HISTOIRE DE L'EMPIRE METALLIQUE
épisode 5

Retrouvailles


1) Fête et déprime

   La mort de Mela et Glover causa évidemment quelques pleurs, surtout chez Garlic qui y perdit quand même son frère, mais en gros, les jours qui suivirent le retour de Fant à la ville G-13 furent heureux. En tout premier lieu parce que la menace du dôme était écartée. Le bourgmestre avait autorisé le commando G-13 à exister quelques jours de plus, histoire de s’assurer qu’aucun survivant ou araignée métallique rescapée ne risquait encore de causer le moindre désagrément, mais on sentait bien que pour elle, la menace était passée et qu’on allait pouvoir dissoudre ce groupe qui, allez savoir pourquoi, semblait la gêner de par sa simple existence.

   Le soir même, une petite fête avait eu lieu pour célébrer cette victoire. Gemp avait donc préparé une soirée spéciale dans l’ambassade avec une super ambiance militaire (elle avait posé deux répliques miniatures d’Explorateurs sur la table).
   - Finalement, je ne suis pas sûre que l’idée était si bonne. L’ambiance est peut-être trop martiale et nos compagnons ont du mal à se détendre, tu ne trouves pas ?
   C’était la vieille Gg qui constatant le manque d’enthousiasme de ses hôtes principaux - les survivants du commando - faisait cette remarque à Fondarfin.
   - Ne t’en fais pas pour ta déco. Je doute que ce soit l’ambiance qui les empêche de s’amuser.
   En effet, je serais un auteur très conciliant si je disais que la fête battait son plein. Garlic buvait, assis dans son coin. Il adressait un sourire chaleureux à quiconque venait lui adresser la parole, mais sa conversation était très limitée. Un détail perturbant pour qui connaissait le bonhomme. On voyait bien qu’il aurait préféré être ailleurs. De leur coté, Ger, Guissiquil et Gunat, les peinturlurés tels que les appelait Fant en raison de leurs tatouages faciaux restaient entre eux à faire des plaisanteries bien grasses. C’était assez normal de leur part, mais Gemp aurait préféré les voir se mêler un peu aux autres. Même Fant restait près de la fenêtre et regardait dehors d’un air songeur. Madame le bourgmestre, comme à son habitude, squattait les petits fours avec Grumpf à ses cotés.
   Soupirant, Fondarfin proposa :
   - Si tu veux, je vais aller leur parler, voir si je peux réchauffer un peu l’atmosphère.
   - Oh oui, s’il te plaît ! Cette morosité risque d’atteindre mes autres invités.

   D’une démarche qui se voulait détendue, le grand Ff s’approcha de Garlic, seul sur son tabouret. Celui-ci releva la tête et plissa les yeux derrière ses lunettes.
   - Madame le bourgmestre ?
   - Non.
   - Madame l’ambassadeur, alors ?
   - Non plus. C’est moi, Fond’.
   - Ah, pardon. Ce doit être la boisson.
   - Oui, sûrement…
   Décidément, le Gg semblait dans un sale état. C’était normal après avoir perdu son frère, mais Fondarfin aurait espéré qu’il se dériderait un peu pendant la fête. Il n’avait même pas réagi en découvrant la super ambiance militaire préparée par Gemp. Ce devait donc être très grave.
   - Ca va ? (Question débile, me direz-vous, mais il faut bien lancer la conversation, non ?)
   - Oui, Fond’, je sais à quoi tu penses. (En fait non, son interlocuteur était en train de se rappeler à quel point cette voix haut perchée était insupportable) Ne t’en fais pas, ça ira mieux demain.
   - Mais tu devrais parler un peu aux autres.
   - A quoi bon ? Dans même pas trois jours, ce groupe n’existera plus. Ca faisait des femps qu’on luttait pour se défendre, on nous amène un Ff sorti d’on ne sait où et tout est fini en trois huitièmes de femps. Ce n’est pas que je m’en plains, mais à quoi ai-je servi ? Fant a détruit le dôme à sa façon, mes tactiques n’ont servi à rien. Tout ce que j’ai fais, c’est entraîner mon frère là-dedans. Et maintenant…
   Là, on est mal embarqué…
   - Ecoute, Garl’. Sans toi, on n’aurait pas tenu aussi longtemps. (Non, ça c’est un peu bateau) Et tu as bien entendu Fant, sans ton frère et la maki, jamais il n’aurait réussi à détruire le dôme !
   Fant avait bien entendu raconté une longue histoire larmoyante et patriotique dans laquelle ses camarades s’étaient courageusement sacrifié pour lui permettre d’activer la bombe d’une façon encore plus héroïque. Curieusement, tous les Ggs avaient marché.
   - Et c’est aussi grâce à ton plan qu’ils ont pu s’infiltrer dans le dôme. (Non, décidément, je suis très mauvais ce soir. Ca ne doit pas être mon fort de soutenir les gens en détresse)
   - Merci Fond’. Si tu veux, on fera une partie d’explos un peu plus tard.
   - Eh bien voilà ! Tu vois quand tu veux ! Allez, à plus tard.
   Petite note : le jeu des explos ressemblait beaucoup aux échecs en un peu plus simple. Les pions étaient des petits Explorateurs colorés et la perspicacité était mise à rude épreuve.
   Et merde ! Je viens de me condamner à passer la soirée à m’emmerder à jouer aux explos. On devrait toujours laisser les gens qui souffrent seuls dans leur coin !

   - Alors, et vous ? Vous n’allez pas parler aux autres ?
   Deuxième tentative d’amélioration de l’humeur générale : les peinturlurés.
   - Nan !
   - C’est des gens trop bien pour nous.
   - Et puis elle pue leur conversation.
   - D’accord, d’accord. Et Fant, vous pourriez aller lui parler. C’est le héros du jour, non ?
   - Justement !
   - Cet enculé nous a gâché tout notre plaisir.
   Petit silence.
   - Pardon ?
   - Ouais, avant qu’il vienne, on s’amusait bien, on cassait de l’araignée, ça bourrinait.
   - Et lui, en trois huitièmes de femps, plus rien ! Maintenant, il n’y a plus d’ennemis qui claquent, la connasse en train de s’empiffrer au comptoir va nous dissoudre notre commando et on va retourner à la caserne s’occuper de couper le bois.
   - Tu parles d’une soirée pourrie !
   - Histoire de rattraper le coup, on a quand même prévu un plan à trois. Ca te dirait pas de nous rejoindre ?
   Avant que Fondarfin ai pu digérer la proposition de Guissiquil (le mâle, pour ceux qui n’auraient pas compris), Ger intervint :
   - Quoi ? C’est hors de question ! On avait dit qu’on se faisait un truc privé.
   Gunat enfonça le clou :
   - Et puis moi, je touche pas à un Ff.
   Le Ff en question cligna une ou deux fois des yeux. Apparemment, il n’y avait pas à s’en faire pour ces trois-là.
   - Bon, bah, je vais vous laisser alors. Bonne soirée et amusez-vous bien…
   - T’inquiète.
   - Ouais, enfin t’as intérêt à assurer un peu plus que la dernière fois, Guiss’.
   - Clair !

   Un vague regard vers le bourgmestre lui valu un « Grumpf ! » menaçant, aussi n’insista-t-il pas de ce coté. Restait Fant.
   - Alors fiston ? Ca va ? T’as pas l’air très en forme pour le héros du jour.
   - Hein ? Oh si. C’est juste que ce genre de fête n’est pas trop mon truc.
   - Allons allons, je sais bien que tu t’en veux pour avoir laissé mourir ta copine (ah bon ?), mais tel que tu l’as raconté, tu ne pouvais vraiment rien faire de plus.
   Fant crut bon de ne rien répondre. Il avait quand même un très léger niveau de décence qui lui interdisait de trop en faire. Son aîné prit ce silence pour de la déprime et ajouta :
   - Ecoute, à vrai dire, je me doute que tu n’as pas vraiment dit la vérité…
   - Hein ?
   - Oui. C’était très gentil de ta part d’inventer ainsi une mort aussi héroïque à tes amis, mais je connaissais bien Glover. Hors Explorateur, il n’aurait jamais sauté ainsi sur une armée de dix araignées et cinquante soldats armés à lui tout seul. Et je le vois encore moins réussir à en tuer les trois quarts.
   Zut, mon récit me semblait pourtant tout à fait crédible.
   - A partir du moment où tu as menti pour Glover, je me doute que Mela n’a pas non plus réussi à vaincre les vingt araignées géantes alors qu’elle avait perdu les deux bras et que tu n’as pas non plus trouvé un générateur commodément placé qu’il t’a suffit de mettre en surchauffe pour tout faire exploser.
   - Et alors ?
   - Et alors quoi ?
   - Qu’est-ce que vous pensez qu’il s’est passé ?
   Fondarfin regarda un instant Fant avec un léger sourire en biais. Puis il répondit :
   - Je ne sais pas ce qu’il s’est passé et probablement ne me le diras-tu jamais. Tout ce que je sais, c’est que malgré la mort de nos camarades, tu as su continuer et c’est une décision difficile. (Début d’épisode très philosophique, ne trouvez-vous pas ?) Rien que pour ça, je t’admire. Tu as pris la bonne décision.
   Le jeune mâle n’en revint pas. Bien sûr, il n’avait jamais douté avoir pris la bonne décision dans le dôme. Et puis quoi encore ! Mais il ne s’attendait pas à ce qu’on le lui confirme. Et même si Fond’ ne connaissait pas les détails, ça faisait plaisir quand même. Souriant, Fant se retourna vers la fenêtre et laissa échapper un petit :
   - Merci…
   Fondarfin fut vachement content de son effet. Enfin un à qui il apportait quelque chose sans avoir à donner quoi que ce soit en retour.
   - Alors ? Ca va mieux ?
   - Hein ? Oh, ce n’était pas ça qui me déprimait. Au fond, je sais bien que j’ai pris la bonne décision (Car il insiste, le bougre !). Non, le problème dans ce genre de fête, c’est que je me sens seul. Il y a quelques aspects de mon village qui me manquent. Je prendrais bien un peu de plum pour penser à autre chose, mais je n’ai pas vraiment envie…
   Ah ! Une simple petite crise de solitude. Ca va, ce n’est pas trop dur à gérer, ça.
   - Ecoute, Fant. Je sais très bien ce que tu éprouves. Tu sais, quand je suis arrivé ici, je pensais la même chose parfois. Il n’y a même pas un memp, il m’arrivait encore d’y penser.
   Venant se placer à coté de son jeune protégé, Fondarfin lui plaça paternellement un bras autour des épaules.
   - Mais cette triste époque est passée. Grâce à toi, je ne suis plus aussi seul. Et tu peux te dire que tu n’es pas seul non plus. Je suis là, moi aussi. Si tu as besoin de quelqu’un, n’hésite pas.
   Fant releva les yeux vers lui, des yeux plein d’espoir :
   - C’est vrai ?
   Sourire chaleureux de circonstance :
   - Mais oui, c’est vrai.
   Quand Fant posa sa main sur son bras, Fond’ se dit à nouveau qu’il avait été très bon. Décidément, il n’était pas si mauvais que ça pour parler aux autres.
   Quand Fant commença à lui caresser la poitrine, il commença à se demander quoi…
   Puis quand Fant ferma les yeux et approcha son visage du sien avec l’intention évidente de l’embrasser, Fondarfin ne put retenir un hurlement et sauta d’un bon mètre en arrière.
   - AAAAAH ! Tu… Tu… Non, enfin, je veux dire… Tu… Oui, moi aussi, ça me manque un peu, mais enfin… Quand même pas ! Enfin pas ça ! Enfin, tu es un jeune homme… Et moi… Si seulement tu étais… Tu sais… Euh… Oh, c’est vrai, j’ai promis à Garlic que je jouerai avec lui aux explos. Youhou, Garlic ! C’est bon, les explos, c’est quand tu veux !
   Puis il s’éloigna en marchant un peu de guingois, encore un peu tremblotant, sous les yeux de tous les Ggs qui se demandaient ce qui pouvait bien pousser cet énergumène à crier ainsi.
   Un peu vexé, Fant se retourna vers la fenêtre. C’était bien la première fois qu’il rencontrait un Ff que les amours homosexuels n’intéressaient pas. Il devait venir d’un village fort différent du sien.
   C’est bien ma veine…

   La soirée s’acheva donc comme elle avait commencé. Quelques personnes allèrent observer les duels d’explos entre Fondarfin et Garlic, mais les parties ne durèrent jamais bien longtemps, malgré tous les efforts du Gg pour laisser une chance à son adversaire. Ces nombreuses humiliations publiques parurent pourtant moins dures que d’habitude pour le vieux Ff. Finalement, c’était décidé. Plus jamais il ne tenterait d’aider quelqu’un dans le besoin !

2) Première justification du titre de l’épisode

   Garlic n’était pas le seul à apprécier les explos. L’Empire Métallique avait sa propre version du jeu, mais le principe restait le même. Dans ses quartiers temporaires du City-dôme n°977, F s’adonnait à une partie de spider-chess terriblement tendue contre lui-même. Bien sûr, avoir un adversaire de chair permettait de varier les plaisirs, mais F gagnait à tous les coups. Contre lui-même au moins, il y avait du challenge. Et puis comme ça, il pouvait tranquillement se curer l’oreille avec le pied sans qu’on lui fasse de remarque stupide. Alors que son adversaire tentait un coup fourbe qu’il avait malgré tout bien vu venir, F entendit la porte s’ouvrir derrière lui.
   - Commandant, la réunion est sur le point de commencer. On n’attend plus que vous.
   Le Ff tourna paresseusement la tête et considéra le Gg qui venait de parler. Il ne le connaissait pas très bien, mais il s’agissait du responsable militaire de ce dôme. Pour ce qu’en savait F, ses états de service étaient plutôt bons, mais il semblait ne demander qu’un minimum de main-d’œuvre en provenance des villages conquis, juste assez pour que l’économie du dôme puisse fonctionner correctement.
   Un Gg, quoi…
   Le commandant Ff se releva lentement et considéra son interlocuteur de haut :
   - Je vous suis. Mais avant ça, pourriez-vous me rappeler votre nom, s’il vous plaît ?
   Etonné de ce regard inquisiteur, le Gg répondit néanmoins, bien qu’il fut de même grade :
   - Mon nom civil est Gafteg, commandant. Je vous montre le chemin.
   - Merci…
   Toujours songeur, F suivit son collègue dans les couloirs de l’installation militaire du dôme. Ils ressemblaient en tout point à ceux du City-dôme n°984, mais la disposition des salles était différente. En théorie, les installations militaires de l’Empire étaient toutes basées sur le même modèle, mais F avait toujours fait modifier les plans dans les dômes qui lui étaient affectés. Non pas que la nouvelle organisation soit particulièrement plus pratique, mais ça embêtait les haut gradés en visite chez lui et F avait toujours adoré titiller ses supérieurs. Néanmoins, cela n’empêchait aucunement le commandant Ff de trouver son chemin dans les dômes standards. S’il se laissait ainsi guider, c’est parce qu’il jaugeait le collègue qui le précédait. Les Ggs sont très disciplinés, aussi sont-ils souvent promus, mais leur manque total de capacité d’improvisation leur fermait définitivement l’accès à de plus hauts postes.
   F s’apprêtait à faire une demande qui allait rompre avec pas mal de protocoles et nul doute que beaucoup de personnes s’y opposeraient. Il fallait considérer avec soin qui était de son coté, qui était contre lui et surtout, qui n’était pas encore décidé. Cette dernière catégorie était la plus importante, car la partie serait remportée par celui qui compterait le plus de pions dans son camp. Car oui, pour F, la vie se résumait assez sommairement à un simple jeu de spider-chess, si tant est qu’on puisse considérer que ce jeu est simple…
   Comme le Ff ne connaissait pas Gafteg, il fallait se faire une idée rapidement. Ce commandant s’était montré très aimable et respectueux du protocole, ce qui collait avec le fait qu’il soit Gg. Il ne demandait que le minimum de main-d’oeuvre, et d’un certain coté, ça collait aussi.
   Il fait ce qu’on lui demande, quand on le lui demande, et c’est tout.
   C’était plutôt une mauvaise chose. Nul doute qu’un Gg normalement constitué s’opposerait à l’idée de F. Les Ggs détestaient cordialement le changement.
   Ca, c’était la première analyse. Mais en suivant ce Gg qui avait fait le tour de force de se retrouver commandant dans un dôme central, une position et un rôle très importants, le Ff se dit qu’il ne devait pas être si obtus que ça. Peut-être pas très imaginatif, mais sûrement beaucoup plus ouvert que son peuple en général. Et un Gg préférerait sûrement avoir un peu de main-d’œuvre supplémentaire, dès fois qu’un problème se présenterait. Mais curieusement, pas Gafteg…
   Intéressant.
   A bien y réfléchir, ce qui lui faisait refuser les esclaves bon marché importés des villages conquis était peut-être plutôt une sorte de bienveillance à leur égard. Les nouveaux venus étaient en effet rarement considérés comme autre chose que du bétail tant qu’ils n’avaient pas reçu leur citoyenneté.
   - Pardon, commandant, excusez-moi. Se pourrait-il que vous ne soyez pas né citoyen ?
   Surpris par cette question, le Gg se retourna un peu brusquement :
   - Hein ?
   - Pardonnez-moi cette question un peu grossière, mais j’ai lu que ce dôme n’acceptait que le minimum d’esclaves, appelons-les par leur nom, et comme vous êtes le commandant en charge, cette décision vient forcément de vous. La compassion pour les non citoyens n’a jamais vraiment été à la mode…
   - Je pense avant tout aux autres dômes. En acceptant moins de main d’œuvre, j’en laisse plus pour ceux qui en ont plus besoin.
   - Oh…
   Charmante réponse que voilà, mon cher collègue, mais dans ce cas, pourquoi paraître si gêné ?
   - Si je posais cette question, voyez-vous, c’est parce que je viens moi aussi d’un village étranger à l’Empire.
   - C’est vrai ?
   Touché ! J’ai dit « moi aussi » et il ne m’a pas corrigé.
   - Bien sûr que c’est vrai. Je ne m’en cache d’ailleurs pas du tout. J’ai obtenu mon titre de citoyen avec les honneurs et ça ne m’a aucunement empêché d’atteindre le grade de commandant.
   - Eh bien, félicitations. J’essaye de garder mes origines secrètes. J’ai eu beaucoup de difficultés à cause de ça au début. Mais dites-moi, vous êtes encore jeune. Ca fait combien de temps que vous êtes à ce grade ?
   Souriant devant cette témérité un peu déplacée, F répondit fièrement, et non sans raison :
   - Ca fait un peu moins d’un cycle mais j’ai supervisé personnellement l’attaque de onze villes et villages primitifs et c’est moi qui ait proposé la norme de sécurité S-31/B. Je n’avais pas subi de pertes jusqu’à il y a deux femps. Et vous, dites-moi, ça fait longtemps que vous êtes citoyen ?
   - Oulah, oui ! J’étais enfant quand ma ville a été attaquée. Ca doit bien faire plus de trente cycles maintenant. Et vous, collègue ? Depuis combien de temps êtes-vous citoyen ?
   - Trois cycles et quatre memps…
   - …
   Tout fier de son petit effet, F accéléra la marche et se dirigea droit vers la salle de débriefing, montrant par là même qu’il n’avait pas besoin de guide.
   Et un pion dans ma besace, un !

   

On avait dit à F que quatre généraux seraient présents. Comme lui-même n’était commandant que depuis peu de temps, il n’avait pas eu le loisir de rencontrer beaucoup de ses supérieurs. Il savait que le général Mordir serait là, c’était lui qui prenait toutes les grandes décisions. Bien que ne l’ayant jamais rencontré en personne, le Ff avait beaucoup entendu parler de ce maki acariâtre. Mordir était le seul général maki de tout le Complexe. D’habitude, les makis ne montaient absolument pas en grade, ils préféraient les travaux manuels à l’armée. Et quand ils rejoignaient quand même l’armée, c’était pour être aux premières lignes, pas pour commander. Il fallait croire que celui-là était une exception.
   F pénétra de la façon la plus royale qui soit dans la salle de réunion, une fois que Gafteg lui eut ouvert la porte. Comme il était le commandant en charge de ce dôme, le vieux Gg allait assister également à la réunion. La marche royale de F s’interrompit dès qu’il aperçut Mordir, debout face à lui de l’autre coté de la table. Le Ff ne put retenir un bref sifflement impressionné. Le maki était une masse de muscles et de poils comme on n’en voyait pas souvent. A vrai dire, c’était même la première fois que F croisait un tel colosse. Un accident lui avait arraché les jambes dans sa jeunesse, aussi avait-il deux prothèses mécaniques à triple articulations à la place. La troisième articulation lui donnait l’air d’un démon et le grandissait encore de dix bons centimètres. Mais mine de rien, ces implants attiraient nettement moins l’attention que la monstruosité qui les surplombait. Extrêmement frustré de ce qui était arrivé à ses jambes, Mordir s’entraînait jour et nuit pour maintenir le reste du corps en forme. Non seulement ça marchait, mais en plus, il avait développé une carrure de lutteur pro qui faisait passer le premier maki venu pour Bambi. Ses poils noirs et sa gueule de brute finie parachevait le tout et faisait pleurer les gamins qui avaient le malheur de le croiser dans la rue. Mais F ne se laissa pas prendre à cette apparence, Mordir était réputé pour sa profonde intelligence. Intelligence qui pouvait rapidement se casser par la porte de derrière si jamais on le mettait en colère. Ce mâle n’appréciait pas qu’on n’ait pas les mêmes idées que lui. Inutile de dire qu’il serait farouchement opposé à la proposition de F. Pas la peine d’essayer de le persuader, ce serait du temps perdu. Cette bataille se gagnerait en convaincant les autres.

