent d’entretien en question finit oxydé et planqué dans un placard à balai. Un pilote de spider-fly prit avantageusement le relais et proposa même, à la suite à une petite démonstration motivante, de piloter lui-même. A noter qu’il ne regretta pas vraiment son geste, vu qu’il lui permit de survivre.

   En tout cas, voilà, vous savez tout. Vous êtes bien dégoûtés, hein ? Vous pensiez que Mela allait s’en tirer ? C’est bien mal me connaître. Niark ! Et fin de l’épisode, d’abord.


Vous vous demandez comment F essayera de se venger ? Vous voulez savoir ce qui se trouve au bout des rails qui partaient du dôme ? Vous êtes dégoûtés que depuis le premier épisode, on n’a toujours pas expliqué d’où venait le maké géant ? Alors ne manquez pas la suite de cette histoire fabuleuse autant qu’immorale :
Histoire de l’Empire Métallique
Episode 5 : Retrouvailles