   A ce propos, ces trois généraux se révélèrent être des femelles Ffs. F tenta de juger chacune d’un rapide coup d’œil. La première était d’un âge déjà fort avancé et d’une corpulence qui témoignait de la nourriture riche que se réservaient les hauts gradés de l’Empire Métallique. Elle portait un poncho typique des personnes âgées Ff, mais en plus coloré. Difficile de se faire une opinion à son sujet, mais elle avait l’air résolu. Une fois son opinion faite, il y aurait peu de chances de la faire changer d’avis. Restait à voir si elle avait déjà une opinion ou pas. La deuxième avait le visage qui commençait à montrer des traces de vieillissement, mais on voyait qu’elle s’entretenait encore et elle n’était pas déplaisante à regarder. Rien de particulier dans son expression ou sa façon de s’habiller - un simple pagne, dans la plus pure tradition vestimentaire Ff - ne permettait de se faire la moindre idée à son sujet. Ce genre de personnes étaient très agaçantes pour F. Seul le collier où pendait son insigne de général permettait de la différencier du tout-venant. Mais à la position qu’elle occupait, la sous-estimer aurait été une erreur tragique. La troisième enfin… Eh, mais dites donc, elle est pas mal du tout cette petite. Elle est encore jeune et jolie, une rareté chez les généraux… D’ailleurs en la regardant de plus près… Mais… Cette façon de poser une main sur sa hanche, ces yeux d’un jaune profond (un peu pisseux, mais ça gâche la description), ce regard rieur, ce sourire amusé alors qu’elle regarde F sans détour…
   Oh non… Fiorana ! Elle est devenue général…
   Apparemment, elle l’avait reconnu aussi.
   - Tiens donc ! Dans quoi t’es-tu encore fourré, mon cher Fou…
   - Tch tch tch !
   - Ah oui, pardon, fit-elle en rigolant. Alors que devenez-vous, « commandant F » ?
   Avant que F ait pu répondre quoi que ce soit, Mordir émit un puissant grondement qui résonna dans la salle. La vieille Ff enchaîna :
   - Je suis d’accord avec le général. Nous ne sommes pas là pour assister à des retrouvailles, aussi touchantes soient-elles. Nous avons des affaires graves à régler.
   Le mâle Ff se reprit aussi et se racla la gorge.
   - Oui, bien sûr. Veuillez m’excuser.
   Mais alors que tout le monde s’asseyait, il vit la jeune Ff lui faire un clin d’œil amusé. La discussion s’annonçait très mal…

3) Frann

   Un femp s’écoula sans qu’aucun survivant du dôme ne vienne menacer la ville G-13. On retrouva deux araignées métalliques dans des galeries éloignées, mais la milice s’en chargea sans avoir recours à l’obsolète commando G-13. C’est alors qu’on commençait à se détendre que la catastrophe survint…

   Le cri résonna jusque dans les combles du bâtiment :
   - DégageeeEEEeez !
   - Grumpf !
   - Ca fait déjà trop longtemps que vous squattez cette ambassade !
   - Grumpf !
   - J’ai déjà bien assez attendu. La productivité de cette ville ne redécolle pas et ce n’est certainement pas en vous nourrissant à ne rien foutre et en vous logeant dans le plus beau bâtiment que ça va changer.
   - Grumpf !
   - Je pensais que vous auriez la délicatesse de vous retirer de vous-même, mais je constate que ces vacances payées n’ont eu d’autre effet que de vous habituer à la paresse.
   - Grumpf !
   Cette litanie continua ainsi pendant un bon moment, soutenue par des « grumpf ! » aussi inutiles qu’agaçants pour les pauvres membres du commando qui devaient la supporter. Le calvaire finit par toucher à sa fin au bout d’un long moment :
   - De plus, j’ai besoin du bâtiment pour un visiteur de la ville G-44, alors non seulement, vous dégagez, mais vous nettoyez derrière vous. Vous avez un huitième de la journée pour disparaître ! Venez Grumpf, nous en avons fini pour l’instant.
   Et l’entretien s’acheva brutalement sur un ultime « Grumpf ! ». La double porte de l’ambassade claqua si violemment qu’un peu de poussière tomba du plafond. Les membres du commando se regardèrent d’un air gêné, puis Gemp proposa :
   - Bon… Un volontaire pour passer le balai ?

   Ce fut après n’avoir rien foutu que Fant et Guissiquil se retrouvèrent dans un bar du bas quartier. L’évacuation de l’ambassade avait été assez rapide et quelques employés de la mairie étaient venus préparer la chambre de l’envoyé de la ville G-44. Fondarfin aurait bien proposé d’héberger Fant chez lui, mais au souvenir de la dernière fête, il avait préféré s’en aller sans rien dire. Guissiquil avait donc fait montre d’une gentillesse fort peu coutumière en lui offrant une chambre chez lui. Après quoi, il l’avait invité à prendre un verre, histoire de faire un peu mieux connaissance.
   - Alors ? Pas trop dégoûté d’être mis à la porte ?
   - Pour être tout à fait franc, pas vraiment. J’aime la sécurité. Le problème, c’est que j’imagine qu’il va falloir travailler, maintenant…
   - Ben oui, ne t’attends pas à ce qu’on te nourrisse pour rien. Mais tu peux rejoindre la milice si tu veux. C’est pépère, on conduit des Explorateurs. Bon, y a la coupe du bois qui est un peu chiante, mais en gros, l’ambiance est sympa.
   - Moui, pourquoi pas ?
   Mine de rien, Fant sirotait sa bière plutôt vite. En face de lui, le Gg en était déjà à sa deuxième chope, mais Fant avait déjà pu constater que les peinturlurés avaient un sacré répondant face à tout ce qui était alcoolisé. Par contre, le Gg faisait clairement la gueule.
   - Et toi ? Ca te déprime à ce point de retourner à la milice ?
   - Boh… C’est pas vraiment la milice qui me les casse, c’est surtout qu’on se marrait bien avec les araignées métalliques. Ca changeait de la routine, quoi…
   Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, Fant n’avait absolument pas les mêmes idées que Guissiquil concernant les moyens de s’amuser. Pour lui, le dôme avait été une nuisance, il menaçait le petit paradis qu’il s’était trouvé en la ville G-13. Tout au plus cette affaire d’araignées métalliques lui avait-elle servi à mieux se faire accepter des locaux. Mais quand même, la vie dans la milice serait-elle aussi intéressante qu’elle l’était à l’ambassade ? Autre chose à laquelle Fant n’avait absolument pas pensé auparavant, mais qui revenait parfois le troubler : Mela lui manquait… C’était d’autant plus stupide qu’il l’avait toujours considérée comme un boulet, au mieux comme un garde du corps. Mais elle était tout autant étrangère que lui dans cette ville et il s’était senti moins seul à son contact sans même s’en rendre compte. Certes, Fondarfin était là aussi. Cependant, le vieux Ff était là depuis longtemps et s’était bien intégré. Et le râteau monstrueux qu’il lui avait mis un femp plus tôt à la fête de l’ambassade lui avait bien montré à quel point ils étaient différents. Qu’on ne s’y méprenne pas, les deux Ffs s’entendaient très bien et il existait entre eux une sorte de relation père/fils que Fant n’avait jamais ressenti avec son père biologique. Mais malgré cette relation, Fant ne sentait pas la complicité qu’il aurait eut avec les amis laissés au village. Il fut finalement arraché à ses réflexions quand Guissiquil lui demanda :
   - Tu veux une autre bière ?
   Surpris, Fant constata que le verre devant lui était vide. Il n’avait même pas fait attention. Ce truc avait un goût un peu amer, mais on s’y faisait vite.
   - Oui, s’il-te-plaît.
   - T’es pas très causant comme mec. Enfin bon, si tu veux. Mais fais attention, au début on les enchaîne comme un con et on se retrouve rond en moins de deux. Tu verrais Fond’ quand il boit… Ouarf ! (ceci se veut être un rire) Ah bah tiens, quand on parle du loup…
   Se retournant, Fant aperçut un Ff entrant dans le bar. Cependant, il se rendit tout de suite compte qu’il ne s’agissait pas de Fondarfin. Apparemment, Guissiquil comprit aussi son erreur car il ajouta :
   - Ah mais non, c’est pas Fond’. Eh ! Frann ! Viens là !
   Entendant son nom, Frann se tourna et, voyant nos amis, se dirigea vers eux en affichant un sourire poli. Tous les Ggs qu’il croisa le saluèrent chaleureusement, prouvant par là qu’il était beaucoup plus doué que Fant pour se faire des amis en milieu étranger.

   Attendez, là ! Aurais-je oublié de vous parler de Frann ? Mon Dieu, fatale erreur de ma part. Mais bon, inutile de m’envoyer des mails d’insulte pour si peu, je vais me rattraper pas plus tard que maintenant en vous disant tout ce qu’il y a à savoir sur ce personnage. Ceux qui auront suivi argueront que j’ai expliqué dans l’épisode précédent que Fondarfin était le seul Ff à vivre à la ville G-13 quand Fant était arrivé. A ceux-là, je dis bravo, vous avez bien suivi, mais pas assez. Car d’autres lecteurs encore plus studieux, si tant est que lire cette merde peut être considéré comme une étude, se rappelleront qu’effectivement, notre jeune héros était revenu du dôme à bord d’un spider-fly piloté par un Ff qui avait été promptement enfermé dans une remise de l’ambassade. Quelques futés auront fait le rapprochement avec le dénommé Frann.
   « Mais qu’est-ce qu’il fout en liberté ? » me demanderez-vous. Croyez bien que Fant s’était fortement opposé à cette décision de Gemp et Fondarfin, en l’absence de l’intéressé, bien sûr, et que Gunat avait fait preuve d’une imagination débordante concernant les nombreuses tortures qu’elle se proposait d’infliger au prisonnier avant de le balancer dans le vide. Malheureusement, le prisonnier en question s’était montré très loquace et il n’y avait eu aucun besoin d’employer la violence. Le commando G-13 avait ainsi pu découvrir que ce Ff s’appelait Frann - surprenant, n’est-ce pas ? - et qu’il était citoyen de l’Empire Métallique de naissance. Il avait jusque là vécut dans un endroit appelé le City-dôme n°956 et il avait été muté un peu moins d’un memp plus tôt au tout nouveau City-dôme placé sous le commandement de F : le n°984.
   Par chance, il n’avait pas encore de famille, et c’était la première fois qu’il se rendait compte que c’était une chance, mais il avait quand même perdu de nombreux amis dans l’explosion déclenchée par Fant. Son calme avait beaucoup étonné l’équipe. Frann avait expliqué tout ce qu’il savait sur l’Empire sans rechigner le moins du monde. Il s’agissait de son unique univers jusqu’à ce que Fant vienne le menacer et l’emmener, lui dévoilant ainsi un tout nouveau monde. Apparemment, dans l’Empire Métallique, on n’expliquait pas grand chose aux citoyens. On leur donnait un logement, de quoi vivre très confortablement et en échange, on leur demandait du travail, ce en quoi l’Empire ne différait aucunement d’une ville Gg, et une obéissance et une adoration sans limite envers l’Imperator, un personnage particulièrement énigmatique que, selon Frann, personne n’avait jamais vu et que certains soupçonnaient même de ne pas exister. Mais je vous rassure, il existe.
La technologie était très largement supérieure à tout ce qu’on pouvait trouver hors des dômes, aussi Frann avait-il eu un peu de mal à ne pas trouver certains appareils qu’il jugeait absolument vitaux : des toilettes, par exemple. Ce que voulait l’Empire, c’était du fer. Avant toute autre chose, il fallait du fer. C’était la raison principale des invasions, la deuxième étant d’apporter la civilisation à tous ces pauvres sauvages de l’extérieur. Il existait un gigantesque réseau de dômes sans cesse grandissant appelé le Complexe. Chacun des dômes constituant ce Complexe avait son but bien précis. La plupart étaient des mines de fer, d’autres servaient à raffiner les métaux, d’autres encore, comme feu le dôme n°984, étaient des usines d’assemblage. Certaines de ces bases servaient uniquement à l’armée - on parlait alors de Military-dôme - ou de points centraux où arrivaient les nombreuses voies de rails : les centres d’échange. De là, on repartait dans une autre direction et les voyages inter Empire en étaient grandement simplifiés. Malheureusement, Frann ne put donner la raison pour laquelle les dirigeants convoitaient tant le fer. Il ne s’était jamais posé la question et l’Empire n’encourageait guère ses citoyens à le faire. Comme quasiment toutes les constructions étaient en métal, le Ff captif suggéra que c’était sûrement la matière première de tout l’Empire et que c’est ce qui permettait de s’étendre d’avantage. Les explications techniques sur les différentes machines utilisées par l’Empire n’intéressèrent que Fondarfin, alors les autres membres n’écoutèrent plus.

   Et donc, après qu’il eut dit tout ce qu’il savait, il fut décidé d’accorder sa liberté à Frann. Il s’habitua avec une vitesse remarquable à sa nouvelle vie, demandant un simple poste d’ouvrier dans une usine d’assemblage de tuyauteries. Apparemment, l’Empire ne lui manquait pas tant que ça. Il avait toujours vécu dans le même cadre et il découvrait maintenant un monde totalement à part, avec un mode de vie différent, des gens différents, un milieu différent et comme c’était un Ff, il s’y acclimata fort bien. Malgré tout, aucun membre du commando G-13 n’avait essayé de faire plus amples connaissances. Après tout, ils l’avaient séquestré - menacé pour certains d’entre eux - et Fant était quand même responsable de la mort de tous ceux qui lui avaient été chers. Cette rencontre dans le bar où Frann avait pris l’habitude d’aller tous les soirs après le travail était une grande première.

   On comprendra ainsi que Fant puisse être un peu stressé. Et autant dire que Frann aurait du être complètement aveugle pour ne pas s’en rendre compte. Il eut néanmoins la délicatesse de ne rien relever et s’assit poliment à leur table. Guissiquil, dans le plus pure style de la grosse brute qui offre un verre à la victime qu’il vient de tabasser, entama la conversation :
   - Alors ? Tu deviens quoi ? Tu te plais ici ?
   Contrairement à tout ce que Fant aurait pu penser, le Ff répondit très poliment :
   - Oui, merci. Ca change beaucoup du dôme, mais ça a son charme. Vous saviez que je n’avais jamais vu la jungle autrement que par le cockpit d’un spider-fly ? Finalement, le monde extérieur est loin d’être aussi hostile qu’on me l’enseignait.
   Mine de rien, il évitait quand même de croiser le regard de Fant. Ca pouvait se comprendre assez facilement, celui-ci se tenait très raide, la gorge serrée et gardait son regard fixé sur son ancien otage. Le jeune Ff demanda d’un ton inquisiteur :
   - Et travailler pour la ville G-13 ne te donne pas l’impression de trahir ton imperator ?
   - Euh.. Non, on dit Imperator.
   - Pardon ?
   - Imperator, avec un I majuscule.
   - Oui, bon Imperator si tu veux. Et tu n’as pas l’impression de le trahir ?
   Frann marqua une courte pause pour bien choisir ses mots.
   - Pour être franc, ça ne me met pas tout à fait à l’aise. Mais travailler à la construction de conduites ne nuira certainement pas à l’Empire. Et puis, il y a peu de chance que je puisse retourner un jour dans un dôme, autant que je me fasse une raison et que j’oublie l’Imperator.
   - Fant, fous-lui la paix. (se tournant vers Frann) Tu prends une bière ?
   - Non, merci. Par contre, un petit verre de vin ne me déplairait pas.
   - Bouge pas, je vais t’en chercher un.
Les deux Ffs restèrent donc seuls à la table le temps que Guissiquil aille chercher le verre de vin et sa troisième choppe de bière. Sentant que la situation n’avait rien d’un hasard, l’ancien citoyen impérial ouvrit la conversation :
   - Tu ne sembles pas me porter dans ton cœur…
   Bien que peu enclin à répondre, Fant décida quand même de se montrer un peu plus ouvert :
   - Ecoute, je n’ai rien contre toi personnellement, mais je t’ai menacé d’un pistolaser, tu as bien compris que presser la détente ne m’aurait pas gêné outre mesure ; je suis la personne la plus directement responsable de la destruction de ton habitat et de tous les gens que tu connaissais et je suis sûr que quelqu’un t’a mis au courant que j’avais proposé de te jeter dans le vide. Alors j’espère que tu ne m’en voudras pas de rester méfiant à ton égard, mais à ta place, j’aurai des envies de meurtre.
   - Et bien en toute honnêteté, je dois avouer que je ne te considères pas comme mon meilleur ami et je mentirais si je te disais ne pas avoir envisagé par moments une petite vengeance. Mais je doute que te causer du tord m’apaiserait le moins du monde, d’autant que ce serait sûrement très mauvais pour ma situation. Alors je me contente d’essayer d’oublier tout ça et tant qu’à faire, je préférerai qu’on soit amis plutôt que de se regarder l’un l’autre en chiens de fayence.
   Guissiquil interrompit cette brillante tirade en posant bruyamment sa chope sur la table et un peu moins bruyamment le petit verre de vin destiné à Frann :
   - Bien parlé. Maintenant que tu vis chez nous, t’es l’un des nôtres. Allez bois ça, c’est de bon cœur.
   - Merci.
   Le Ff sirota son verre pendant que Fant se plongeait dans un mutisme boudeur. Quand le verre fut fini, Frann se leva en s’excusant poliment.
   - Merci encore pour le verre. J’espère vous revoir.
   Après qu’il fut sorti de l’établissement, Guissiquil sortit le nez de sa quatrième choppe et se tourna vers Fant :
   - C’est un bon p’tit gars. Tu devrais pas lui faire la gueule comme ça.
   - Mouais. Enfin je suis quand même rassuré de savoir que cette ville n’utilise pas le même genre de réacteur que les dômes, sinon la première chose qu’il aurait faite, c’est de détruire cet endroit.
   - Ca, c’est toi qui le dit. Mais t’inquiète pas, mine de rien tout le monde a l’œil sur lui. Au moindre geste suspect, il retourne dans un cagibi.
   - N’empêche, j’aurai quand même préféré qu’on le balance dans le vide…

   Le soir même, une nouvelle fête avait lieu à l’ambassade. Gemp ayant pris sa retraite et le nouvel ambassadeur n’ayant pas encore été formé, c’est le bourgmestre qui avait dû se charger de la décoration. Grumpf avait donc accroché différents tableaux représentants son bourgmestre préféré un peu partout. Bien que personne n’osa le dire à haute voix, l’ambiance était complètement ratée. La mode avait déjà changé, et on portait maintenant un ridicule masque en bois aussi peu pratique qu’esthétique cachant la moitié du visage. On avait bien essayé de réutiliser les débris du dôme à des fins couturières, mais décidément, les robes de métal ne rentraient pas dans les mœurs, outre le fait qu’elles clouaient au plafond quiconque tentait de les enfiler.
   L’invité de la ville G-44 avait donc l’insigne honneur d’être accueilli par le bourgmestre en personne, honneur dont il se serait bien passé.
   - Alors, qu’est-ce qui peut bien amener un visiteur d’une si lointaine ville chez nous ?
   Madame le bourgmestre n’avait aucune idée de l’emplacement géographique de la ville G-44, comme tout le monde dans le coin, mais avec un numéro pareil, elle était sûrement située très loin.
   - Eh bien voyez-vous, nous avons pu constater un certain manque de communication entre les villes.
   - Oui ?
   - Et il se trouve que les Ggs ont plus que jamais besoin de communiquer. La ville G-44 a fait une découverte terrifiante et nous avons besoin d’aide.
   A ces mots, l’expression du bourgmestre se figea et Grumpf poussa un grognement. Non pas qu’il comprenait ce qui se passait, mais il sentait bien que sa maîtresse était hérissée. On aurait pu espérer que ce visiteur viendrait renforcer des relations commerciales ou au moins donnerait des félicitations sur la manière dont la ville était tenue, mais le bourgmestre était en train de découvrir que sous ses aspects civilisés, ce Gg venait lui demander l’aumône. Ca n’allait pas se passer ainsi.
   - Ecoutez, croyez bien que quel que soit votre problème, nous compatissons, mais nous sortons à peine d’une grave crise et nous essayons encore de nous en remettre.
   - Oui, c’est ce qu’on m’a expliqué lors de ma visite dans la ville G-12.
   - En effet, ils sont au courant de nos problèmes.
   - C’est justement à propos de ce problème que je suis là.
   - C’est à dire ?
   - Disons que nous avons un problème de dôme chez nous aussi et nous aurions besoin de votre commando G-13 pour nous en débarrasser.

4) Conseil de guerre

   Le moment est sans aucun doute fort bienvenu pour parler un peu du système de grades en vigueur dans l’Empire Métallique. Comme je manque singulièrement d’imagination, vous constaterez que j’ai joyeusement repompé le système de grades de l’armée française, mais comme je n’y connais absolument rien, il y a de fortes chances que ça ne corresponde pas du tout. Inutile donc de m’écrire des lettres d’insulte, je sais déjà que j’écris n’importe quoi et si c’est seulement maintenant que vous vous en rendez compte, permettez-moi de vous signaler que votre cas est grave. Mais pour en revenir à nos fameux grades…

   Vous aurez pu constater que F est un commandant, ce qui est loin d’être mauvais, mais permet encore d’avancer pas mal quand on est entreprenant. Dans l’Empire, un commandant se voit accorder la charge d’un bataillon, ce qui correspond à l’équivalent du contenu d’une caserne. Pour faire simple, chaque commandant supervise les activités d’un dôme. A grade égal, un même commandant n’est pour autant pas forcément considéré de la même façon. Certains dômes, notamment dans les régions centrales, ne craignent pas grand chose, aussi sont-ils sous la responsabilité de commandants dits « inférieurs ». Les commandants « intermédiaires » s’occupent des dômes sur les frontières et doivent au maximum étendre la zone d’influence de l’Empire en envahissant, voire en écrasant, toute zone habitée dans la proximité. C’avait été le rôle de F. Les commandants « majors », quant à eux, s’occupent de dômes du centre particulièrement vitaux. Bien qu’on puisse dire qu’ils se la coulent douce, on les a placés là parce qu’on attend d’eux qu’ils soient capable de repousser tout type d’attaque. Gafteg, commandant du dôme 977 était de ceux-là. Bien entendu, les appellations inférieurs, intermédiaires et majors sont tout à fait officieuses et sur papier, tous les commandants se valent.

   Au dessus, on trouve les colonels, responsables de cinq ou six dômes. Ils décident quel type de dôme doit être construit et à quel endroit, ainsi que de la répartition des ressources matérielles et humaines. En gros, les colonels, on s’en fout. Viennent ensuite les généraux. Là, ça devient haut. Un général impérial a le contrôle de très nombreux dômes, possède son armée personnelle et décide quasiment tout, même en ce qui concerne l’économie. Au dessus, il n’y a que l’Imperator. Pour autant, un général peut quand même espérer grimper. Non, il ne peut pas devenir Imperator, celui-ci étant immortel. Ca vous la coupe, hein ? Oh, il y a bien eu quelques vagues tentatives de coup d’état, mais ce genre de choses est très rare. Non seulement, parce que les Impériaux sont des fanatiques et qu’ils révèrent leur Imperator comme un dieu, ce en quoi, ils n’ont peut-être pas tord, mais les quelques tentatives ont été si loin de réussir et les conséquences si fâcheuses pour les coupables et beaucoup d’innocents autour que peu de personnes ont voulu réitérer l’exploit.
   Alors quelle est donc cette possibilité d’augmentation dont je parlais plus haut ? Et bien sachez, même si vous n’en avez rien à foutre pour l’instant, que certains généraux parmi les plus brillants ont parfois l’insigne honneur de subir tout un tas de tests psychologiques particulièrement poussés, c’est à dire encore plus poussé que tout ce qu’ils ont déjà subi pour atteindre leur post actuel, et s’ils passent, un transport aérien spécial vient les emmener on ne sait où et personne ne les revoit jamais. Autant dire que beaucoup de généraux se trouvent très bien à leur poste et ne font rien pour se faire remarquer. Pour la petite histoire, Mordir avait passé ces tests, mais s’était fait recaler méchamment. Il en avait gardé quelque rancœur dont il se débarrassait tant bien que mal en tourmentant ses hommes.
   A noter que plus on montait dans la hiérarchie et plus on trouvait de Ffs. Les Ggs et les makis montaient très rarement, surtout les makis, qui étaient déjà beaucoup moins nombreux à la base. Par contre, les proportions mâles/femelles restaient les mêmes tout du long.
   Il en était d'ailleurs de même avec toutes les professions dans l'Empire. Pour ceux que ça intéresse, les métiers sont imposés et si vous ne trouvez personne avec qui vivre, on vous refourgue automatiquement une personne de sexe opposé avec qui vous êtes priés de rester.

   Et après ce nouvel exposé passionnant sur les mœurs des civilisations qui peuplent ce fantastique univers à l’envers, nous reprenons où nous en étions, ou plutôt où F en était. C’est à dire en assez mauvaise posture devant une assemblée de généraux hostiles à son égard. La salle était ovoïde, avec une grande table métallique en son centre. Dans le plus pur style Empire Métallique, les murs étaient de métal gris et l’unique ornement était un grand écran à un bout de la salle, dans l’axe de la table. Pour éviter d’avoir encore à donner des noms aux personnages, je parlerai de la vieille Ff et de la Ff impassible pour les deux généraux que je n’avais pas nommés. Ce qui nous fait, en plus d’elles, Mordir (le général maki), Fiorana (qui semble déjà connaître F), F (notre héros du moment) et Gafteg (commandant Gg assigné à ce dôme). Ce dernier était resté debout près de la porte. C’était déjà un honneur de le laisser assister à cette réunion. F était assis à la table, face aux généraux, se faisant un peu l’impression d’un petit poisson face à trois requins et un barracuda. Ce fut la vieille Ff qui ouvrit la bouche en premier :
   - Tout d’abord, je dois annoncer que ceci n’est pas un tribunal. On nous a rassemblé ici pour des affaires graves. Seuls le général Mordir et moi-même sommes au courant, aussi vais-je récapituler ce que nous savons. Le commandant « F », comme il se fait appeler (et à son ton, on sentait que cette petite fantaisie lui déplaisait considérablement), nous donnera les détails.
   Chacun des généraux opina du chef.
   - Il y a de cela deux jours (oui, ce chapitre se passe bien avant le précédent et si je le souligne, vous devez vous douter qu’il y a une raison), le commandant F est parti conquérir une ville Gg. Il s’agissait de sa deuxième tentative, la première ayant échoué pour des raisons qu’il nous expliquera lui-même. Toujours est-il qu’au retour de cette nouvelle tentative, fructueuse, il fait route avec son armée vers le centre d’échange n°178. De là, il avertit le colonel Frumm (ne vous embêtez pas à retenir ce nom, je vous le dirais si c’était important) que le dôme n°984 a été entièrement détruit en son absence. Le colonel décide alors d’envoyer des spider-fly en éclaireurs pour vérifier ces dires. Le lendemain, un cuirassé est envoyé pour récupérer les éventuels survivants et les hommes que le commandant F a laissé sur place. Un message est envoyé au général local, moi-même, pour me mettre au courant. J’ai pu vérifier l’étendu des dégâts de visu : il ne reste qu’un cratère, la destruction est totale. Les opérations de récupération de métal sont maintenant terminées et nous sommes assemblés ici pour comprendre ce qu’il s’est passé.
   Pendant toute la discussion, F avait observé les quatre généraux. L’oratrice avait gardé un ton neutre, mais F avait bien senti la légère irritation qui suintait à chaque fois qu’elle prononçait son pseudonyme. Sa collègue entre deux âges avait écouté d’un air sérieux sans jamais laisser filtrer la moindre émotion. Ce genre de personnes était très agaçant. Fiorana avait écouté en fronçant les sourcils et avait pris un air inquiet, mais pas pour F, à la nouvelle de la destruction d’un city-dôme. Par contre, Mordir avait continué à fixer F droit dans les yeux sans jamais laisser échapper autre chose qu’un léger grondement et je peux vous dire que c’est très perturbant.
   - Commandant F, avez-vous des corrections à faire ?
   - Pas la moindre, mon général.
   Fiorana demanda alors à ses collègues:
   - Se pourrait-il qu’il s’agisse de l’Ennemi ?
   Mordir répondit d’une voix tellement grave que F sentit les vibrations jusque dans sa chaise.
   - Si loin du front ? Cela me paraît impossible.
   - Mais qui d’autre aurait pu détruire un dôme ? Surtout s’il n’en reste vraiment rien…
   Puis, se tournant vers F :
   - D’après toi, que s’est-il passé ?
   La vieille Ff tiqua devant la familiarité utilisée par sa consoeur, mais elle ne fit aucune remarque, préférant laisser F répondre.
   - A vrai dire, je doute qu’il s’agisse de votre « Ennemi », quel qu’il soit. (Apparemment, les généraux savaient quelque chose qu’il ignorait) Selon moi, l’explosion résulte d’une surchauffe du générateur.
   Les généraux regardèrent la vieille Ff d’un air interrogateur. Elle prit un air un peu gêné pour répondre.
   - Euh, oui. C’est ce que mes spécialistes m’ont transmis. Une telle explosion résulte très probablement d’une surchauffe du générateur.
   Mordir montra les dents :
   - Pourquoi ne pas nous l’avoir signalé ?
   - Eh bien, je n’étais pas tout à fait sûre et je voulais connaître la version du commandant avant de dévoiler cette information.
   Après un bref grognement, le maki retourna son attention vers F :
   - Qu’est-ce qui vous a permis de déduire qu’il s’agissait d’une explosion du réacteur ?
   - En toute modestie, je dois dire que je m’intéresse, en amateur bien sûr, à la physique magnétique et ces générateurs placés à la porté de tous m’ont toujours semblé une faille de sécurité monstrueuse.
   - Attendez, interrompit la vieille Ff. Vous dites « à la portée de tous ». Pour vous, ce n’était pas accidentel ?
   - Non, ça ne l’était pas. Comme je vous l’ai dit, je me suis intéressé à la chose et un dysfonctionnement me paraît impossible au vu des normes draconiennes de l’Empire. Et qu’un dysfonctionnement ait pu avoir lieu alors que comme par hasard, l’armée était partie et les locaux sans surveillance, ça fait trop de coïncidences. Je n’avais jamais vu le résultat d’une explosion de réacteur. Mais quand on connaît les quantités astronomiques d’énergie qui s’en dégagent, il n’est pas difficile de s’imaginer le résultat. Et ce que j’ai pu voir ressemblait fortement à l’idée que je me faisais d’une surchauffe de réacteur. Nous avons donc affaire à des sauvages qui se sont infiltrés dans le dôme et qui en connaissaient la faille, ou en tout cas qui ont eu tout le temps de la découvrir.
   Même la Ff impassible haussa un sourcil. L’idée qu’un sauvage, un non citoyen, puisse ainsi s’introduire dans un dôme sans être remarqué démontrait des lacunes impensables dans la sécurité.
   Mordir se permit un léger sourire :
   - Vous semblez être sûr qu’il s’agissait d’un sauvage, mais j’espère pour vous que ce n’est pas le cas, sinon cela veut dire que vous avez échoué en temps que commandant et j’aurai le désagréable devoir de vous trouver une punition…
   Allez savoir pourquoi, quelque chose dans l’intonation du maki laissait clairement comprendre que cette perspective ne lui semblait pas si désagréable que ça. F tâcha de conserver un visage aussi impassible qu’il était humainement possible.
   - Eh bien, j’en suis venu facilement à cette hypothèse. A partir du moment où il s’agit d’une surchauffe du réacteur et que ça ne peut pas être accidentel, il y a forcément acte terroriste. Une fausse manœuvre ? Impensable quand on sait comment les techniciens sont formés. Un habitant du dôme ? J’ai du mal à m’imaginer un citoyen se rebeller de cette façon. Et l’Ennemi dont vous parliez tout à l’heure…
Mordir se tourna vers la Ff impassible d’un air interrogateur. Celle-ci secoua la tête :
   - Non, le terrorisme n’est pas leur style. Et quand bien même ils s’y mettraient qu’ils auraient attaqué un military-dôme important, pas un city-dôme de seconde zone.
F reprit :
   - De toute façon, il est inutile de s’interroger davantage, je sais exactement qui a fait le coup et comment.
   Le Ff fut déçu de constater que les généraux n’avaient pas l’air si impressionné que ça. Il se tourna néanmoins vers le commandant Gafteg, toujours debout près de la porte.
   - Pardon, commandant, pourriez-vous s’il vous plaît préparer la troisième vidéo que j’avais apporté avec moi ?
   - La BT36 ?
   - Oui, celle-là, merci.
   Et pendant que le Gg allait pianoter sur un clavier sous le grand écran, le commandant Ff reprit son monologue :
   - Pour bien comprendre, il faut que vous sachiez quelles sont les raisons qui m’avaient fait rater l’attaque sur la ville Gg un femp plus tôt. Nous avons attaqué avec quelques spider-warriors et comme d’habitude, les Ggs sauvages n’ont rien eu de mieux à nous opposer que leurs vieux Explorateurs coupeurs d’arbre. J’ai eu une première mauvaise surprise en découvrant qu’ils étaient aidés d’un maki, ou plutôt d’une maki.
   Petit froncement de sourcils chez Mordir, aucune réaction chez les autres. Mais ils étaient sûrement étonnés. On n’a jamais vu de sauvages d’espèces différentes s’entraider.
   - Ce seul problème aurait pu être surmonté, si ce n’est qu’en plein milieu de la bataille, un nouvel Explorateur qui était absent au début, et qui donc avait échappé à mes spider-spy, est arrivé à revers et a complètement bousillé ma stratégie d’encerclement. Le pilote était un Ff…
   Cette fois, les généraux réagirent. Fiorana demanda :
   - Comment ? Tu veux dire que des Ffs, des Ggs et des makis se sont alliés pour repousser ton attaque ?
   Le grognement de Mordir se répercuta sur les murs de la salle :
   - Si c’est avec d’aussi piètres excuses que vous essayez de cacher votre incompétence…
Fiorana l’interrompit :
   - Non, je connais Foun... Euh, le commandant F. S’il nous le dit, c’est que c’est la vérité. Et c’est particulièrement grave…
   - En fait, pas tant que ça. Il n’y avait qu’un seul Ff et une seule maki. Je ne sais pas ce qu’ils faisaient là, mais c’était probablement des voyageurs pris dans l’attaque. Je vais maintenant vous montrer ce qu’il s’est passé quatre jours après. Commandant ?
   Gafteg comprit ce qu’on attendait de lui et lança la vidéo qui montrait l’attaque sur la voie de rails. Pendant que les généraux restaient concentrés dessus, F put à loisir détailler leurs expressions.
   Mordir grognait fréquemment et encore plus quand il comprit que la vapeur l’empêcherait de voir le plus important. La vieille Ff montra une réelle surprise en constatant qu’un Ff et une maki aidaient effectivement des Ggs. Apparemment, elle n’avait pas cru F. Il fallait espérer que maintenant, elle lui ferait confiance. Fiorana avait gardé son air inquiet tout du long et la Ff impassible était restée imperturbable (prodigieusement agaçant). A la fin du visionnage, les généraux restèrent silencieux et Mordir baissa la tête, semblant réfléchir. F poussa son avantage en ajoutant :
   - Je précise qu’il s’agit bien des deux individus que j’avais croisés lors de l’attaque. Je suis formel là-dessus. Aucun des Ggs présents ne me dit quelque chose.
   Le général maki releva alors la tête :
   - Ils s’en sont tiré…
   - Exactement. Les deux Explorateurs ont bien été détruits, mais personne n’en est tombé, sans quoi, on les aurait vus. Je me suis longtemps demandé comment les trois avaient pu s’en sortir alors qu’aucun ne semble porter d’accrocheurs. Maintenant, je le sais.
   - Comment ?
   - Je vais y venir. Ayant eu vent de cette attaque, j’ai décidé de retourner attaquer la ville Gg en frappant un grand coup. J’avais pris cet acte de sabotage comme une contre-attaque et je ne pouvais permettre qu’une ville Gg s’en prenne ainsi à l’Empire.
Personne ne dit rien, mais à leurs têtes, F constata avec soulagement qu’ils auraient tous fait comme lui.
   - Cette fois, la victoire fut facile. Les Ggs ont à nouveau tenté de nous attaquer à revers, mais comme je m’y attendais, ça n’a servi à rien. Comme vous l’avez déjà dit, c’est pendant cette attaque que l’attentat à eu lieu.
   - Une idée de comment ils s’y sont pris ?
   - Plus qu’une idée, mon général. Une certitude.
   - Nous vous écoutons.
   - Le Ff et la maki n’étaient plus dans la ville quand je l’ai envahie. Ils sont partis juste après ma première attaque. Comme ils ont aidé un groupe de Ggs à attaquer notre voie de rails, j’en déduis qu’ils ont rejoint une autre ville Gg plus près du dôme, une ville que nous n’avions pas repérée. Au passage, c’est en comprenant comment ils se sont infiltré dans le dôme que j’ai compris du même coup comment ils avaient survécu à l’attaque sur la voie de rails.
   Petit silence pour faire monter la tension. Mordir grogna méchamment :
   - C’est fini de nous prendre pour des abrutis ? Donnez-nous vos conclusions rapidement. Ce n’est pas en nous faisant attendre que vous améliorerez votre situation.
   Enerver Mordir étant une très mauvaise stratégie, F se hâta de continuer :
   - Oui, oui. Ils ont profité du couvert de la vapeur pour monter à bord du train. Une fois dans le city-dôme, ils n’avaient plus qu’à se fondre dans la masse et à poser quelques questions.
   Nouveau petit silence avant que Fiorana n’ajoute :
   - Tiens oui, pas bête…
   - Nous sommes tous persuadés que les sauvages sont sans imagination et n’oseraient jamais se dresser contre nous. Nos dômes sont impressionnants et nous pensons que leur simple vue découragerait n’importe quel étranger, mais nous venons de trouver quelqu’un qui pense autrement. Si nous ne nous en débarrassons pas très rapidement, il va continuer et ça peut nous coûter cher.
   La jeune Ff haussa un sourcil.
   - Il ?
   - Oui, le Ff. C’est lui la source du problème. La maki est costaud et efficace dans les combats de faible ampleur, mais c’est le Ff le cerveau.
   Le général maki grogna en se rendant compte que son subordonné avait sûrement raison. Il savait bien que son espèce n’était pas réputée pour ses stratégies militaires. Si un sauvage pouvait s’infiltrer dans un dôme et découvrir son unique faille, c’était bien un Ff.
   - En attendant de décider du sort du commandant F, nous devons nous occuper de cette ville Gg. Sans dôme à proximité, ce sera difficile. Je propose d’envoyer un cuirassé.
Bien que Mordir s’adressait aux autres généraux, F pris le risque de répondre à leur place :
   - Veuillez m’excuser, mais j’ai une proposition à faire.
   Le visage du maki se fit encore moins avenant (difficile à imaginer, je sais, mais essayez quand même) et le volume augmenta de quelques décibels :
   - Nous parlerons de vous plus tard, nous avons d’autres priorités.
   - Ma proposition concerne les mesures à prendre.
   La vieille Ff eut un reniflement de dédain mais lâcha quand même :
   - Dites toujours…
   - Attaquer cette ville rebelle ne nous apportera pas grand chose. Non seulement, nous perdrons un temps fou à la localiser, mais il y a fort à parier que le Ff n’y sera plus lorsque nous attaquerons. On peut envoyer un cuirassé par acquis de conscience, mais ce n’est pas ainsi qu’on aura notre homme.
   Il est à noter que cette déclaration était particulièrement difficile à faire considérant que quatre généraux vous fixaient d’un air hostile, l’un d’eux prenant même un air affamé. Vous comprendrez aisément que des haut gradés n’aiment pas être repris par leurs subordonnés, surtout quand ceux-ci ont raison. Néanmoins, la Ff impassible ajouta :
   - Et que devrions-nous faire selon vous ?
   Les autres généraux n’apprécièrent pas qu’on incite F à continuer, mais ils devaient se rendre à l’évidence : ils étaient hors du coup. Aussi se turent-ils.
   - Je propose qu’une personne de l’Empire se voit allouer des droits spéciaux et l’autorisation de circuler librement dans tous les dômes, ainsi que la possibilité de recruter des hommes et du matériel. Le but de cet agent serait de traquer le Ff qui menace la sécurité de l’Empire.
   Fiorana intervint :
   - Tu exagères, un sauvage ne représente pas une menace telle qu’on délègue quelqu’un exclusivement pour s’en débarrasser. Il nous suffit de renforcer la sécurité autour du réacteur de chaque dôme. Et rien ne dit qu’il réussira à nouveau à s’infiltrer dans l’un d’eux.
   La Ff impassible reprit alors :
   - Non, je pense qu’il a raison. Quelqu’un qui est capable d’un tel acte ne s’y arrêtera pas. Peut-être effectivement n’est-il pas si dangereux que ça, mais il a déjà prouvé être plein de ressources. Nous devons le considérer comme une priorité, surtout s’il se promène de villes en villes.
   F était assez content du résultat. Quand il avait rencontré Fant pour la première fois, il lui avait donné l’impression d’un pauvre abruti perdu dans une affaire qui le dépassait, mais maintenant que tout l’Empire le considérait comme une sérieuse menace, il allait sûrement y avoir beaucoup d’amusement à la clé. C’est alors que la vieille Ff posa THE question :
   - Mais qui allons-nous pouvoir charger d’une telle mission ?
   F inspira profondément.
   Jusqu’ici, je les ai menés là où je voulais aller. Fiorana est inquiète pour l’Empire et elle sait ce que je vaux, elle sera d’accord. La vieille Ff cache mal son inquiétude elle aussi, mais je doute qu’elle soit de mon coté. La grosse brute, c’est même pas la peine d’y penser. Reste la femelle inexpressive. Pas moyen de deviner, mais elle a l’air intelligente. Si elle souhaite le bien de l’Empire, elle acceptera. C’est très jouable. Il est temps de lâcher la bombe.
   - J’aimerai être choisi pour cette mission.
   Les quatre généraux se tournèrent vers lui. Ils semblaient l’avoir oublié pendant un court instant. Lentement, Mordir se leva (Ah tiens, il était assis ?). Les servomoteurs de ses jambes cybernétiques bourdonnèrent curieusement dans le silence de la salle. Ses yeux devinrent haineux.
   - Et peut-on savoir, s’il-vous-plaît, qu’est-ce qui vous permet de croire qu’un « commandant » qui a laissé le dôme dont il était responsable se faire pulvériser par quelques sauvages serait mieux placé que l’un d’entre nous pour cette affaire ?
   Apparemment, le mastodonte venait de comprendre qu’il s’était laissé manipulé par le bout du nez depuis le début de l’entretien et il n’avait pas l’air d’aimer ça. F se dit que ses arguments auraient intérêt à être très convaincants.
   - Et bien, pour commencer, je pense que cette mission requérrait beaucoup d’investissement et je doute qu’un général pourrait abandonner son poste pendant le temps consacré à l’enquête. Moi, par contre, mon dôme ayant été détruit, je me retrouve inoccupé. Deuxièmement, je suis né sauvage et ait été fait citoyen par la suite. Je sais donc comment réfléchissent les habitants de l’extérieur, ce qui est particulièrement rare dans l’Empire. J’ai d’ailleurs déjà commencé à faire des recherches sur ce mâle. J’ai appris beaucoup de choses que je meurs d’envie de mettre en pratique. Et pour finir, ce Ff me doit une vengeance.
   F espéra avoir été le plus convaincant possible. En tout cas, il y avait mis les formes et beaucoup d’émotions, surtout sur la fin. Mais ce discours n’eut pas l’air de plaire à Mordir. Le maki commença à faire le tour de la table en renâclant bruyamment. Alors qu’il avançait, ses jambes métalliques frappèrent le sol régulièrement en lui donnant un déhanchement exacerbé fort peu sexy, mais très perturbant, un peu comme une machine de guerre. Les bruits des moteurs ne faisaient rien pour arranger le tableau. Le monstre s’arrêta à un mètre devant le Ff et se pencha sur lui en grondant (Note pour plus tard : penser à changer de slip). F sentit le souffle chaud sortir des naseaux alors que la chose se mit à parler d’une voix douce et grave, en détachant clairement chaque syllabe :
   - En ce qui me concerne, c’est hors de question.
   Bon, c’est passé. C’était pas si horrible que ça finalement, non ?
   Si, c’était encore plus horrible que tout ce qu’il avait imaginé. Et les autres généraux, ils allaient se décider à prendre la parole oui ou merde ?
   Ce fut Fiorana qui rompit le silence. Au grand étonnement de F, elle n’avait pas l’air amusé. Peut-être en était-elle passé par là, elle aussi…
   - Je connais bien F. Je sais que ce qu’il dit est vrai et qu’il a effectivement plus de chances que quiconque de retrouver ce rebelle. Cependant, je sais aussi que c’est un salopard de première qui est prêt à tout pour gagner du pouvoir. Cette histoire tombe à point nommé pour lui fournir de quoi garnir son CV. S’il réussit, ce dont je ne doute guère, il en profitera pour se hisser au poste de général sans passer par la case colonel. Le Ff sauvage est peut-être un danger, mais pas assez pour que nous rentrions dans les combines de cet individu. Voilà pourquoi je m’oppose fermement à sa demande, moi aussi.
   Oh merde. Je savais qu’elle m’en voulait, mais à ce point-là… Ca fausse tous mes calculs.
   La Ff impassible prit ensuite la parole :
   - Dès le premier regard, on constate que ce personnage cherche à manipuler son entourage. Je sais qu’il s’agit d’une combine pour gagner du pouvoir ou autre chose, peut-être simplement une chasse à l’homme excitante. Néanmoins, je ne prendrai aucune menace à la légère et s’il faut accorder une liberté totale à un serpent pour lui permettre de dévorer la source du mal, je suis prête à lui accorder ce qu’il demande.
   Joli… Celle-là est peut-être un peu trop intelligente. A surveiller de près. Zut, il reste le croûton…
   - Personnellement, je me fiche que ce mâle recherche le pouvoir ou pas. Il m’est antipathique, mais le général Fiorana confirme ce qu’il nous a dit : il est la meilleure personne pour nous débarrasser de cette épine dans le pied. Je soutiens sa demande.
   Merci grand Imperator ! Nous voilà là où je voulais y venir, même si une voie différente a été empruntée.
   Le général maki en resta un instant interloqué. Il se tourna d’un air interrogateur vers sa collègue.
   - Oui, Mordir, je le soutiens. Moi aussi il me déplaît, mais les intérêts de l’Empire Métallique doivent passer avant tout.
   La masse de muscle remua en grondant, puis ajouta :
   - Très bien, mais je reste opposé à laisser un commandant libre de se déplacer et de recruter des troupes n’importe où. Deux contre deux. Il nous faut un cinquième avis.
F se jeta dans la brèche :
   - Si je puis me permettre, l’affaire est urgente et nous n’avons guère le temps d’exposer la situation à une personne extérieure…
   Le Ff aperçut alors la Ff impassible esquisser un léger sourire, son premier signe d’émotion. Elle avait compris où il voulait en venir.
   - Je propose donc de demander l’avis d’une personne présente, fut-elle commandant.
   Et F, ainsi que les quatre généraux, se tournèrent vers le pauvre Gafteg, qui avait pourtant tout fait pour qu’on l’oublie depuis le début de la réunion. Ouvrant la bouche pour répondre, il constata que F le fixait, un grand sourire victorieux aux lèvres.

5) Une nouvelle ville

   Avant de vous parler de la ville G-44, qui fait d’ailleurs un peu miteuse par rapport à la ville G-13, je vais résumer vite fait les circonstances qui y avaient amené nos héros. L’émissaire qu’avait rencontré le bourgmestre s’appelait Gustav. Dès qu’il avait dit avoir besoin du commando G-13, l’humeur de Madame le bourgmestre s’était considérablement amélioré. Elle allait enfin pouvoir tirer parti de ce groupe. Qu’une autre ville vienne lui demander son aide était une grande réussite. Bien sûr, elle avait fait semblant de rechigner, arguant que le commando lui était fort utile, que c’était son idée et qu’elle en était très fière. Grumpf avait écouté d’une oreille distraite sans trop comprendre ce qui se passait. A vrai dire, sa maîtresse n’écouta guère plus, se contentant de hocher la tête en prenant un air précieux. Sentant qu’il n’avait pas toute l’attention de son interlocutrice, Gustav décida de sortir son argument majeur :
   - Madame, savez-vous combien il existe de villes Ggs de par le monde ?
   - Oui, bien sûr ! (gloussements)
   Sentant qu’on attendait une réponse un peu plus précise de sa part, le bourgmestre se refocalisa sur la conversation et réfléchit un court instant.
   - Euh… Aux alentours de cinquante, non ?
   - Exact. Quarante-sept pour être précis. Maintenant, savez-vous combien de projets de villes ont été initiés depuis l’apparition de la culture Gg ?
   - Mais comment voulez-vous que je le sache ? Je dirai une cinquantaine, mais si vous me posez la question, il doit y avoir un piège.
   - Effectivement.
   - Bon, alors disons soixante…
   - Bien sûr, il m’est impossible d’être parfaitement certain. Je suis passé par plusieurs villes avant d’arriver ici et j’ai fait de nombreuses recherches. Je vous ai parlé du manque de communication entre les villes. Je parie que vous-même n’entretenez des relations qu’avec les villes les plus proches.
   - Et bien, nous recevons les informations provenant des villes G-11, G-12, G-15 et G-16, mais nous faisons des échanges commerciaux avec bien d’autres villes.
   - Oui, les échanges commerciaux sont nombreux, mais les vrais dialogues sont très rares. Par conséquent, quand une ville disparaît, personne n’y fait attention. On se cherche un autre partenaire commercial et on finit par oublier qu’une ville entière se trouvait là. Un voisin décide quelques années plus tard de lancer la construction d’une nouvelle ville en lui donnant le nom d’une disparue. Du coup, personne ne se rend compte qu’il y a eu disparition.
   - Oui bon, des accidents arrivent. Aucune ville n’est à l’abri de l’Ensevelissement. Il n’est pas si étonnant qu’une dizaine de villes aient disparu depuis l’origine de la ville G-1.
   - Mais je ne vous ai pas encore donné les chiffres réels…
   - Eh bien, allez-y. Etonnez-moi.
   - Le nombre de villes Ggs qui ont été construites depuis la ville G-1 est estimé entre trois cents et quatre cents.
   - …
   - Vous êtes suffisamment étonnée ?

   Les effondrements accidentels ne pouvant expliquer la disparition d’un si grand nombre de villes, le bourgmestre comprit du même coup qu’il y avait plus en jeu que sa petite réputation. La conversation se termina fort à propos sur cet argument fort :
   - Grumpf !
   Le commando G-13 fut très rapidement reconstitué. Au souvenir de la lente agonie de la dernière fois, mais aussi parce qu’il n’avait aucune intention de quitter le coin, Fant refusa catégoriquement de prendre le train. Fondarfin régla la question en rappelant fort à propos que la ville G-13 était l’heureux détenteur d’un spider-fly en parfait état de marche ainsi que de son pilote. Les protestations de Fant se furent d’autant plus véhémentes, mais ces cris commencèrent à indisposer Ger, Gunat et Guissiquil qui réglèrent définitivement la question en menaçant le jeune Ff d’émasculation s’il ne fermait pas très vite sa gueule. Les sept membres du commando embarquèrent donc avec Gustav et Frann à bord de l’appareil volant. Bien qu’un peu serrés, ils purent apprécier la vue tout le long du trajet. Très belle vue au passage, il n’y avait qu’à lever la tête pour admirer une splendide jungle pleine d’oiseaux colorés. Fant, toujours en train de bouder, apprécia d’avantage le plan de la région qui apparaissait en surimpression sur le cockpit. Frann lui expliqua que chaque point rouge était un dôme impérial. Fant n’aurait jamais cru possible de faire tenir autant de points rouges sur une si petite carte. Heureusement qu’il ne savait pas compter au delà de seize sans quoi son vertige aurait encore empiré.

   Frann put trouver l’emplacement de la ville G-44 en se basant sur les descriptions du dôme fournies par Gustav. Il identifia sans difficulté le Military-dôme n°353 à partir des symboles qui l’ornaient. De là, le Gg put guider le pilote jusqu’à la plateforme camouflée qui servait d’ascenseur jusqu’au hangar des Explorateurs de la ville G-44.
   Avant d'aller se poser, le groupe regarda dans la direction pointée par Gustav. La silhouette du dôme apparaissait au loin, en tout point semblable au précédent, bien qu’on ne pouvait voir les détails à cause de la distance. Par contre, un peu en dessous se trouvait une autre silhouette, plus petite, mais non moins impressionnante. De là où ils se trouvaient, nos amis ne virent qu’un forme rectangulaire allongée qui semblait flotter en plein ciel, immobile. Interrogé, Gustav ne put qu’avouer son ignorance sur cette chose qu’il dit n’avoir jamais vue. Frann put quand même les éclairer :
   - C’est un cuirassé, comme un spider-fly, mais en cent fois plus gros. Les cuirassés servent surtout à transporter des troupes, mais possèdent également des canons orientés vers le sol. Chacun d’eux est capable d’anéantir une ville complète. Sa présence n’est pas forcément inquiétante, mais vu d’ici, il a l’air plus gros que d’habitude. Si j'ai raison, la situation est bien pire que vous ne le pensiez.
   - Et pourquoi ça ?
   - On dirait un cuirassé général. Si un général de l’Empire est présent, vous pouvez être sûrs que la sécurité aura été renforcée.

   Je peux donc enfin vous décrire cette ville Gg, mais je me contenterai de vous signaler qu’elle ressemblait en tout point à la ville G-15, mise à part la forme de la caverne, un peu plus bombée et le nombre de puits à énergie, au nombre de trois, tous fonctionnels. Le comité d’accueil fut d’autant plus restreint que personne ne s’attendait à ce que le commando arrive par en dessous, c’est à dire par les airs. Fant repéra assez vite que les habitants du coin étaient nettement moins sympathiques que ceux rencontrés dans ses précédentes étapes. Les Ggs vaquaient à leurs activités diverses en affichant tous une mine déprimée. Très peu d’entre eux firent l’effort de relever la tête pour regarder passer le groupe hétéroclite. Devant les visages étonnés de nos amis, Gustav ne put s’empêcher de leur demander ce qui les dérangeait. Alors que Garlic allait demander de façon fort peu diplomate s’il venait d’y avoir un Ensevelissement d’une personne importante, Gemp décida qu’il valait mieux qu’elle prenne elle-même la parole :
   - Excusez-moi, vos concitoyens n’ont pas l’air de beaucoup apprécier notre présence. Y a-t-il quelque chose qui les dérange ?
   Gustav sembla surpris de la question :
   - Non, pas du tout. Peut-être êtes-vous étonnés du manque de chaleur. C’est notre façon d’être, rien de plus. J’ai moi-même été surpris en constatant l’accueil que la ville G-13 m’avait réservé. C’était l’une des villes les plus accueillantes que j’ai croisées, mais toutes ne sont pas aussi gaies. Ca vient peut-être du cadre…
   A cette réponse, nos amis préférèrent ne rien ajouter, mais le cerveau de Garlic se mit en branle.

   Ce qui nous amène dans la grande salle de la mairie, où eut lieu le premier briefing. Gustav leur expliqua que le dôme gênant se trouvait à distance trop éloignée pour que des Explorateurs puissent faire l’aller-retour.
   - Mais avec votre engin volant, ce serait peut-être possible. Quel genre de carburant utilise-t-il ?
   On avait laissé Frann participer à la réunion pour ses connaissances sur l’ennemi. Néanmoins, il ne se révéla pas des plus utiles :
   - Aucune idée, je n’ai rien d’un technicien. J’ai un voyant sur le tableau de bord qui m’indique la quantité de carburant restante, mais mes connaissances ne vont guère plus loin.
   Inquiet, Fant posa une question :
   - Il nous reste de quoi rentrer à la ville G-13 ?
   - Sans aucun problème. Après le voyage que nous avons fait, je n’ai même pas épuisé un huitième du réservoir.
   Fondarfin ne put retenir un bref sifflement.
   - Impressionnant. Il faut impérativement que je regarde le moteur de cet engin. J’ai déjà plus ou moins compris comment fonctionnaient les hélices et la direction, mais je n’avais pas pensé à regarder le moteur et le carburant. Je sens que je vais en faire ma nouvelle priorité.
   Gemp reprit la conversation :
   - Ce dôme vous envoie des araignées métalliques ?
   - Non, pas du tout. Nous n’avons rien vu de tel. Ce qui nous embête, c’est plutôt les bestioles qui en sortent, même si pour l’instant, aucune ne nous a repérés.
   - Quel genre de bestioles ?
   - Eh bien, on dirait des makés, mais avec un pelage qui vire un peu au rouge. Là où ça devient gênant c’est qu’ils font trois fois la taille des plus hauts arbres.
   Tout le monde en resta muet. La plupart parce qu’ils pensaient à une blague, Fant parce que ça lui rappelait très vilainement quelque chose et Fondarfin parce qu’il se souvenait tout d’un coup de la raison pour laquelle Fant avait quitté son village. Il se tourna aussitôt vers lui :
   - Mais alors…
   - Oui, Fond, je ne racontais pas n’importe quoi…
   Garlic demanda alors de sa voix de fausset :
   - Pardon ? Fant, tu as déjà vu une telle chose ?
   L’intéressé constata avant de répondre que Gustav le fixait étrangement, semblant attendre sa réponse avec impatience.
   - Oui, j’ai vu un de ces monstres passer près de mon village natal.
   Fondarfin le relança :
   - Tu m’avais dit l’avoir fait tomber.
   Fant soupira, puis répondit :
   - Oui, j’ai réussi à lui faire lâcher prise. Contrairement aux makés normaux, celui-là se tenait la tête en bas et s’accrochait au sol avec ses pattes antérieures. J’ai planté un de mes accrocheurs sous son ongle pendant que l’autre pied était détaché. Il a sursauté et lâché prise.
   Curieux… Frann aussi le fixait étrangement. Notre héros commença à s’agacer de toute cette attention et demanda un peu brutalement :
   - Quoi ?
   - Toutes mes condoléances, mon ami.
   - Pourquoi tu me dis ça ?
   Frann sembla hésiter :
   - Comment pourquoi ? Tu as quitté ton village longtemps après ?
   - Non, le lendemain, pourquoi ?
   - Alors j’ai le regret de t’annoncer que ton village n’existe plus.
   Moment de silence gêné, le temps que la gorge de Fant se dénoue.
   - Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
   - On appelle ces créatures des makX. Je n’en ai jamais vu moi-même, mais je sais que certains military-dôme se spécialisent dans l’élevage de makX. Ils ne sont pas naturels, ils sont le résultat de manipulations dont je ne connais rien. Je ne sais pas à quoi ils servent, mais l’Empire en lâche un de temps en temps pour observer son comportement et faire des enregistrements. Apparemment, le Military-dôme n°353 se spécialise dans ce genre d’élevage.
   - Et en quoi cela menace-t-il mon village ?
   - Les makX sont suivis d’une nuée de spider-bug. Si la bête s’est approché de ton village, l’Empire en a été mis au courant. Et ça m’étonnerait que le colonel local ait apprécié qu’on tue un de ses joujoux.

   Moins d’une heure plus tard, Fant et Frann repartaient à bord du spider-fly. Le nombre de military-dômes faisant l’élevage de makX était très réduit. Il y avait donc de très fortes chances que celui qui avait été vaincu par Fant soit parti d’ici. En suivant les pistes laissées par les créatures géantes (pistes d’autant plus faciles à suivre que les arbres mettent des années avant de repousser), Frann estimait possible de retrouver le village de son... Disons, de son ami. Ce dernier n’appréciait guère de se retrouver seul avec celui qu’il considérait comme une menace, mais il voulait juste s’assurer de la situation de son ancien village et avec un pistolaser sur soi, on se sent tout de suite plus en confiance. Les autres membres du commando comprirent très bien que leur ami veuille vite aller voir, aussi le laissèrent-ils partir sans problème, préférant rester sur place pour réfléchir à la meilleure façon de procéder contre le dôme.
Garlic s’installa confortablement et chassa poliment leur hôte, lui assurant qu’ils en avaient pour longtemps et qu’il avait sûrement des tas d’autres choses à faire. Gemp, comprenant que le Gg à lunettes voulait leur dire quelque chose en privé, empêcha Gunat et Guissiquil de sortir eux aussi sous prétexte que leur point de vue de militaire serait sûrement très important. Quand il furent enfin seuls, Fondarfin demanda :
   - Qu’est-ce qu’il y a, Garl’ ? Pourquoi as-tu voulu qu’on reste seuls ?
   Gunat ajouta :
   - Ouais, tu sais bien que les préparations, ça nous fait chier. Il y a sûrement un ou deux bars dans ce bled. On voulait faire un tour.
   Fronçant les sourcils pour voir qui lui parlait, Garlic répondit :
   - Je te le dis tout net, Guissiquil (-Vas-y ! J’suis pas un mec !), on est dans la merde.
   Ger rétorqua :
   - A propos du dôme ? C’est clair, je vois mal comment on va faire pour le niquer. Enfin c’est à toi de faire un plan, pas à nous.
   - Aucun d’entre vous n’a rien remarqué de bizarre ?
   Tout le monde haussa les épaules, mais Gemp ajouta quand même :
   - Si. J’ai beaucoup voyagé et je n’ai jamais vu de ville où les gens étaient aussi mornes.
   Garlic remonta ses lunettes sur son nez avant d’enchaîner :
   - Voilà ! Enfin, ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est qu’il a dit que la ville G-13 avait été l’une des villes les plus accueillantes qu’il ait vues. Avec le bourgmestre et Grumpf à l’accueil, j’ai beau ne pas très bien voir, je sais que ça ne peut pas être chaleureux.
   Gemp rajouta :
   - Oui, et il y a certains points de la culture Gg sur lesquels il s’est trompé.
   Fondarfin, comprenant où les deux Ggs voulaient en venir, demanda :
   - Et vous avez laissé partir Fant sans rien lui dire ?
   Garlic voulut se tourner vers lui et adressa sa réponse au poêle :
   - Gustav était toujours là. Et puis, là où il est, Fant est sûrement en bien meilleure posture que nous.
   Les peinturlurés n’avaient pas trop saisi, mais subodoraient néanmoins le danger. Ger demanda donc quelques précisions :
   - Pardon, l’un de vous pourrait expliquer ce qui se passe en termes compréhensibles. Il y a des gens normaux dans la salle (et des lecteurs un peu lents aussi).
   - En clair, la ville G-44 est entre les mains de l’Empire Métallique.
   Il fallut un petit moment pour que les trois militaires comprennent toutes les implications. Gunat résuma alors fort bien la situation par cette phrase :
   - On est à quatre pattes…

6) Un plan de fou

   A peine avait-il obtenu son nouveau statut d’enquêteur spécial que F avait décidé de partir pour le Military-dôme n°353. Ses premières recherches dans les archives de l’Empire l’avaient très vite amené à une vidéo passionnante prise par un spider-bug moins d’un demi memp plus tôt dans laquelle on apercevait un Ff faire du rodéo sur un makX. Accessoirement, le makX tombait inexplicablement quelques instants plus tard. Bien entendu, F avait pu reconnaître sa proie préférée (pas le makX, le Ff qui traînait dessus). Deux possibilités : soit Fant était déjà un fervent ennemi de l’Empire et avait défendu ce village pouilleux par simple esprit héroïque, soit il avait essayé de protéger son propre village et la peur l’avait fait partir en voyage peu de temps après. Il suffisait d’avoir croisé son regard rien qu’une fois pour deviner que ce Ff n’avait rien d’héroïque et préférerait cent fois se la couler douce dans son coin plutôt que de se lancer dans une guerre contre un ennemi aussi puissant que l’Empire Métallique. Néanmoins, le fait de découvrir que son village avait été détruit peu de temps après son départ pourrait bien le décider à s’acharner un peu plus, ce qui ne déplaisait aucunement à F.
   Le commandant avait donc imaginé un plan des plus subtils permettant de l’arrêter. Un plan qui l’arrangerait, même si Fant réussissait à s’échapper. A peine arrivé au military-dôme, il avait embauché Gustav, un militaire Gg qui, tout comme lui, n’était pas né citoyen. Grâce à son savoir des us et coutumes de son peuple - enfin, ce dont il se souvenait, sa ville ayant été envahie alors qu’il était enfant - Gustav avait voyagé de ville en ville en se faisant passer pour un simple ambassadeur à la recherche d’informations. A peine un femp plus tard, il avait déjà trouvé la ville où résidait Fant.
   Pendant ce temps, F avait efficacement nettoyé une ville Gg à proximité, mais au lieu de déporter les habitants ou d’installer une mine de fer comme c’est si souvent le cas, il se contenta d’installer des Ggs armés un peu partout pour tenir la population sous contrôle. Il n’y avait plus qu’à attendre que Gustav revienne avec ses proies. Décidément, ce poste d’enquêteur spécial était un petit plaisir. Non seulement, c’était un poste unique, ce qui lui donnait l’impression d’être très spécial, mais le défi était enfin à sa taille. Quelque part, il se doutait que Fant échapperait plus ou moins à la première tentative d’embuscade, aussi parfaite qu’elle semblait, mais deux autres attendaient juste derrière. Le plan était tout simplement parfait. Une seule ombre au tableau, mais quelle ombre ! Le général Mordir avait insisté pour que F soit constamment surveillé par un général. Pas forcément en perpétuelle observation, mais l’un d’entre eux devait se tenir à proximité « au cas où ». Et avec la chance de F, le Military-dôme n°353 se trouvait sous la juridiction de Fiorana, au grand déplaisir de cette dernière.

   Le moment est donc enfin venu de vous dévoiler tout ce qu’il faut savoir sur cette mystérieuse Fiorana, qui à l’âge de 19 cycles (trad : 28 ans et quelque) avait réussi le tour de force d’être promue général. Citoyenne de l’Empire de par sa naissance, fille unique d’une générale et d’un cultivateur, sa mère avait tout fait pour que Fiorana suive la même voie qu’elle. Vous me direz qu’avec une mère haut placée, il est tout de suite plus facile de monter en grade. C’est vrai, mais il faut bien avouer qu’une éducation à coup de trique, ça aide aussi beaucoup. Fiorana avait donc eu tous les atouts de son coté dès le départ. Après quelques cycles passés à être colonel, elle avait repéré un tout jeune Ff sous son commandement qui se battait des pieds et des mains pour obtenir une promotion. Parmi les nombreuses méthodes mises en œuvre pour parvenir à ses fins, il avait essayé de séduire son colonel. La femelle avait été amusée par ces tentatives gauches, et en même temps impressionnée par cette forte volonté.
   Plus par jeu que pour autre chose, elle avait décidé de répondre favorablement à ses avances, mais s’était bien gardé de le promouvoir de quelque façon que ce soit. Après quelques memps passés à partager sa couche, elle avait découvert plusieurs choses sur ce mâle. La première, c’est que malgré son apparence un peu grotesque et sa manie de se curer l’oreille avec le pied dès qu’il réfléchissait, Founi était d’une intelligence exceptionnelle. Malheureusement, cette intelligence ne s’encombrait d’aucune limite morale. Ce qui nous amène au deuxième point, ce type était prêt à absolument tout pour se hisser plus haut dans la hiérarchie.
   Honnêtement, Fiorana le voyait très mal commettre un crime ou trahir l’Empire. Founi était nettement trop malin pour risquer sa carrière sur un tel coup de poker. Il réfléchissait à long terme et prenait le minimum de risques. Il en était d’autant plus dangereux. Profitant de sa relation avec son supérieur, il avait tiré toutes les ficelles possibles et il commençait à attirer l’attention du général. Même alors qu’elle n’avait rien fait pour aider son concubin, il avait tout de même profité de sa liaison avec elle. A garder une telle vipère dans sa couche, nul doute qu’un matin, Fiorana se serait réveillée avec la corde au cou. Cette passion pour le pouvoir et les intrigues avait fini par dégoûter la jeune femelle et elle avait tout fait pour que leur rupture soit bien connue et nuise le plus possible à la réputation de celui qui se faisait désormais appeler F (une vague histoire de charisme…).
   Elle ne sut jamais comment il s’y était pris, mais il réussit même à retourner cette rupture à son avantage et les regards amusés que ses collègues lancèrent à Fiorana trois memps durant ne lui donnèrent pas envie d’en savoir plus. Peu de temps plus tard, il était nommé commandant et muté dans un dôme hors de la juridiction de Fiorana. Elle ne l’avait plus revu depuis. Pas avant quelques jours plus tôt, quand on l’avait appelée pour régler le sort d’un commandant Ff qui avait fait des siennes.
   En le voyant, elle s’était dit qu’elle n’aurait pas dû être surprise : nul autre que Founi ne pouvait provoquer un tel chambard chez les généraux impériaux. Par contre, il avait à nouveau profité de la situation et voilà qu’elle était obligée de rester à ses cotés durant tout le temps où il séjournerait au dôme militaire 353. La jeune Ff avait l’impression de le détester encore plus qu’avant. Pour éviter d’avoir à le croiser trop souvent, elle était venue dans son cuirassé personnel et avait la ferme intention d’y rester. De là, elle pouvait surveiller le dôme et ce qui se passait aux alentours et ça lui semblait amplement suffisant. F restait dans le dôme à magouiller pour attraper son Ff et ainsi, ils se voyaient le moins possible.
   A vrai dire, elle ne le fuyait pas seulement parce qu’il l’énervait. En le revoyant, elle s’était rappelé une autre raison qui l’avait poussée à le quitter. F avait des yeux améthyste qui semblait percer jusqu’au fond de votre âme quand il vous regardait droit dans les yeux. Elle avait beau détester le personnage autour, ce regard avait quelque chose de perturbant. Par ces yeux, F semblait dévoiler sa véritable personnalité, ses véritables émotions. Il y brillait toute son intelligence, mais aussi une volonté digne des plus grands généraux. Fiorana se souvenait y avoir plusieurs fois décelé une pointe de tristesse. Tristesse qui disparaissait quand il était avec elle. Comme elle avait aimé ces yeux, autrefois… Ces yeux qui brûlaient d’une passion infinie quand tous deux se retrouvaient seuls après une journée difficile, quand ils étaient enlacés en une tendre étreinte et que le reste de l’univers semblait disparaître…
   Sur le pont de son cuirassé, Fiorana secoua brutalement la tête. De telles pensées étaient dangereuses. Ce mâle était une menace, il ne fallait pas l’oublier. Détournant ses yeux de la grande verrière qui surplombait le pont et par laquelle on avait une vue imprenable sur le dôme, le général Fiorana se dirigea vers son bureau. Sa présence ici lui avait fait prendre du retard dans les nombreuses tâches dont elle était responsable. Il était temps de s’y mettre.

   A l’intérieur du dôme, le commandant F était mécontent. Son adversaire aux spider-chess était particulièrement mauvais, ce qui cassait le challenge. Du coup, lui-même jouait fort mal et ça l’agaçait. Cet état de fait s’expliquait d’autant plus facilement que son adversaire n’était autre que lui-même. Il repoussa rageusement le plateau, mais à son grand regret, les pièces ne volèrent pas à travers la pièce et se contentèrent de rouler pitoyablement sur le coté. Il ne voulait pas se l’avouer, mais la présence de son ex-concubine si proche de lui le perturbait grandement. En apprenant que le Military-dôme n°353 était sous la juridiction de Fiorana, il avait d’abord béni sa chance, pensant à raison qu’elle ferait tout pour l’éviter et lui foutrait la paix. Malheureusement, il n’avait pas prévu que la revoir déclencherait ce genre de souvenirs perturbants.
   Par le passé, F avait tenté très maladroitement de séduire son supérieur dans l’unique but de prendre du grade et elle n’avait pas été dupe. Malgré tout, vivre avec Fiorana avait été l’un des meilleurs moments de sa vie. Il ne s’en était pas rendu compte sur le moment, ni même après qu’ils aient rompu, d’ailleurs. En la revoyant, il était tellement obsédé par sa demande pour devenir enquêteur spécial qu’il n’avait rien pensé d’autre en la voyant que « Merde, elle va me descendre en flèche devant les autres. ».
   Mais dès que la pression était retombée, il s’était rendu compte que son image, son odeur, les souvenirs de leurs discutions et de leurs caresses venaient violemment perturber le cours de ses pensées d’ordinaire si bien ordonnées. Et comme il n’avait rien d’intéressant à faire, il n’arrivait pas à penser à autre chose qu’à la jeune femelle qui se trouvait dans le cuirassé à proximité. Mais aussi, qu’avait-elle eu besoin de le regarder de ses yeux rieurs quand il était entré dans la pièce où se trouvaient les généraux. Ce regard le hantait. C’était exactement le même qu’elle lui lançait autrefois quand ils étaient sur le point de faire l’amour, un regard qui semblait dire « Crois-tu vraiment que tu seras à la hauteur, cette fois encore ? ». Ca avait fait partie des rares moments où il perdait tout contrôle de lui-même (l’unique autre moment avait été le jour où un agent d’entretien Gg avait malencontreusement percuté le plateau de spider-chess alors que F préparait une feinte des plus subtiles qui aurait à coup sûr surpris son adversaire, à savoir lui-même). Ca lui manquait…
   - Rah, mais c’est pas vrai ! Jusqu’à quand est-ce qu’elle va continuer à me faire chier ?
   Il serait bien allé au poste d’observation pour voir si Gustav revenait, mais s’il y allait, il se doutait que son regard serait attiré par le cuirassé qui stagnait sous le dôme et ça n’arrangerait pas son humeur. Ne sachant quoi faire faire, il poussa un soupir, puis récupéra son plateau de spider-chess.
   Je me demande si elle ferait un adversaire valable…
   Puis secouant la tête, il ajouta à voix haute :
   - Dès que cette histoire est finie, je me trouve une femelle quelconque et je reste avec pour le restant de mes jours…

   Les cinq jours qui suivirent furent un calvaire. Fiorana resta la tête plongée dans la paperasse et F battit son record de victoires contre lui-même. Les soldats à bord du cuirassé constatèrent une forte baisse d’efficacité et durent corriger de très nombreuses erreurs de la part de leur général. Les militaires du dôme, quant à eux, entendirent de nombreuses fois l’enquêteur spécial traiter la reine ennemie de « salope » et autres petits mots doux. Ils n’y firent pas très attention, habitués qu’ils étaient aux cris des makX à longueur de journée. A une ou deux reprises, l’un ou l’autre de nos gradés impériaux failli se résoudre à aller rendre une petite visite à l’autre, mais ils reculèrent toujours au dernier moment, se disant que cette visite pourrait passer pour un acte de faiblesse. Il aurait en fait favorablement étonné le visité qui n’attendait que ça. Tout ça pour dire qu’au retour de Gustav, F était en chien et sur le point de bouffer ses pions quand un messager innocent vint lui apporter la nouvelle tant attendue. Sans plus attendre, le commandant se rua presque à quatre pattes dans la salle d’observation.
   Celle-ci ne donnait absolument pas sur l’extérieur du dôme, ni même sur l’intérieur, mais elle contenait de très nombreux écrans qui diffusaient les images reliées par les nombreuses caméras placées aux environs, ainsi que par les spider-bug de sortie. Un opérateur signala à F qu’un groupe d’étrangers venait d’arriver à la ville G-44. Surexcité, l’enquêteur donna ses ordres :
   - Demandez immédiatement aux équipes d’embuscade de piéger les rails. Et qu’ils restent à proximité pour cueillir le moindre survivant.
   - Tout de suite, monsieur. Mais je dois vous avertir qu’ils ont emprunté une autre voie pour venir.
   - Par la surface ? En accrocheur ?
   - Non, monsieur. En spider-fly.
   Petit moment de silence.
   - Ingénieux. Voilà comment il a quitté le City-dôme n°984. J’aurais dû y penser… Que les équipes d’embuscade piègent quand même les voies. On ne sait jamais…
   Un capitaine à proximité demanda :
   - Si l’un d’eux s’échappe par les airs, devons-nous envoyer des spider-fly pour le poursuivre ?
   - Non. Quand Gustav lui aura parlé de son village, il voudra s’y rendre. C’est dommage qu’il n’emprunte pas les rails, mais si nous l’attaquons en l’air et qu’il arrive à s’échapper, on ne sait pas où il ira et je refuse de le perdre.
   Après de longues minutes d’attente, un spider-bug détecta le spider-fly qui repartait. Encore une petite minute avant qu’un soldat positionné à la ville G-44 ne fasse son rapport :
   - La cible vient de partir en spider-fly vers le village Ff. Il est accompagné d’un autre mâle Ff qui lui sert de pilote. Il reste donc cinq Ggs et un Ff dans la ville.
Arrachant le micro des mains de l’opérateur, F répondit lui-même :
   - Dès que Gustav a une minute de temps libre, transmettez-lui ces ordres : qu’il fasse arrêter les rebelles et les fassent transférer sur le cuirassé général.
   - Sur le cuirassé, monsieur ?
   - Oui, pas dans le dôme. Aussi faibles que soient les risques, notre cible aura beaucoup moins de chances de s’infiltrer sur un cuirassé en vol que dans un dôme et ainsi, même si la situation merde comme c’est pas permis, nous pourrons toujours fuir à bord du cuirassé avec des otages. Faites aussi évacuer tous les Ggs sauvages et préparez-vous à cueillir tout train ou spider-fly en approche. Quand bien même Fant se tirerait du guet-apens qui l’attend dans son village, il sera obligé de repasser par ici.
   Rompant la transmission, F se permis un petit sourire de satisfaction. Le capitaine qui avait parlé quelques minutes plus tôt posa la question que tout le monde avait sur le bout de la langue :
   - Mais pourquoi ne pas déjà l’avoir arrêté ici-même ?
   - J’attendais qu’on me pose la question. Je vous répondrais par une autre : et s’il avait réussi à s’échapper ? J’y répond à votre place, il aurait disparu et serait devenu encore plus difficile à capturer. Là, je l’attire dans la ville G-44. Ses amis y restent. C’est une chance, je n’étais même pas sûr qu’il viendrait accompagné. Et lui part seul ou presque vers son village natal. Qu’il échappe aux embuscades dans les tunnels de rail ou à son village et il devra forcément revenir ici. En enchaînant plusieurs pièges d’affilé, tout en m’assurant qu’il les déclenche tous, j’augmente les chances de réussite.
   Impressionné, le capitaine ajouta :
   - Vous prenez ça très au sérieux.
   - Oui, extrêmement. Ce Ff nous a déjà prouvé être imprévisible. Si j’avais juste préparé des pièges dans les tunnels et un comité de réception en ville, le simple fait qu’il soit arrivé en spider-fly aurait tout gâché. J’ai perdu un dôme contre lui parce que je n’étais pas prêt. Maintenant, je suis sérieux. Remarquez, on a de la chance, la maki n’est pas là. Ca facilitera la capture. Maintenant, qu’on prépare mon spider-fly spécial. Je vais aller superviser moi-même l’embuscade au village Ff.

   Le spider-fly personnel de F n’avait rien de particulièrement impressionnant. Il n’était pas repeint en noir, il n’était pas plus gros qu’un autre et il ne ressemblait aucunement à un visage de démon. En gros, c’était un spider-fly normal. La seule chose qui le différenciait des autres et qui le rendait par là même unique dans tout l’Empire, c’était qu’il ne transmettait pas sa position, le rendant invisible aux détecteurs impériaux. Nul doute que le général Mordir, et tous les autres généraux d’ailleurs, auraient très fortement désapprouvé l’utilisation d’un appareil non immatriculé. A vrai dire, ils l’avaient même carrément interdit. Mais les nouveaux pouvoirs de F lui avaient permis de se faire préparer un petit appareil spécial sans que quiconque ne soit au courant.
   Quand le général Fiorana, debout devant la verrière de son cuirassé, vit passer l’appareil au loin alors qu’on lui assurait que les capteurs ne détectaient rien, elle demanda calmement à ce qu’on la mette en ligne avec le hangar du dôme :
   - Excusez-moi, un spider-fly vient bien de décoller, n’est-ce pas ?
   - Effectivement, madame.
   - J’aurai besoin que vous me confirmiez une intuition. Qui est à bord ?
   - C’est l’enquêteur spécial F, madame.
   Sans répondre, le général fit signe au responsable de couper la transmission. Son second, une toute jeune femelle Gg, lui demanda :
   - Devons-nous lancer des appareils à ses trousses ?
   - Laissez tomber. S’il utilise cet appareil, c’est sûrement pour pouvoir suivre discrètement le spider-fly qui a quitté la ville. D’autres engins le feraient repérer.
Alors que son second s’éloignait, Fiorana regarda le point disparaître au dessus de l’horizon :
   Tu n’as pas intérêt à disparaître, Founi. Parce que sinon, je te garantis que ta mort sera lente et douloureuse.

7) Embuscade

   Après un rapide voyage sous l’impressionnante jungle suspendue, F posa son appareil dans un coin un peu plus dégagé de la forêt où l’attendait une sorte de gros cube métallique ouvert sur l’une des faces. Plusieurs soldats Ff armés de pistolaser l’observèrent depuis des branches basses. Tout au long du trajet, F était resté trop loin de l’appareil de Fant pour pouvoir ne serait-ce que l’apercevoir, mais les détecteurs de son spider-fly lui avaient permis de le suivre sans problème. Comme prévu, il était retourné droit vers son village.
   L’enquêteur spécial attendit que les pales de son appareil cessent de tourner, puis alluma ses accrocheurs magnétiques et sortit. Fermement suspendu au sol, il activa la propulsion et se dirigea tranquillement vers l’ouverture du cube métallique. Petite explication, ce cube s’appelait un centre d’observation mobile, ou COM. Il s’agissait d’une petite pièce pleine d’équipements de communication et d’observation qu’un cuirassé pouvait déposer et récupérer n’importe où. Dû à sa forte teneur métallique, trois personnes pouvaient s’y tenir sans risque de la détacher du sol. Quand F rentra dedans, une unique femelle Ff s’y trouvait, vérifiant des écrans et exhortant à la patience les soldats avec lesquels elle était en communication.
   La femelle se retourna au bruit des accrocheurs magnétiques, puis se leva et salua en reconnaissant son supérieur :
   - Mon commandant, je ne m’attendais pas à votre visite.
   - Repos. Je suis juste venu m’assurer que tout se passait bien. Où en êtes-vous ?
   - Le mâle est arrivé en spider-fly. Nous avons été pris de court, alors nous avons un peu de retard dans l’installation des spider-warrior piégés.
   - Rien ne presse. Où est la cible ?
   - Il vient d’arriver au village. Comme prévu, il n’utilise que des accrocheurs très primitifs. Je ne sais pas exactement ce qu’il fait. Je n’ose pas envoyer des spider-bug de peur de nous faire repérer.
   - Très bien. Vous avez envoyé des soldats sécuriser le spider-fly ennemi ?
   - Oui. Un autre mâle Ff se trouvait dedans. Il a dit vouloir vous parler. Deux de mes filles l’ont capturé et l’amènent ici. Nous pouvons faire exploser l’appareil quand vous voulez.
   - Bien, attendez juste que le reste des spider-warrior soit en place et lancez l’attaque.
   - Bien monsieur. Je dois également vous signaler que j’ai perdu un soldat il y a quelques jours.
   F tiqua.
   - Perdu ?
   - Oui, elle était à son poste quand elle a subitement cessé de répondre. Peut-être une bête sauvage…
   Une bête sauvage… Peu probable. Les citoyens de l’Empire Métallique s’imaginaient des tas d’horreurs grouillant dans la jungle, mais F savait que les deux seuls animaux qui pouvaient être dangereux étaient les monds et les makés. Un mond n’aurait jamais attaqué sans provocation, et armé d’un pistolaser, la femelle soldat l’aurait abattu facilement. Une attaque de maké était déjà plus probable, mais si ça avait été le cas, d’autres soldats auraient fait des rencontres.
   L’inspecteur réfléchi un petit moment, puis en vint à la conclusion la plus évidente : la Ff avait sûrement Chuté accidentellement. Ces soldats n’étaient absolument pas habitués à avoir le vide sous leurs pieds et F n’avait pas eu le temps de les former correctement aux longues missions en extérieur. Il faudrait espérer que cette inexpérience ne vienne pas gâcher la capture de Fant.
   Pour ce coup-là, F avait fait fort. Toute la forêt alentours était truffée de soldats impériaux. Il avait laissé la quasi-totalité de ses soldats Ggs à la ville G-44 où ils se fondaient plus facilement dans le décor et il avait d’office décrété qu’il ne voulait aucun mâle Ff au village. L’ordre avait provoqué des réactions houleuses chez les deux sexes et chez les trois espèces, mais surtout chez les Ffs. Dans l’Empire Métallique, on appréciait fort peu qu’on fasse un tri selon l’espèce ou le sexe. N’autoriser que des soldats Ggs dans la ville G-44 avait déjà été difficile à faire passer, mais F avait expliqué son plan à Fiorana qui avait accepté d’un ton las. Et avec le soutien d’un général, plus personne ne pouvait remettre ses ordres en question. Les troupes entourant le village étaient donc principalement Ffs et féminines. En dehors de ça, on trouvait trois makis, cinq Ggs et c’est tout. L’explication de ce choix étrange était pourtant fort simple. F ne voulait pas faire intervenir de véhicules dans la bataille, de peur que Fant ne réussisse à rentrer dans l’un d’eux et à s’échapper subrepticement. Par conséquent, tout le monde devait être à pied, ou tout du moins en accrocheur, et si Fant était le seul mâle Ff dans les parages, il serait une proie aisément reconnaissable et impossible à camoufler. F avait pris un risque en venant en personne, mais tous ses hommes le connaissaient bien et il n’avait pas l’intention de quitter le COM.
   Une fois Fant dans le village et son spider-fly hors d’état de nuire, les soldats envahiraient le village désert et n’auraient qu’à vaporiser l’unique mâle Ff qui s’y trouvait. Des spider-bug surveilleraient et donneraient facilement sa position. Quand bien même il réussirait à s’échapper, aucun véhicule ne serait à sa disposition pour fuir, ne lui laissant que ses accrocheurs, ou à la limite, des accrocheurs magnétiques volés. Problème : Fant connaissait mieux la jungle que quiconque et parviendrait sûrement à semer n’importe qui. Sauf que si on lui proposait un véhicule pour l’aider à fuir, il ne pourrait résister à la tentation et essayerait de s’en emparer. D’où un large cordon de spider-warrior sans pilotes déployés tout autour du village, plus profond dans la jungle. Dans la très maigre éventualité où Fant réussirait à échapper à une armée complète encerclant son village, il essayerait de s’emparer d’un des spider-warrior et il aurait la surprise de sa vie en essayant de le faire démarrer : une surprise explosive. Et comme si le plan n’était déjà pas assez tordu, quand bien même il réussirait à s’échapper qu’il lui faudrait retourner chercher ses amis à la ville G-44 où l’attendait une armée encore plus grande. Avouez que ça s’annonce très mal pour notre héros...

   Quand la responsable reçut confirmation que les spider-warrior piégés étaient tous installés, elle se tourna vers F :
   - Commandant, nous sommes prêts à donner l’assaut.
   - Que fait notre homme ?
   - Il est allé de hutte en hutte. Probablement cherchait-il des survivants. Il a du se rendre compte que le village est désert, parce qu’il ne sort plus de la dernière hutte dans laquelle il est entré.
   - Nous allons le faire sortir. Faites sauter son spider-fly et ne cachez plus les spider-bug. Faites donner l’assaut.
   - Bien, commandant !
   L’explosion retentit dans toute la jungle et F entendit plus qu’il ne vit la nuée d’oiseaux paniqués qui décollaient. Il resta un instant le regard tourné vers la jungle, puis s’assit en tailleur. Conscient que plusieurs soldats se trouvaient dans les arbres tout autour de lui et risquaient de le regarder, il évita consciencieusement de se mettre le pied dans l’oreille.

*****

   Après ça, peut-être aurez-vous envie de connaître le destin de Fant. Après tout, aux dernières nouvelles, c’est lui le héros de l’histoire. Laissons donc F jubiler dans son coin et revenons-en là où ça chauffe. Ou plutôt, revenons-en là où ça chauffe, mais quelques minutes avant que ça ne chauffe. Au passage, vous admirerez ces procédés narratifs hautement originaux et j'attends vos mails de félicitation.
   Notre Ff préféré (ou pas) avait donc laissé Frann dans le spider-fly, juste à coté du village. Il détestait le laisser là où il n’aurait aucun mal à s’enfuir si l’envie lui en prenait, mais il n’avait apporté qu’une seul paire d’accrocheurs. Et de toute façon, il était déjà tellement inquiet pour les siens que Frann passait loin derrière dans la liste des inquiétudes du moment. Il disparut même totalement de la liste dès l’entrée dans le village. Avec un peu de brume et quelques hurlements au loin, on aurait pu se croire à Silent Hill. Pour tout dire, c’était désert. Fant eut tout le temps de visiter chaque hutte une par une ; après quoi, il retourna dans la sienne qu’il savait déjà vide. Pour le coup, c’était dur. Un memp plus tôt, il habitait encore ici. Il s’était passé tellement de choses depuis son départ qu’il avait l’impression qu’un bon cycle s’était écoulé. Difficile de croire que son monde avait pu tant changer en si peu de temps. Tout le long de ses aventures, Fant s’était dit que dans son village, la vie continuait, toujours aussi ennuyeuse. Apparemment, il s’était trompé.
   Une fois dans son ancienne chambre, le jeune Ff se dirigea machinalement vers sa réserve de plum. Pour se rappeler au dernier moment qu’elle était vide quand il était parti. De façon fort peu surprenante, personne ne l’avait remplie depuis et il n’était pas parti suffisamment longtemps pour qu’une nouvelle naissance vienne boucher sa place.
   Il venait à peine de s’allonger sur son lit qu’un nouveau genre de réveille-matin le tira violemment de sa torpeur. Accessoirement, la sonnerie ressemblait pas mal à un spider-fly en train d’exploser. Se relevant immédiatement, il s’en voulut d’avoir laissé Frann seul, mais en voyant quelques débris de l’appareil tomber au loin, il comprit que jamais l’ancien impérial ne se serait condamné en pleine jungle sans moyen de s’échapper. Ou alors il lui avait caché quelque chose.
   Sortant de la hutte sur la plateforme qui faisait le tour du tronc d’arbre, il constata immédiatement en levant les yeux que plein de Ffs sortaient de la forêt et accouraient vers le village. D’abord follement heureux à l’idée qu’il ait pu y avoir des survivants, Fant fut stoppé par un bourdonnement caractéristique. On aurait dit le bruit d’un spider-fly en vol, mais en nettement moins fort. Le jeune male tourna la tête et tomba sur un petit engin à hélice gros comme une pomme qui faisait du surplace à quelques mètres. Il se souvint immédiatement de la description que Frann avait fait de ces choses. Un spider-tug ou un truc du genre. Fant n’avait pas fait très attention aux noms, mais il avait bien retenu ce que faisait chacune des machines de l’Empire. S’il en croyait le transfuge Ff, ce truc-là servait à relayer le moindre de ses mouvements à des types sûrement très antipathiques à l’intérieur d’un quelconque dôme. Il releva alors la tête vers les Ffs qui convergeaient vers la base du village. Ce n’est qu’alors qu’il s’aperçut que leurs mouvements étaient trop fluides. Le déplacement en accrocheur était plus lent que ça. Les Ffs ici présents utilisaient le même genre d’engin que le mâle qu’il avait essayé de tuer lors de l’attaque de la ville G-15, celui-là même dont il utilisait toujours le pistolaser. Rabaissant les yeux, Fant pointa le pistolaser en question sur le spider-bug le plus proche et appuya sur la détente.

8) Deuxième justification du titre de l’épisode

   Entendant que la responsable derrière lui donnait des ordres dans son micro, F lui demanda :
   - On en est où ?
   - Il vise les spider-bug, monsieur. J’ai essayé de les reculer, mais il continue quand même à les descendre. D’après sa cadence de tir, il est armé de deux pistolasers.
   - Tant pis pour le suivi visuel. Ramenez les spider-bug sous le village. Nous ne pourrons plus surveiller les allers et venus sur les passerelles, mais nous verrons s’il réussit à quitter les lieux. Y a-t-il eu des contacts ?
   - Un seul. J’ai donné l’ordre d’avancer lentement pour être sûr que personne ne réussisse à sortir du cordon, mais une Ff a désobéi et a couru directement vers la hutte où se trouvait la cible. Je n’arrive pas à la joindre. Sans doute a-t-elle été descendue, ce qui explique que la cible possède un deuxième pistolaser.
   F réfléchi un court instant à la situation. Pour l’instant, tout semblait bien se passer. Fant était malin et il savait à quoi servaient les spider-bug. Les détruire dès le début lui permettait d’échapper à toute surveillance. C’était un plus pour lui, mais c’était prévisible et F voyait mal comment cela l’aiderait à échapper à l’armée qui lui arrivait dessus. Le village n’était pas extrêmement large, mais il était haut. L’armée de femelles Ffs descendait donc au fur et à mesure, fouillant chaque étage méticuleusement. Il était impossible qu’il s’échappe, même si tuer un unique soldat l’avait sûrement rassuré. Il restait la possibilité que le soldat ait été pris en otage, mais un citoyen de l’empire préférerait mourir plutôt que de laisser un ennemi s’échapper. Aucun risque de ce coté là.
   Entendant un bruit de moteur arriver depuis la jungle, F constata que deux femelles en accrocheurs magnétiques approchaient de l’ouverture du COM en tenant un mâle Ff avec leurs pieds. Le commandant jaugea brièvement l’inconnu ainsi suspendu et lui demanda :
   - Vous vouliez me parler ?
   - Commandant F, je m’appelle Frann. J’ai servi sous vos ordres au City-dôme n°984 et j’ai beaucoup de choses à vous dire.
   F ne put retenir un petit sourire amusé. Décidément, quelle belle journée que celle-là !

   Belle journée, pour l’instant seulement, car nous allons parler du fameux soldat qui a fait n’imp’ en courant vers la cachette de Fant. Ce dernier continuait tant bien que mal à tirer sur les petits robots volants. La tâche était rendue très ardue par le temps qu’il devait attendre entre deux tirs, histoire que le canon de l’arme refroidisse. A un moment, les petits engins volants prirent de la distance, beaucoup de distance même. Le pistolaser étant très précis, cela ne causa guère de problème pour viser, mais il devint plus difficile de repérer où se cachaient ces caméras à hélices. Forcément, Fant se concentra tant sur sa tâche qu’il ne se rappela la présence de l’armée qui progressait dans sa direction que lorsque qu’un canon de pistolaser s’invita sans plus de cérémonie entre ses omoplates. Une voix se fit alors entendre :
   - Avant toute autre chose, j’exige de savoir qui tu es.
   Notre héros, se retrouvant dans une position fort peu héroïque, avala difficilement. La voix était féminine et assez sympathique à l’oreille, mais la sensation froide d’un canon collé sur votre dos a tendance à faire oublier ces choses-là.
   - Euh… Ca change quelque chose si je vous dit que je me suis perdu et que je n’ai jamais vu ce village avant aujourd’hui ?
   S’attendant à ce que cette parole fut sa dernière, le jeune Ff fut délicieusement surpris quand il sentit son agresseur retenir sa respiration et abaisser son pistolaser.
   - Fant ? C’est toi ?
   Allons bon. Quelqu’un qui le connaissait. Le répit allait sûrement être de courte durée. Néanmoins… Cette voix…
   Se retournant vers son agresseur, il eut la surprise de ne pas s’être planté :
   - Flonn ?
   (ouverture de la parenthèse) Pour tous les abrutis qui ont oublié ce qu’il s’est passé dans l’épisode 1 malgré mes nombreuses tentatives de le leur faire relire, Flonn était une jeune femelle Ff de l’âge de Fant, originaire du même village que lui, les yeux verts feuille. Pendant longtemps, il avait espéré pouvoir se la faire, ce en quoi, leurs espoirs se rejoignaient, mais sa bêtise naturelle l’avait persuadé qu’elle préférait les femelles. Il s’était donc lâchement rabattu vers les autres mâles, attristant la jeune fille. Elle était restée au village quand il avait entrepris son voyage. (fin de la parenthèse)
   Un examen rapide de Flonn se révéla très instructif : elle était armée d’un pistolaser et elle avait sur son dos deux accrocheurs magnétiques (et accessoirement, ses seins étaient toujours aussi beaux). Ce qui ne pouvait vouloir dire qu’une chose, elle était passé à l’ennemi (Rien à voir avec sa poitrine, mais ça valait le coup d’être relevé, non ?).
   Fant finit par rompre le silence :
   - Tu sers l’Empire ? Ils ont attaqué le village et tu les a rejoint ?
   La femelle parut extrêmement surprise par cette question.
   - Mais pas du tout. J’ai quitté le village. Quand je suis revenue, tout le monde avait disparu. Il y avait ces créatures brillantes gigantesques, comme des araignées. J’ai attendu qu’elles soient parties et j’ai dû vivre seule dans le village. Heureusement, le coin regorge de plum sauvage, alors j’ai pu tenir. Puis un jour, ces Ffs sont arrivés. J’ai eu peur. J’en ai attaqué une par surprise. Personne ne semble s’être rendu compte que j’ai pris sa place. Je ne comprend pas tout ce qu’ils disent, mais ils ont plein d’objets magiques. J’ai même vu des espèces de makés apprivoisés et des tout petits Ffs trapus. Tant que je reste avec eux, je n’ai rien à craindre des araignées géantes, je le sais !
   Fant soupira de soulagement à l’écoute de ce récit. Non seulement, la personne du village qui était la plus importante à ses yeux avait survécu, mais en plus, elle n’avait pas rejoint l’Empire Métallique. Les questions attendraient, il fallait d’abord s’échapper de ce guêpier.
   - Flonn, te revoir me comble de joie, mais il faut qu’on s’échappe d’ici. Donne-moi ton arme, ça me permettra de détruire plus de caméras, enfin, ces petits trucs volants, là. Quand on en sera débarrassé, on essayera d’échapper aux autres soldats.
   La femelle lui céda sans arme sans rien dire et le regarda viser puis détruire un spider-bug qui faisait du surplace au loin.
   - Fant, dis-moi ce qu’il s’est passé. Pourquoi as-tu disparu ? Qui sont ces gens et qu’est-ce qui a détruit le village ? Et surtout, pourquoi veulent-ils te tuer ? Ca fait trois jours qu’ils sont ici à t’attendre !
   - A m’attendre ?
   Devant le hochement de tête de Flonn, Fant devint pensif, ne sortant de sa torpeur que pour descendre un nouveau spider-bug au loin. Ce que disait son amie retrouvée changeait beaucoup de choses. Fant avait pensé que l’Empire se trouvait là parce que le village venait tout juste d’être conquis. Apparemment, ils étaient là pour lui et ça faisait très peur à entendre. Ca voulait dire qu’ils n’avaient pas digéré la destruction de leur dôme, ce qui n'était pas très grave, et qu’ils avaient tout fait pour le retrouver, ce qui était beaucoup plus angoissant. Ils savaient même de quel village il venait. Ca aurait été tentant d’accuser Frann, mais celui-ci ne connaissait l’existence de ce village que depuis une heure ou deux. Pauvre Frann… Il était sans doute mort dans l’explosion du spider-fly. Repérant le regard inquisiteur de Flonn, Fant décida de lui donner une réponse courte :
   - Flonn, ces gens qui essayent de me tuer… Ce sont eux qui ont attaqué le village.
   - Hein ? Mais non ! Je n’étais pas là, mais j’ai vu des araignées géantes se retirer quand je suis arrivée.
   - Oui, je connais ces bestioles. Elles ne sont pas vivantes, ce sont des outils « magiques », comme ces armes et tes accrocheurs bizarres. Ce sont bien eux qui les utilisent.
   - Mais pourquoi ils ont fait ça ?
   - Je n’en suis pas sûr moi-même. (Petite pause le temps d’exploser un spider-bug) Mais c’est ce qu’ils font. Je les ai vus attaquer d’autre villages.
   - Et pourquoi te cherchent-ils ?
   Aïe. La mauvaise question. Si Flonn était comme Mela, elle n’apprécierait pas de savoir qu’il avait détruit une ville entière avec ses habitants. Malheureusement, Fant devrait l’emmener avec lui : il se refusait à la laisser entre les mains de l’Empire. Et elle finirait forcément par découvrir la vérité. Autant la lui donner tout de suite en y mettant les formes.
   - C’est un peu difficile à avouer. Je le regrette un peu d’ailleurs (bon sang, mais qu’est-ce qu’il ne faut pas dire !). En essayant de défendre une ville innocente, j’ai détruit une de leurs villes…
   - Quoi ?
   - Ecoute, je n’avais pas le choix.
   - Mais pourquoi tu t’excuses ? Ces salopards ont attaqué notre village et ont emmené tous ceux qu’ils n’avaient pas tués ! Détruire une de leur ville n’était que justice ! Non, même pas. C’était un début de justice ! Et j’espère que tu me mens quand tu dis avoir des regrets.
   - Euh… Un peu, oui.
   - Parfait ! Bon, alors maintenant, écoute-moi. On dirait que leurs trucs volants sont partis. Il n’y a ici que des femelles et elles me prennent pour l’une d’entre elles. Elles ne m’attaqueront pas. Je vais t’ouvrir un passage. Si ces ordures sont bien responsables de l’attaque sur notre village, elles vont payer. Rends-moi mon arme, je vais faire ça en toute discrétion. Suis-moi.
   Un peu étourdi, mais bien content quand même, Fant fit ce qu’on lui demandait.

*****

   L’opératrice semblait stressée et hurlait des ordres dans son micro. Alors que F s’assurait que Frann était solidement gardé à bord de son spider-fly, il comprit qu’il aurait tout intérêt à retourner superviser la situation lui-même. La simple présence de son spider-fly représentant une faille dans sa souricière soigneusement ficelée, il demanda aux deux gardes Ffs de rester à l’intérieur pour surveiller. Ceci, plus les nombreux gardes alentours, devrait empêcher n’importe quel intrus de s’emparer de l’appareil.
   Un rapide voyage en accrocheurs magnétiques le ramena au COM.
   - Que se passe-t-il ? Pourquoi hurlez-vous comme ça ?
   - Il nous échappe. Plusieurs soldats ne répondent plus. Les premiers sont arrivés aux plus basses huttes du village, il n’y a plus personne. Il a passé le cordon…
   - Ramenez les spider-bug, vite !
   - Euh… Oui-oui !
   Les différentes images du village s’agrandirent, mais Fant n’apparut nulle part.
   - Trop tard. Montrez-moi les abords du village.
   Presque au moment où il disait ça, F vit deux silhouettes en accrocheurs magnétiques qui disparaissaient dans la forêt.
   - Et merde ! Il s’est échappé. Il était aidé… Rappelez tous les soldats, qu’on patrouille dans les environs et demandez aux techniciens Ggs de rester éloignés des spider-warrior piégés.
   Histoire de patienter, l’enquêteur spécial se mit en tailleur sur un tabouret et son pied se retrouvera rapidement dans son oreille. Il fut tiré de son état angoissé en entendant un accrocheur magnétique approcher. Se retournant, il aperçut un soldat qui se dirigeait vers le COM. Curieux. Si cette fille (et c’en était une, certains détails ne trompent pas) avait quelque chose à dire d’important, pourquoi ne pas le transmettre par son émetteur ? Ou l’avait-elle perdu ?
   Se posant souplement dans le COM, la femelle Ff aux yeux verts dégaina son pistolaser dans le même geste et le pointa sur F.
   - Monsieur, je sais que vous êtes le chef de l’opération. Si vous tenez à la vie, vous allez ordonner à tous les soldats dans les arbres du coin d’aller voir ailleurs.
Malgré la surprise, le mâle se permit un petit sourire.
   - J’ignore qui vous êtes, mais vous êtes bien téméraire. Vous pensez pouvoir nous tenir en joue tous les deux avec un unique pistolet ?
   En effet, l’opératrice micro était en train de se lever. Le sourire disparut quand Flonn sortit un deuxième pistolaser de sa ceinture. F intervint aussitôt auprès de sa collègue :
   - Attendez, pas de précipitation ! Laissez-moi régler ça.
   La femelle hésita un instant, puis leva lentement les mains, laissant son supérieur gérer la situation. Rassuré, F se tourna vers Flonn :
   - Mademoiselle, je ne sais pas ce que vous voulez, mais ce centre d’opération mobile est entouré de fantassins armés. Si vous tirez sur ne serait-ce qu'un seul d’entre nous, les autres entendront la déflagration.
   - Peut-être, mais vous serez morts…
   L’opératrice fit alors un pas en avant :
   - Et alors ? Ce serait honneur que de mour…
   - Hopopopop ! Une minute vous, je vous ai dit de me laisser gérer.
   Retournant son attention sur Flonn, il constata à son regard qu’elle prendrait un évident plaisir à les tuer tous les deux, et lui surtout. Quoi qu’il fasse, elle avait apparemment déjà décidé qu’elle le tuerait.
   - Bon alors, écoutez. Je sais que vous voulez me tuer. Si moi ou cette jeune femme ici présente faisons quoi que ce soit de suspect, je sais que je serai le premier à y passer. Alors, je dois vous annoncer quelque chose. Aucun citoyen de l’Empire ne serait prêt à laisser s’échapper un terroriste comme Fant, même au péril de sa vie.
Le regard de Flonn resta déterminé, alors que l’opératrice se permettait un petit sourire suffisant. Dans un souffle, F laissa tomber la suite :
   - Aucun, sauf moi…
   La femelle derrière lui laissa échapper un hoquet de surprise. Avant qu’elle n’ait eu le temps de se remettre, le mâle enchaîna très rapidement :
   - Si vous voulez que je vous aide, vous devez vous débarrasser d’elle, elle me tuera sinon. Allez, tuez-là ! Elle serait prête à se sacrifier pour être sûre que vous ne vous échappiez pas. Mais vous attendez quoi ? Allez, bordel, allez !
   F ferma les yeux au moment où l’opératrice lui sautait dessus en hurlant de frustration. Il fut satisfait de se sentir encore en vie après la détonation. Il rouvrit lentement les yeux et aperçut un canon pointé directement sur lui.
   - Maintenant, vous calmez immédiatement la piétaille qui s’excite dehors ou vous plongez.
   L’un des pistolasers avait le canon fumant et effectivement, l’opératrice étendue à coté n’avait pas l’air au sommet de sa forme. Prenant le casque à micro sur le cadavre, F parla lentement en faisant attention de ne rien dire de suspect :
   - A tous les soldats, l’opératrice du COM vient de m’agresser. Il est possible que d’autres traîtres se cachent dans cette escouade. Je demande à ce que personne ne s’approche du COM tant que cette affaire n’aura pas été élucidée. Je suis armé et prêt à tirer sur quiconque transgressera cet ordre. La traque continue. Assurez-vous juste de ne pas vous approcher du COM. Nous réglerons cette histoire de traîtres une fois la cible arrêtée. Et si Merc m’entend, je voudrais qu’il se mette en position sans tarder.
   Il enleva la casque et ajouta :
   - Voilà. Ca ne marchera pas très longtemps, mais ils n’essayeront pas d’approcher pour l’instant.
   Toujours aussi froide, Flonn demanda :
   - C’est qui, Merc ?
   - Hein ? Oh, rien. C’est un de nos techniciens. J’imagine que vous voulez me voler mon spider-fly, alors nous devrons désamorcer les pièges qui sont placés dans les spider-warrior si nous voulons pouvoir repartir. Au fait, c’était bien vu de la part de Fant d’infiltrer mon armée. Je peux savoir comment et à quel moment vous vous y êtes prise ?
   - Hors de question. Vous y réfléchirez tout seul. Et maintenant, faites partir les soldats qui surveillent la zone.
   - Vous ne me tuerez pas ?
   - Vous avez ma parole.
   L’enquêteur remit le casque :
   - La cible vient d’être repérée. Elle se trouve à une centaine de mètres à l’Est du COM. Je demande à toutes les femelles qui se trouvent dans la zone de converger vers ce point. Et j’insiste, toutes les « femelles » ! Pendant ce temps, que Merc se prépare à faire son travail.
   - Ca suffit ! Reposez ce casque.
   - Tout de suite, tout de suite. Je dois vous avertir, il y a deux soldats dans le spider-fly. Elles gardent un prisonnier et je leur ai donné l’ordre de ne pas bouger. Si je leur demande de partir, ça sera très suspect.
   - Alors dites-leur juste que j’arrive, pour être sûr qu’elles ne se méfient pas.
   F s’exécuta, après quoi Flonn lui prit le casque des mains et le lança dans le vide. Elle lui prit aussi ses accrocheurs et ceux de l’opératrice et leur fit suivre le même chemin, car éteints, les accrocheurs tombent.
   - Maintenant, vous restez bien sagement là. Au moindre problème, je tire.
   - Bien sûr.
   F s’accroupit tranquillement pendant que Flonn repartait avec ses accrocheurs. Si elle ne l’avait pas encore tué, c’était parce qu’elle ne voulait pas risquer d’alerter les gardes à bord de l’appareil, mais une fois ceux-ci morts, il ne donnait pas cher de sa peau. Sans micro pour appeler à l’aide, ni accrocheurs pour fuir, la situation était un peu tendue. Il n’avait plus qu’à compter sur Merc, mais plus il attendrait, plus il y avait de chances que l’agent soit en place, alors mieux valait attendre encore un peu. Un double tir de pistolaser lui parvint, puis il aperçut Flonn qui balançait deux cadavres par la porte de son spider-fly personnel. Un mâle Ff sortit alors de la jungle et se dirigea vers l’appareil avec des accrocheurs magnétiques probablement volés sur un cadavre. Alors que F pensait qu’on l’avait oublié, il vit la femelle par la porte ouverte du spider-fly lever son pistolaser vers lui. N’hésitant pas, il effectua une roulade avant qui l’amena directement dans le vide. Alors que les arbres se mettaient à défiler à une vitesse prodigieuse autour de lui, il s’entendit hurler :
   - MeeeEEEEeeeeEEEEeeeerc !!!!!
   Notez les cinq points d’exclamations. Quand quelqu’un en arrive là, c’est vraiment que la situation est grave.
   Alors que l’enquêteur spécial se voyait déjà continuer cette Chûte éternellement, un mâle maki bondit d’un arbre proche et sa trajectoire quasi horizontale lui permit de faucher son commandant au passage. L’atterrissage sur une branche fut presque aussi brutale, mais F était déjà complètement sonné par sa rencontre aérienne avec Merc, aussi ne sentit-il presque rien. Sa première pensée rationnelle fut que la prochaine fois qu’il mettait au point un plan d’urgence, il faudrait qu’il soit plus confortable. La deuxième concerna le spider-fly qui venait de descendre à sa hauteur, les pales envoyant un souffle particulièrement violent dans sa direction. Il vit alors Fant, un bras solidement accroché à la portière grande ouverte, qui le visait soigneusement. D’après son regard, il se souvenait de lui et il n’appréciait guère qu’on ait tenté de le piéger. Sans attendre, F cria à Merc :
   - On dégage, on dégage, on dégage !
   Inutile de lui dire deux fois. Prenant son chef sur une épaule tel un sac à patates, le maki bondit vers une autre branche et s’enfonça plus avant dans la forêt, là où les branches seraient trop serrées pour un spider-fly. Un tir de laser résonna, mais la course continua, signe que personne n’avait été touché. Le commandant se dit ironiquement que Fant venait d’apprendre qu’un maki en mouvement était plus difficile à toucher qu’un spider-bug immobile. Là où l’ironie devint tout de suite moins drôle, c’est quand il réalisa que le spider-fly repartait directement vers la ville G-44 et le Military-dôme n°353. Certes, il se pouvait que Fant tombe dans le piège tendu pour lui dans la ville, mais avec un engin volant invisible des radars, l’Imperator seul savait ce dont il était capable. F se demanda ce qu’il allait retrouver quand il pourrait enfin retourner au dôme. Il commença à s’inquiéter sérieusement.
   Et il ignorait encore à quel point son inquiétude était justifiée.

9) Abordage

   Le voyage de retour vers la ville fut une bonne occasion de se mettre à jour sur ce qu’avait fait chacun. Une longue discussion eut lieu entre Fant et Flonn qui purent enfin souffler et montrer leur joie de se retrouver, tout ça pendant que Frann pilotait le spider-fly, un canon de pistolaser collé sur la tempe. Notre héros expliqua toute son histoire à son amie, n’omettant que la partie sur la guerre entre villages qu’il avait déclenchée et sur la mort de Mela. Puis il sentit comme une légère tension chez leur pilote.
   - Mon petit Frann, je suis sûr que tu n’apprécies pas plus ce genre de situation que moi, bien que je préfère être à ma place qu’à la tienne, mais tu m’avoueras que ta présence dans cet appareil était en même temps fort bienvenue et fort suspecte.
   - Ecoute Fant, je sais que tu ne me portes pas dans ton cœur, mais je peux te garantir que ce pistolaser n’est absolument pas nécessaire.
   - Mais oui, bien entendu. Je n’en doute pas, mais tu m’excuseras si je prend quand même la précaution. Au fait, tu peux me dire ce que tu faisais ici ? A vrai dire, je te croyais mort ; non pas que je sois peiné de te revoir, hein…
   - J’ai été fait capturé et j’ai reconnu mon supérieur.
   - Le Ff qui a plongé ?
   - Oui. Il était responsable du dôme où je travaillais.
   - Il était là pour moi ?
   - Nous n’avons pas eu le temps de parler, mais il est réputé être très tenace, alors c’est fort possible. Mais ce n’est pas le genre de l’Empire que d’autoriser un commandant à mobiliser tant de ressources.
   - Tu lui as tout balancé sur la ville G-13 ?
   - Absolument pas. J’avoue avoir voulu le faire, mais je n’ai rien eu le temps de lui dire.
   - Ouais, tu essayes de sauver ta peau… Oh, d’ailleurs comment ce fait-il que tu acceptes de m’aider ? Ton ancien boss m’a fait comprendre que les impériaux n’étaient pas du style à plier sous la menace. Serais-tu une exception ?
   Fant sentit que le pilote se tendait et qu’il serrait les mâchoires. Probablement n’appréciait-il pas de se faire traiter de traître, même par sous-entendu.
   - Quand tu m’as agressé par surprise au City-dôme n°984, j’ignorais entièrement ce que tu venais de faire. Je pensais même que tu étais citoyen. Par la suite… On va juste dire que le femp passé à vivre dans la ville G-13 m’a ouvert l’esprit.
   - Mouais…
   C’est alors que Flonn intervint :
   - J’ai pas confiance. Balance-le dehors.
   - Nulle raison de t’inquiéter, ma chère. Je sais par expérience que monsieur Frann ici présent est particulièrement obéissant du moment qu’on le menace d’un pistolaser.
   Le pilote poussa un soupir exaspéré, mais continua son travail sans rien dire. Avec un petit sourire, Fant se retourna vers son amie :
   - Alors, et toi ? Tu m’as dit que tu avais quitté le village. Qu’est-ce qui s’est passé ?
   Flonn hésita quelques secondes avant de répondre :
   - C’est parce que tu es parti. Tout le monde pensait que tu avais Chuté, mais je te connais. Je savais que tu avais mal pris les moqueries concernant le maké géant. Je serais peut-être partie aussi à ta place. Je ne suis pas allée très loin. Je pensais que tu t’étais installé quelque part pas trop loin du village. Comme je ne te trouvais toujours pas après plusieurs jours, je suis rentrée. Et c’est là que j’ai vu tes « impériaux » qui se retiraient.
   - Tu étais donc partie à ma recherche…
   - Bien sûr. Je n’allais pas te laisser partir comme ça !
   - Et après, tu es restée tout le temps au village ? Toute seule ?
   - Je te l’ai dit, le coin regorge de plum. J’ai rarement été en état de m’inquiéter.
   Mine de rien, Fant dut avouer, mais en pensée seulement, qu’il était bien content que Flonn se soit tant inquiétée pour lui. Lui-même l’avait crue morte et l’avait assez vite oubliée. Maintenant qu’il la revoyait en chair et en os, il se demandait comment il avait bien pu faire.

   La monotonie du voyage fut finalement rompue par la voix de Frann :
   - On arrive à la ville G-44.
   Fant sortit alors de sa somnolence et jeta un coup d’œil par la vitre. Au loin, le dôme et le cuirassé étaient toujours là. Flonn se manifesta alors violemment :
   - Attendez ! On va où, là ? Il a dit qu’elle s’appelait comment la ville ?
   Fant fut surpris mais répondit néanmoins :
   - La ville G-44, mais tu ne connais sûrement pas.
   - Si, je connais. On nous en a parlé quand les impériaux me prenaient pour l’une des leurs. C’est de là qu’on recevait nos ordres.
   Le jeune Ff avala de travers :
   - Tu es sûre de toi ?
   - Absolument. Le nom ne me disait rien, mais j’ai facilement retenu le nombre 44, comme les doigts de chaque main. C’est d’ailleurs de là que venait le Ff qui se faisait appeler F.
   Fant sentit alors la colère lui monter au visage. Il se retourna brutalement vers Frann :
   - Tu le savais, hein ?
   - Quoi ? Mais comment voulais-tu que je le sache ? Tu crois que le commandant F aurait eu assez confiance en moi pour m’expliquer tous ses plans ?
   - On en reparlera…
   Le mâle se mordilla le pouce en réfléchissant à ce qu’il allait pouvoir faire. Il détestait improviser. Et à vrai dire, il détestait même réfléchir. Flonn fit alors une proposition :
   - Fant, nous sommes dans un engin impérial, pas vrai ? Ils nous prendront peut-être pour l’un des leurs…
   - Pas bête.
   Frann décida de faire quelques vérifications et c’est alors qu’il apporta une nouvelle pièce au plan qui prenait forme :
   - C’est incroyable. Ce spider-fly n’est même pas immatriculé. C’est pourtant parfaitement interdit…
   - Immatriculé ? Ca veut dire quoi ?
   - Cet appareil n’envoie aucune identification. Ca veut dire que les détecteurs impériaux ne peuvent pas nous remarquer.
   Déclic.
   - Alors on peut s’approcher du dôme sans être repérés ?
   - Non. Ils nous verront visuellement et de là, ils n’ont plus qu’à nous envoyer des spiders-spy pour qu’on apparaisse sur les radars.
   - Zut. Réfléchissons, il venait d’où ce spider-fly ?
   Flonn secoua la tête pour montrer qu’elle n’en avait aucune idée. Les deux Ffs se tournèrent alors vers le pilote. A son expression, il savait.
   - Alors, tu accouches ?
   - Je… Je crois bien que c’était l’appareil personnel du commandant…
   - L’emmerdeur avec ses yeux violets ?
   - Euh… Oui, c’est ça.
   - Et tu dis que d’habitude, tous les spider-fly sont immatriculés ?
   - Exact.
   - Ca veut dire que s’ils voient approcher un spider-fly qu’ils ne détectent pas, ils penseront que c’est lui. Frann, amène-nous au dôme.
   Flonn l’interrompit alors :
   - Euh… Je sais que tu as déjà détruit un dôme, mais tu sais ce que tu fais ?
   - Pas vraiment, mais on pourra toujours improviser.
   - C’est bien ce que je craignais. Alors laisse-moi te proposer une autre option. Non pardon, je t’impose une autre option. Frann, amenez cet engin à bord du cuirassé.
   D’abord éberlué qu’on ose mettre ses décisions en doute, Fant se rappela soudain que Flonn avait toujours été plus réfléchie que lui. De plus, après les trois jours passés au sein d’un groupe impérial, elle n’était plus si ignorante que ça de son ennemi.
   - C’est bon, Frann. Fais comme elle dit.
   Il lança néanmoins un regard interrogateur à la femelle qui lui répondit par un de ses petits sourires futés qu’elle réservait aux moments où elle préparait un sale tour.

*****

   Fiorana enfila son pagne en vitesse après qu’on l’eut réveillée pour lui annoncer le retour du spider-fly non immatriculé.
   F ! Qu’est-ce que tu as encore fabriqué ! Tu vas devoir répondre de cette nouvelle entorse au règlement.
   Sur le chemin, elle croisa un grand nombre de soldats Ffs mâles désoeuvrés. Encore une originalité de son cher et tendre. Emporter tous les Ggs et toutes les femelles Ffs. Du coup, les soldats laissés en plan s’ennuyaient ferme. Non pas qu’être entourée d’hommes de son espèce lui déplaisait particulièrement, mais bon, ça ne se faisait pas, quoi.
Quand elle arriva sur la passerelle, elle s’adressa immédiatement à la responsable des communications :
   - Entrez en contact avec ce spider-fly. Demandez-lui de venir immédiatement à bord.
   Un observateur Gg se tourna alors vers elle :
   - Je crains que ce ne soit pas la peine, mon général. L’appareil se dirige de lui-même vers le cuirassé.
   L’opératrice ajouta néanmoins :
   - Mais il n’a pas ouvert de communication. Ne devrions-nous pas l’arrêter ?
   Cet imbécile de Founi ne veut pas dévoiler qu’il est à bord. Il sait que je le laisserai aborder, et le pire c’est qu’une fois de plus, je marche dans son jeu !
   - Non, laissez-le accoster…
   Pleine de fureur contenue, la Ff ressortit à grandes enjambées. Passant devant deux soldats Ffs, elle les apostropha :
   - Vous deux, vous me suivez !
   - Oui madame !

   Fiorana tapa longuement du pied dans le hangar où le spider-fly atterrissait lentement. Les deux soldats se tenaient légèrement en retrait, de chaque coté de leur général. Quand le cockpit s’ouvrit enfin, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle constata que F n’y était pas. Au lieu de ça, il en sortit deux Ffs, un mâle et une femelle. Un troisième Ff, apparemment le pilote, resta aux commandes, l’air extrêmement embarrassé. Il semblait éviter de croiser le regard du général. Toujours aussi agacée, celle-ci prit la parole :
   - Qui êtes-vous ? Que voulez-vous et où est l’enquêteur spécial F ?
   Le mâle bredouilla de vagues excuses :
   - Euh… C’est assez compliqué. L’opération ne s’est pas bien passée. Le commandant va bien, mais il nous a envoyés vous transmettre un message.
   Tout en parlant, il avait continué de s’approcher, tout comme sa compagne. Alors que Fiorana se focalisait sur lui, essayant de deviner ce qui clochait, elle se rappela trop tard qu’il était sensé n’y avoir aucun mâle au village Ff. Le temps qu’elle le réalise, la femelle avait déjà tué les deux gardes. Bien que les pistolasers qu’elle tenait dans chaque main n’avaient pas encore refroidis, elle les pointa vers le général. Retournant son attention vers celui qui devait être Fant, Fiorana se rendit compte qu’un troisième pistolaser était pointé entre ses deux yeux.
   - J’ai le regret de vous informer que la mission a été un échec retentissant. Non seulement le méchant Ff s’est échappé en tuant de nombreux soldats, mais en plus, il a volé l’appareil du grand chef. Et pour pousser le bouchon jusqu’au bout, le voilà qui s’apprête à détourner un cuirassé général.
   - Où est Fou… Je veux dire le commandant F. Il est en vie ?
   Le mâle eut une petite moue :
   - Qui sait…
   Cette remarque fut de trop. Mettant en application les nombreuses heures d’autodéfense qu’on inculquait aux gradés impériaux, Fiorana écarta violemment le pistolaser de son adversaire, se saisit de son bras et le lui retourna dans le dos. Deux petits claquements lui apprirent que la femelle à coté avait essayé de faire feu avec les pistolasers encore chaud. Aucun effet, donc. Alors que le mâle gémissait pitoyablement sous son étreinte, sa compagne bondit sur Fiorana qui plaça Fant sur la trajectoire. Celui-ci se mangea une méchante mandale en pleine poire et tomba à genoux en se tenant la tête. Les deux femelles se ruèrent l’une sur l’autre. Flonn n’avait aucune technique, mais elle semblait enragée, griffant et cognant comme elle pouvait, à chaque fois que son adversaire lui en laissait l’occasion. Mais la fureur ne domina pas longtemps et après une jolie prise de la part de Fiorana et un court vol plané, la jeune femelle s’écrasa violemment au sol. Le général n’eut guère le temps de recouvrer ses esprits, car elle constata que le mâle tentait de se remettre sur pieds. Un bon coup de pied au menton l’en dissuada efficacement.
   S’assurant que ses deux adversaires étaient bien hors de combat, Fiorana prit enfin le temps de souffler et se dirigea vers la porte du hangar pour appeler des renforts. Apparemment, les bruits de combat n’avaient attiré personne. Le général avait presque atteint la porte quand on lui asséna un violent coup sur la nuque. Elle tournoya en tombant et se rappela trop tard du pilote du spider-fly. Avant qu’elle perde complètement connaissance, elle l’entendit marmonner d’une voix coupable :
   - Je suis vraiment désolé, mon général…

   Quand Fant et Flonn furent à nouveau sur pied, on disposa vite fait des cadavres des gardes par l’autre issue du hangar, à savoir le vide, et on ligota le général à bord du spider-fly. Tout le corps douloureux de Flonn lui rappela que cette femelle était dangereuse, aussi les nœuds furent-ils particulièrement nombreux et serrés. En attendant que Fiorana revienne à elle, Fant décida d’interroger Frann subtilement :
   - Pourquoi tu nous as sauvés ?
   - Si vous étiez capturés, on aurait fini par vous envoyer à la Chute et le passage transitoire n’aurait certainement pas été agréable non plus.
   - Tu veux me faire croire que tu tiens à notre bien-être ?
   Frann hésita un long moment avant de répondre.
   - Bon d’accord, je vais être honnête avec toi. Non, je me contrefous de ton bien-être. J’ai essayé de faire des efforts, mais tu fais tout pour m’être le personnage le plus antipathique qu’il m’ait été donné de rencontrer. C’est pour moi que j’ai empêché le général de vous capturer.
   Fant jeta un rapide coup d’œil vers la Ff ligotée.
   - Un général, hein ? Intéressant. Mais cela ne me dit pas en quoi trahir un peu plus ton peuple t’apporte quoi que ce soit.
   - Ca suffit ! Cesse de me traiter de traître à tous bouts de champ !
   - Olah ! On se calme. Premièrement, tu viens d’agresser quelqu’un que tu te devais de servir, si j’ai bien compris. J’appelle ça une trahison. Deuxièmement, depuis le temps, tu devrais savoir que je n’aurais aucun remord à presser la détente de ce pistolaser qui, je te le fais remarquer des fois que ça t’aurait échappé, est pointé sur ton sternum. Tes talents de pilote peuvent encore m’être utiles, c’est tout ce qui te maintient encore en vie. Alors maintenant, tu cesses de me fixer avec des yeux assassins et tu m’expliques plus clairement pourquoi tu m’as sauvé.
   Frann prit quelques secondes pour se calmer avant de reprendre :
   - J’ai compris quelque chose quand le commandant F m’a capturé. J’avais l’intention de lui dire tout ce que je savais sur toi et le commando G-13, mais son regard ne trompe pas. Tout comme toi, il me considère comme un traître et personne dans l’Empire Métallique ne sera plus jamais capable de me considérer autrement. Ma citoyenneté a probablement disparu le jour où je t’ai aidé à fuir le City-dôme n°984. Une fois cette affaire terminée, et si nous en réchappons vivants, j’ai l’intention de retourner à la ville G-13 et d’y rester. Le travail à l’usine ne me déplaît pas et je m’y suis fait des amis.
   - C’est un peu facile, ça. Et qui pilotera le spider-fly ?
   - Si ça ne tient qu’à ça, je peux toujours t’apprendre.
   Fant réfléchissait à cette proposition alléchante, quand un appel de Flonn attira son attention :
   - Elle revient à elle.

   - Maintenant, madame le général, vous allez pouvoir répondre à quelques questions.
   - Mmmmph !
   - Oh, pardon.
   Retirant le canon du pistolaser de la bouche de sa victime, Fant repris l’interrogatoire :
   - Pour commencer, cette attaque au village me visait. D’où vient la décision ?
   Fiorana décida d’abord de ne pas répondre, mais Flonn, agacée par ce comportement, lui attrapa un doigt et le lui retourna brutalement. La Ff ligotée ne put retenir un cri de douleur alors que le craquement de l’os se faisait clairement audible.
   - Euh… Flonn, je ne suis pas sûr qu’il est judicieux de trop l’abîmer.
   D’un ton péremptoire, la concernée répondit :
   - Un doigt en moins ne l’empêchera pas de répondre. Et comme la nature est bien faite, il me reste 7 doigts à casser. Si elle ne parle toujours pas après ça, on pourra toujours passer aux doigts de pied.
   Fant déglutit avec difficulté. Voilà un aspect de son amie qu’il ne lui connaissait pas. Et ses yeux verts indiquaient qu’elle ne plaisantait pas du tout. Il profita donc de la motivation de Flonn pour reposer sa question. Il ajouta même :
   - Et je vous conseille d’y répondre cette fois-ci.
   Encore livide à cause de la douleur, Fiorana réussit à répondre entre ses dents. :
   - De toute façon, tu le sais déjà. C’est F qui est derrière tout ça. Mais il est inutile d’espérer me tromper. Je sais bien ce qu’il prépare. C’est lui qui vous envoie, pas vrai ? Il en a eu marre de jouer selon les règles, alors il a décidé de prendre le pouvoir par un autre moyen. J’aurai dû m’y attendre.
   - Euh… Non, on vient ici de nous-même.
   - Bien sûr… N’espérez pas me tromper, je le connais mieux que quiconque. Jamais vous n’auriez pu échapper à son piège s’il ne l’avait pas voulu. Et le fait que vous soyez venus directement à bord du cuirassé et avec l’appareil de F est une preuve supplémentaire. Vous ne pouviez pas savoir qu’une armée attendait dans la ville Gg.
   Fant se retint de la détromper. Elle avait soudainement envie de parler, c’était bon à prendre. Il retint distraitement Flonn qui s’apprêtait à casser un autre doigt. La captive commença à ricaner :
   - Evidemment. Voilà pourquoi F voulait tant amener les prisonniers à bord du cuirassé. Il s’apprêtait à en prendre le contrôle et il y a donc infiltré ses hommes, hein ?
Prenant le ton le plus convaincant possible, Fant répondit :
   - On ne peut rien vous cacher, hein ? Le commandant ne sera pas content de savoir que vous avez compris. En effet, je savais que mes compagnons étaient retenus à bord. Nous allons d’ailleurs partir les délivrer immédiatement. Veuillez nous excuser, mais nous devons vous laisser là. Soyez bien sage.
   Après avoir soigneusement bâillonné l’otage et refermé le spider-fly, les trois Ffs s’éloignèrent pour parler un peu. C’est Flonn qui entama la conversation :
   - Tu savais que tes copains étaient là ?
   - Que dalle. On a de la chance, les cocos. On est tombé sur Miss Connerie Ultime. Grâce à elle, on va avoir de l’aide pour s’emparer du vaisseau. Frann, c’est où le coin où on met les prisonniers ?

   Séquence culture. L’une des utilisations premières d’un cuirassé est le transport de troupes. La quasi-totalité du vaisseau était donc constituée de dortoirs, de hangars à spider-warrior et de salles de stockage. La passerelle, les systèmes de tirs et les moteurs n’occupaient même pas cinq pour cent de l’espace. Et tout l’avantage de s’infiltrer dans un cuirassé général en vol stationnaire, c’est que les soldats qu’il était censé transporter ne s’y trouvaient pas. Les Ggs étaient pour la plupart à la ville G-44, les femelles Ffs étaient au village, ou plutôt, elles essayaient de revenir du village ; et même un certain nombre des mâles Ffs et des makis restants avaient été envoyés dans le dôme pour renforcer la sécurité, principalement celle du réacteur magnétique. Vous aurez compris que dans ces conditions, un combat contre le général dans l’un des nombreux hangars sera passé inaperçu. De même que la très rapide mise à mort des trois malheureux Ffs qui gardaient les cellules. Un groupe de Ffs et de Ggs se dirigeant vers la passerelle n’attira pas davantage l’attention. Même la prise de contrôle de cette dernière n’attira personne dont la présence eut été malvenue.

   - Oh putain, c’est encore mieux que les combats en Explorateur !
Guissiquil tremblait encore d’excitation après le pourtant très rapide échange de tirs qui venait d’avoir lieu. Enfin, le terme échange n’est pas le mieux choisi. Dans un véritable échange de tirs, les deux parties ont le temps de tirer. Gunat en fit d’ailleurs la remarque :
   - Ouais, mais ça manquait un peu de répondant. On aurait peut-être du faire un peu plus de bruit avant d’arriver, non ? Comme ça, ils auraient pu essayer de résister.
   Laissant les peinturlurés à leur débat sur comment ils auraient pu s’amuser davantage, Fant annonça :
   - Bon, maintenant que le cuirassé est neutralisé et qu’on a un général en otage, je propose de retourner vite fait au spider-fly et de se casser d’ici.
   Fondarfin l’interrompit alors :
   - Attends. Ce serait un peu dommage de ne pas profiter de tous les outils à notre disposition.
   Puis, se tournant vers Frann :
   - Est-ce que tu sais comment on pilote ce genre d’engin ?
   L’ancien impérial eut un mouvement de recul :
   - Vous ne comptez quand même pas voler un cuirassé général !
   - Et pourquoi pas ? Non seulement, cela nous donnerait un outil supplémentaire, mais en étudiant la construction, je devrais être capable d’en tirer quelques idées sympathiques pour la suite.
   Flonn décida d’accélérer un peu les choses :
   - Alors ? Tu sais conduire oui ou merde ?
   - Euh… C’est plus compliqué qu’il n’en a l’air. Le pilotage de base ressemble un peu à celui des spider-fly, mais je ne suis pas habitué à bouger un véhicule aussi gros. De plus, je crois qu’il me faut une autre personne pour gérer l’altitude et encore une autre pour la vitesse.
   Gemp intervint alors :
   - Si ce n’est que ça, Garlic et moi pouvons-nous en charger. Il suffit qu’on nous montre rapidement comment faire. Pas vrai, Garlic ?
   - Eh bien, je préférerai que Fond’ me remplace. Je n’ai jamais été très à l’aise avec ces machines compliquées.
   - Pas de problèmes, Garl’.
   - Euh… J’aimerai quand même participer. Je vais rester près de la verrière et je pourrai coordonner en cas de problème.
   Alors que le Gg allait se placer, Frann le rappela :
   - Ce n’est pas la peine d’aller là-bas. Attends, je vais te montrer.
   Le Ff entraîna alors Garlic jusqu’au fauteuil de général, en plein milieu de la passerelle. Juste devant s’étendait une sorte de grande table circulaire plate. Frann chercha un instant, puis pressa un bouton sur l’accoudoir du fauteuil. La table s’illumina aussitôt et représenta une carte détaillée de la région, avec le cuirassé et le dôme mis en valeur pour être plus aisément reconnaissables.
   - Voilà. D’ici, tu as accès à une carte tactique beaucoup plus pratique. Au besoin, tu n’as qu’à lever les yeux si tu préfères ne pas te fier aux scanners. La taille du fauteuil doit pouvoir être réglée pour un Gg. Je sais que les boutons permettent des tas d’options, mais il faudra que tu les découvres tout seul, je n’y connais rien du tout.
   Garlic laissa apparaître un sourire ravi tout en fixant intensément la table. Un bouton fit apparaître un quadrillage. Il ne put retenir plus longtemps sa joie :
   - On dirait un plateau d’explos ! C’est génial ce truc !
   - Ravi que ça te plaise. Fant, si tu veux que je t’apprenne à piloter, autant commencer tout de suite. Assieds-toi à coté de moi. Je vais te montrer quelques commandes de base.
   Ger poussa alors un grand cri :
   - Et nous ? On sert à rien ?
   Flonn regarda la femelle Gg d’un air mauvais, mais par chance, Fant répondit avant elle :
   - Si, si, bien sûr ! Euh… Laissez-moi réfléchir.
   Curieusement, ce furent Gunat et Guissiquil qui trouvèrent eux-mêmes :
   - Dites, on va s’emparer de ce gros bestiau, mais il y a encore du peuple à bord, non ?
   - Vous pensez qu’on aura encore besoin de l’un d’entre eux ?
   Fant fit un petit sourire fatigué et leur lança :
   - Allez-y, amusez-vous.
   Un cœur de cris enjoués lui répondit, puis Ger, Gunat et Guissiquil s’éclipsèrent, plusieurs pistolasers passés à la ceinture. Quand Flonn fit mine de les suivre, Fant l’arrêta :
   - Flonn, j’ai besoin de quelqu’un pour protéger la passerelle le temps qu’on soit sûr que le cuirassé est bien nettoyé.
   La femelle fit la grimace mais décida quand même de rester près de la porte. Garlic demanda alors :
   - On rentre droit à la ville G-13 ?
   Fant lui répondit tout en fixant le dôme qui apparaissait au-dessus d’eux :
   - On n’est pas si pressé. Dis-moi Frann, tu ne m’avais pas dis que ces cuirassés étaient capable de bombarder une cible au sol ?

10) Retour au bercail

   Les boulets utilisés par les cuirassés de l’Empire pour bombarder étaient, vous l’aurez compris, à très haute teneur en fer. Munis des instructions de Frann, Flonn et Fant repartirent à travers le vaisseau pour trouver la salle d’où étaient tirés ces fameux boulets. Ils croisèrent quelques traces du passage de Ger, Gunnat et Guissiquil, puis quelques soldats impériaux qui n’étaient pas encore au courant de la prise du cuirassé. Nos deux héros se gardèrent bien de les en informer, laissant aux peinturlurés cette tâche délicate.
   Les quatre salles de tir se trouvaient au sommet de l’appareil. Les parois étaient très fortement renforcées et la conduite qui amenait les boulets semblait avoir été construite pour soutenir une mini forteresse. Les deux Ffs comprirent pourquoi en pénétrant dans l’une de ces salles et en découvrant les projectiles. Ceux-ci étaient des masses de fer particulièrement impressionnantes. Fant aurait pu se tenir en boule à l’intérieur si elles avaient été creuses. Elles se trouvaient sous des râteliers répartis tout autour de la salle, attirées qu’elles l’étaient vers le haut. Bien que Frann n’ait pas pu les renseigner sur le fonctionnement de la pièce, Flonn comprit très vite. Une grosse conduite disparaissait dans le plafond, débouchant probablement à l’air libre. Cette conduite pouvait être orientée manuellement vers l’un ou l’autre des râteliers. De là, un simple bouton déclenchait un mécanisme qui poussait un boulet dans la conduite. L’attraction magnétique faisait le reste. Un autre boulet prenait alors la place du précédent et il suffisait d’appuyer à nouveau pour continuer.
   De nombreux hublots dans le plafond permettaient de vérifier si le projectile avait atteint sa cible. Effectivement, le premier tir toucha facilement le dôme, mais au grand déplaisir de nos amis et ce malgré un long sifflement porteur d’espoir, le boulet rebondit contre la surface du dôme. Le contact produisit néanmoins un son de cloche particulièrement impressionnant, même de là où ils se trouvaient. Egalement, la paroi du dôme s’était légèrement déformée à l’endroit où le boulet avait frappé. Flonn décida donc de continuer à envoyer boulet sur boulet pendant que Fant retournait sur la passerelle vérifier que tout se passait bien. Accessoirement, il descendit un mâle Ff qui tenait l’équipage en respect avec un pistolaser. Ce petit problème réglé, chacun reprit sa place, Frann positionna le cuirassé un peu plus au dessus du centre du dôme et le bombardement put continuer sans problème.

   Quand la console de communication se mit à sonner, Fant ne pouvait pas cesser sa surveillance de la porte, aussi Fondarfin se leva-t-il pour aller répondre :
   - Oui ?
   - Qu’est-ce que vous faites, là-haut ? Arrêtez immédiatement ce bombardement. La résonance est terrible à l’intérieur et les MakX sont intenables.
   - Je suis désolé, mais nous obéissons à un ordre du général.
   - Comment ? Mais enfin, pourquoi nous attaque-t-elle ?
   - Je n’en sais rien. Je n’ai pas pour habitude de questionner les ordres.
   - Puis-je au moins lui parler ?
   - Le général a expressément indiqué qu’elle ne souhaitait pas être dérangée. Au revoir.
   Et le Ff reposa le casque avec un plaisir évident. Il adressa un sourire en coin à Fant et retourna à sa place. Par la verrière, on voyait clairement que le sommet du dôme se déformait méchamment. Les projectiles n’explosaient pas, mais l’attraction magnétique combinée à une longue accélération tout le long du trajet leur donnait une force de frappe tout bonnement incroyable. Encore un peu, et les premiers boulets perceraient. Ce fut alors qu’un bon quart de la structure sembla s’écraser sur elle-même dans un grincement d’apocalypse. Le pilote déplaça le cuirassé pour éviter la chute des objets et des corps qui glissaient dans le vide. Notre douteux héros fronça les sourcils en constatant que Flonn avait arrêté le bombardement. Elle ne lui avait pourtant pas donné l’impression d’une fille à avoir des remords. Tel que le dôme était, il devait encore grouiller de survivants qui se feraient un plaisir d’évacuer les lieux et de raconter dans tout l’Empire ce qu’il venait de se passer. Mais finalement, il comprit ce que son amie avait en tête. En regardant mieux, il aperçut une énorme créature, à peine moins énorme que le dôme lui-même, qui en martelait les parois. Rapidement, les quatre MakX élevés dans le Military-Dôme n°353 réduisirent celui-ci en miettes. Les lourdes parois de métal se renversèrent sur la jungle alentours, de nombreuses personnes furent projetées vers la Chute alors que tout ce qui n’était pas en métal suivait le même chemin. Apparemment, les militaires possédaient un moyen de calmer les MakX, car Fant aperçut des éclairs dans les décombres et l’une des monstruosités poilues lâcha prise. Par chance, le cuirassé s’était depuis longtemps éloigné, mais l’appel d’air suite au passage de la bestiole fit violemment tanguer le vaisseau. Frann prit alors la décision de quitter définitivement les lieux, laissant trois MakX gigantesques saccager la forêt alentours et dévorer les quelques soldats qui tentaient encore vainement de combattre. Fant sourit en se disant que ces créatures se dirigeraient probablement vers un autre dôme et causeraient encore de nombreux dégâts à leurs anciens maîtres.

   La route du retour se passa sans encombre. Fant abattit systématiquement tous les abrutis qui entraient sur la passerelle dans le but d’obtenir des explications. Il commença du même coup une importante collection de pistolasers, lui permettant d’en avoir toujours au moins un en état de marche. Les peinturlurés continuèrent le nettoyage méthodique du vaisseau, mais la taille dantesque de celui-ci ne permit pas de finir totalement l’opération. Flonn décida donc d’établir un périmètre de sécurité autours de la zone de la passerelle et un autre près des moteurs, en attendant qu’on arrive à la ville G-13 et qu’une équipe un peu plus conséquente puisse prendre le relais. A ce propos, Fant fut favorablement impressionné, quoique un peu jaloux, de la facilité avec laquelle Flonn donnait des ordres et avec laquelle l’équipage y obéissait comme s’ils provenaient de Fant lui-même. Le cuirassé était autrement plus lent qu’un spider-fly, aussi lors des quelques jours que dura le voyage, Garlic passa un long moment sur la carte et planifia trois assauts sur des city-dôme qui se trouvaient non loin sur la route du retour. Le résultat fut admirable et le Gg reçut les félicitations de Fant et de Flonn. Par contre, Frann devint complètement livide dès l’attaque sur le premier city-dôme, aussi Fant lui accorda-t-il d’aller dormir dans l’un des dortoirs. Ce fut notre jeune héros qui pilota pendant le reste du voyage.

   Une fois de plus, l’arrivée à la ville G-13 provoqua la panique. Afin de débarquer, Fant utilisa l’une des cordes avec une lourde boule de fer au bout qui jonchaient les sorties des hangars. Il devait s’agir d’un système d’extraction rapide, mais les Ggs refusèrent de grimper à la corde au-dessus du vide. Le jeune Ff eut donc le plaisir extrême de pouvoir traiter Guissiquil de tapette et monta en premier sur la corde. Effectivement, et bien que les Ffs soient très agiles, il constata que l’exercice se révélait déstabilisant. Fant avait souvent monté ou descendu des lianes ou des troncs, mais il était alors en pleine forêt. Ici, la forêt était loin au-dessus et seul le vide l’entourait. De plus, bien que les hélices placées sous le cuirassé le maintenaient bien en place, une fois suspendu au dessus du vide, on sentait que ce n’était pas si stable que ça. Malgré tout, notre apprenti cascadeur arriva en un seul morceau dans le ravin qui jouxtait la ville G-13 et après quelques balancements et un bon saut, il se retrouva enfin sur la terre ferme. Au delà de la barrière quelques mètres plus loin, la milice presque au complet l’attendait, chaque membre équipé d’une arbalète explosive pointée droit sur lui. Apparemment, quelqu’un dut le reconnaître parce que personne ne fit feu. Avouez que ça aurait été dommage. Fin d’épisode, le héros victorieux se fait trouer la peau par un bigleux un peu trop stressé. Ne rigolez pas, certaines histoires se sont finies ainsi et me connaissant, j’aurai très bien pu vous faire le coup. Ca dépend de l’humeur… Enfin, toujours est-il que pour cette fois, Fant ne s’est pas fait tirer dessus. Au lieu de ça, la milice fut fendue en deux par l’avance inexorable de Grumpf, qui jeta de coté les malheureux qui n’avaient pu se pousser à temps. Arrivé devant Fant, le colosse s’arrêta enfin et déclara :
   - Grumpf !
   Après quoi, il se poussa pour laisser la place au bourgmestre :
   - Qu’est-ce que c’est que cette arrivée ? Vous ne pouviez pas prévenir ? Et c’est quoi ce truc gigantesque sous la ville ? Pourquoi ça tombe pas ?
   - Madame, j’ai l’honneur de vous présenter ce qui est notre meilleure arme d’attaque et de défense contre l’Empire Métallique. Cette chose est, ou sera bientôt, entièrement en notre contrôle, et donc, sous votre contrôle.
   Le ton du bourgmestre se fit un peu moins agressif :
   - Et l’émissaire de la ville G-44 ? Vous lui avez réglé son histoire de dôme ? Il était impressionné ?
   - Et comment ! Bilan de cette première sortie : quatre dômes détruits. Par contre, je doute que nous puissions conserver des liens amicaux avec la ville G-44…

   Ce bilan des plus positifs mit le bourgmestre d’excellente humeur. On envoya des Explorateurs au-dessus du cuirassé. En les laissant pendre et en rapprochant le vaisseau, les Explorateurs purent servir d’ascenseur. Gemp, Garlic et les peinturlurés réussirent donc à quitter le vaisseau autrement qu’en grimpant à la corde. Le bourgmestre fut l’une des premières personnes à monter à bord. Elle se déclara aussitôt le légitime seigneur du vaisseau. La milice se chargea de terminer le nettoyage. Il y eut quelques pertes dues à des soldats impériaux qui s’étaient organisés et barricadés pendant le voyage et qu’il fallut calmer à la manière forte. Grumpf joua un rôle non négligeable dans cette opération. On retrouva Fiorana là où elle avait été ligotée. Elle fut emmenée dans les cellules du vaisseau et placée sous bonne garde. Le soir même, le commando G-13 s’installa définitivement à bord, chacun ayant droit à son dortoir pour lui tout seul. Une bonne partie de la milice s’y établit aussi pour servir de main d’œuvre sur l’énorme vaisseau.
   Dans les jours qui suivirent, Fondarfin passa son temps à essayer de comprendre les différentes technologies. En tout premier lieu, il se débarrassa de l’immatriculation du cuirassé pour éviter que des impériaux ne parviennent à le détecter. Il travailla ensuite sur le carburant pour découvrir comment en synthétiser, un inconvénient de l’engin étant qu’il ne pouvait pas se poser en pleine jungle. Dans la ville, on fit construire une nouvelle usine pour la fabrication des boulets de bombardement et l’extraction du fer redoubla. De son coté, Garlic tâcha de comprendre la carte de la passerelle afin de planifier leurs prochaines attaques. Les peinturlurés s’entraînèrent à piloter les spider-warrior qui traînaient dans les soutes. On ne savait pas encore comment les déployer depuis l’air, mais ça ne tarderait certainement pas. Gemp, quant à elle, travailla d’arrache-pied pour contacter les villes voisines et les informer de la menace de l’Empire. Frann termina d’apprendre à Fant comment piloter un spider-fly, après quoi, il retourna en ville travailler dans son usine de conduites. Il y passa le restant de ses jours sans jamais s’en plaindre. Les mauvaises langues seront dégoûtées d’apprendre qu’il avait été sincère et qu’il n’avait effectivement aucune intention de nuire à la ville G-13.

   Bon, je suis vraiment un auteur sympathique. Vous voyez, j’aurai pu arrêter l’épisode ici. L’endroit semble bien choisi. Mais je suis quelqu’un qui s’intéresse à ses lecteurs. Je sais ce que beaucoup d’entre vous attendent maintenant que Fant a retrouvé Flonn. Je pense qu’on aurait pu leur foutre la paix et les laisser seuls à leurs retrouvailles, mais après tout, moi aussi j’ai bien envie de savoir…

   Le soir du retour, Fondarfin discutait avec Fant du voyage qu’ils venaient d’effectuer, des techniques de contrôle du spider-fly et des risques que l’Empire n’attaque la ville, quand Flonn frappa discrètement à la porte du dortoir privé de Fant, avant d’entrer. En voyant Fondarfin, elle eut un petit mouvement de recul :
   - Oh pardon. Excusez-moi, je ne voulais pas gêner.
   - Mais pas du tout, Flonn. Viens, on parlait justement de ce qu’on allait faire à partir de maintenant. Honnêtement, je ne pense pas qu’on puisse oublier tout ça et vivre comme si de rien n’était dans la ville G-13. Je sais désormais qu’il y a quelqu’un dans l’Empire qui veut ma peau. Un jour ou l’autre, ce F trouvera cette ville. Et que j’y sois ou pas, il fera tout pour la raser.
   Flonn fronça les sourcils :
   - Mais le type de la ville G-44 dont tu m’as parlé, euh… Gustav ! Ne va-t-il pas lui donner les coordonnées précises ?
   - C’est là qu’on a de la chance. Fondarfin vient de me dire qu’après mon départ vers le village, Garlic a compris que la ville G-44 était un piège. Nos amis ont donc essayé de s’échapper. La ville regorgeait de soldats, alors ils ne sont pas allés bien loin, mais Ger a tué Gustav pendant la tentative.
   Fondarfin ajouta :
   - Gunat a même proposé de le pendre par les tripes pour donner l’exemple, mais on manquait un peu de temps.
   - C’est une bonne nouvelle.
   Le vieux Ff se leva alors en s’étirant :
   - Bon, c’est pas tout ça, mais Garlic me doit une revanche aux explos. Il doit se sentir seul dans son grand dortoir. Ma visite lui fera du bien. Allez, bonne soirée les jeunes.
   Posant la main sur l’épaule de Fant, il lui adressa un bref clin d’œil. Avant de refermer la porte derrière lui, il ajouta d’un ton espiègle :
   - Et ne faites pas de bêtises !
   Laissés seuls, Fant et Flonn se regardèrent un moment. Il aurait fallu être le dernier des crétins pour ne pas comprendre l’allusion. Détournant les yeux en rougissant, le jeune mâle desserra les lèvres :
   - Tu peux t’asseoir si tu veux…
   - Merci.
   Flonn alla s’asseoir sur le lit en face de lui.
   - Bon. Tu ne dis plus rien ?
   - Ben c’est compliqué. Tu pourrais parler, toi…
   - Tu veux que je dise quoi ?
   - …
   Le silence dura encore un pénible moment avant que Fant ne se lance enfin :
   - Tu sais, je suis content de savoir que tu es encore en vie.
   - Pareil. Ca faisait si longtemps que j’avais fini par croire que tu étais mort. Ou en tout cas que tu ne reviendrais pas.
   - Ca me fait bizarre. Je m’étais habitué à l’idée que je ne reverrai jamais ce village et te voilà… En y repensant, tu es tout ce qui en reste. Mais c’est déjà beaucoup.
   - Oui… Après l’attaque de l’Empire, j’avais le plum pour tenir, mais ça m’a manqué de n’avoir personne… Personne à qui parler, personne à toucher, personne à serrer dans mes bras…
   Fant releva les yeux et constata que Flonn en faisait autant. Leurs yeux se croisèrent et il avala difficilement. Puis sans rien dire, il se leva et se rassit à coté d’elle. Toujours sans dire un mot, elle se colla contre lui, puis le prit dans ses bras. S’éloignant légèrement, Fant leva sa main et caressa le visage de son amie. Ses tempes, ses joues, son menton… Puis il descendit et suivi les lignes de son cou, de son épaule. Il la sentit frissonner quand il commença à caresser sa poitrine. Et c’est là qu’il sentit quelque chose… Quelque chose qu’il n’aurait jamais cru pouvoir ressentir avec Flonn… De la révulsion.
   Il s’éloigna brutalement et se releva, bafouillant :
   - Excuse-moi… Je suis désolé, mais… Enfin, je dois dire que je te trouve très belle, tu m’as toujours fais très envie, mais là… Enfin, je n’y arrive pas. C’est pas normal. Ta poitrine… Elle est bien, hein ! Mais euh… Enfin, je crois que je préférerai celle d’un mâle…
   S’attendant au pire, il constata que curieusement, Flonn était en train de sourire. Un peu gênée elle aussi, elle répondit :
   - Je suis content que tu l’aies dit. Je ne crois pas que j’aurai pu continuer non plus. Pareil, ce n’est pas que je ne t’aime pas, très loin de là. Et toi aussi, tu m’as beaucoup attiré. Mais je ne sais pas… C’est d’imaginer ton… truc, là…
   Elle eut un frissonnement qu’elle ne tenta absolument pas de cacher.
   - Beurk ! Enfin, je préfère une femelle, quoi !
   Fant la regarda un instant, se demandant quoi répondre. Puis il fut pris d’un fou rire irrésistible. Au beau milieu, il se rendit compte que son amie rigolait aussi. Le rire dura un bon moment. Puis quand ils furent tous les deux calmés, la pression retomba brusquement. Se souriant l’un à l’autre, ils se prirent la main, puis s’allongèrent sur un lit, l’un contre l’autre, mais pas trop quand même. Ils s’endormirent presque aussitôt.

   L’oreille collée contre la porte, Fondarfin se redressa, incrédule.
   - Oh, les cons !
   Puis secouant la tête, il se dirigea vers la cabine de Garlic qui l’attendait avec son plateau d’explos tout prêt…

   C’est un cuirassé impérial qui arriva finalement au-dessus des ruines du Military-Dôme n°353. Il revenait du City-dôme n°521 qui venait d’être attaqué par un MakX. Un autre cuirassé, normal celui-ci, était arrivé en urgence et s’était débarrassé promptement de la créature avant qu’elle ne puisse infliger des dégâts irréparables. Malgré tout, le dôme allait nécessiter de très coûteuses réparations. Le reste de l’armée de F fut récupérée et l’enquêteur spécial convoqué immédiatement dans le bureau du général. Une rapide demande à un membre d’équipage lui confirma ses craintes. Il s’agissait du vaisseau amiral du général Mordir.
   D’un pas qui se voulait assuré, le Ff se dirigea vers son destin, se repassant tout ce qu’il allait falloir dire s’il voulait s’en sortir vivant. Sur ce coup-là, la traque de Fant avait pris un nouveau tournant. Cette chasse devenait dangereuse, très dangereuse. Il allait déjà falloir la jouer fine, surtout avec Fiorana capturée par l’ennemi. Mais pour la suite, tout était encore largement jouable. Car F possédait un atout qu’il avait soigneusement gardé dans sa manche. Malgré la confrontation imminente avec le cyborg maki, le Ff ne put retenir un sourire. Fant l’ignorait encore, mais il y avait eu un survivant à l’explosion du City-Dôme n°984. Un survivant qui brûlait d’impatience de retrouver son vieil ami…

Et si vous n’avez pas encore compris de qui il s’agit, ne ratez pas le prochain épisode :
Histoire de l’Empire Métallique
Episode 6 : Open Warfare