HISTOIRE DE L'EMPIRE METALLIQUE
épisode 6

Open Warfare


1) Premier combat en guise d’apéritif

   Je pense que depuis le temps, vous l’avez compris, mais les Ggs ont un manque total d’imagination. Aussi le général Flunid contemplait-elle depuis la verrière de son cuirassé général le vaisseau que les rebelles appelaient « le VG-13 », pour vaisseau G-13. Pathétique, n’est-ce pas ? Bien que Flunid le pensait très certainement, elle n’en laissa rien paraître sur son visage. Flunid ne laissait jamais rien paraître sur son visage… C’était ce qu’on aurait pu appeler sa marque de fabrique. Entre deux âges, mais encore tout à fait jolie pour qui aimait les femmes mûres, ce général avait rencontré le commandant F trois memps plus tôt, alors que le dôme dont il avait la charge venait d’être détruit par un groupe de sauvages. A cette époque pourtant pas si lointaine, cet état de fait aurait couvert de honte le plus minable des commandants. Oui, je précise « à cette époque », parce que depuis, de très nombreux commandants et même des colonels avaient subi la même chose.
   Les pertes en matériel atteignaient des sommets, sans compter le massacre chez les citoyens. A chaque fois, c’était la même chose. Un dôme, généralement un city-dôme situé suffisamment loin de tous les autres, se faisait brutalement attaquer par le VG-13, l’ancien cuirassé personnel du général Fiorana. L’attaque était rapide et très peu de personnes avaient le temps d’évacuer. Selon l’humeur du tacticien, l’attaque se poursuivait avec les dômes environnants ou pas. Le Complexe avait presque perdu un quart de ses dômes.
   Autre stratégie amusante : les attaques sur les centres d’échange. Amusantes celles-là… En touchant un centre d’échange, on paralysait les quatre ou cinq dômes qui y étaient rattachés. Rien de particulièrement grave, mais il fallait de nouveau mobiliser des ressources pour relier au plus vite ces dômes, temps que l’ennemi mettait à profit pour attaquer ailleurs. Car c’était là le problème. Depuis la destruction du Military-dôme n°353, l’Empire devait sans cesse mobiliser ses ressources pour tenter de récupérer ce qui était récupérable. Les colonels ne savaient plus où placer leurs ressources militaires pour rester efficace. Au début, le VG-13 évitait les autres cuirassés. Comme il était invisible sur les radars, il pouvait s’approcher suffisamment près pour détecter tout cuirassé et faire demi-tour en catimini s’il n’appréciait pas l’accueil réservé. A chaque attaque, le vaisseau se faisait cribler de spider-spy, devenant visible aux radars, mais les sauvages nettoyaient très soigneusement la coque entre deux attaques. Les machines de guerre impériales étaient très puissantes, mais elles n’étaient pas du tout faites pour s’affronter entre elles. La seule technique valables que des commandants avaient trouvé, c’était d’envoyer des spider-fly kamikazes sur l’ennemi. Ceux-ci n’avaient laissé que de très vagues éraflures sur la coque du puissant cuirassé impérial. Ca avait duré un temps.
   Puis le général Fosm, dont le territoire était beaucoup plus touché que les autres, avait décidé d’enlever l’immatriculation de tous ses cuirassés, espérant forcer une confrontation fatale pour l’ennemi. Aussi, une première rencontre avait-elle eut lieu. On pensait d’abord que le VG-13 allait tenter de prendre la fuite. Non seulement il était resté, mais en plus, il avait mis une raclé au cuirassé impérial. Les spider-bug avaient enregistré l’affrontement. L’ennemi plaçait des rangées de spider-warrior dans ses hangars et s’en servait comme des batteries de tir. L’Empire avait fini par copier cette technique, mais les cuirassés généraux étaient beaucoup plus imposants et bien mieux blindés. Les simples cuirassés ne faisaient pas le poids tant qu’ils étaient seuls. Et l’Empire n’avait plus assez de ressources disponibles pour protéger ses dômes avec deux cuirassés. Depuis ce funeste jour, le VG-13 s’était mis à attaquer les cuirassés au même titre que les dômes et c’était beaucoup plus grave. Avec moins de cuirassés, il devenait plus difficile de sauver des survivants ou de récupérer les matières premières dans les dômes détruits.
   Les sauvages devaient aussi recruter du personnel supplémentaire car maintenant, ils faisaient tourner les spider-warrior qui tiraient depuis les hangars. Les spider-warrior qui venaient de tirer se reculaient le temps que leur canon refroidisse et laissaient la place à d’autre, prêts à faire feu. La cadence de tir s’en trouvait considérablement accrue, mais nécessitait plus d’artilleurs.
   Le général Mordir avait soutenu que les sauvages finiraient par se trouver à court de carburant, aussi s’était-on concentré sur la récupération dans les ruines que laissaient les rebelles derrière eux. Mais il avait fallu se rendre à l’évidence. Cela faisait longtemps que le VG-13 aurait dû manquer de carburant. Ce qui ne pouvait signifier qu’une chose : les sauvages avaient appris à en synthétiser de leur coté.

   Le général Flunid n’avait pas de comptes à rendre à Mordir. Aussi, bien que la zone dont Flunid était responsable se trouvât à l’autre bout du Complexe, elle avait décidé d’attaquer, laissant sans défense une grosse partie de son territoire. Délaissant ces infructueuses collectes de survivants, elle avait embarqué à bord de son cuirassé général, deux cuirassés normaux à ses cotés, vers l’ancien emplacement du City-dôme n°984, là où tout avait commencé et où il aurait fallu être stupide pour ne pas comprendre qu’une ville Gg traînait.
   Par chance, ou pas, le VG-13 n’était pas là lorsque la force d’attaque arriva dans le coin. Mais la femelle impassible ne s’inquiéta pas le moins du monde. Le vaisseau sauvage devrait repasser dans le coin pour s’approvisionner. Et si d’ici là, elle pouvait trouver la ville, ce serait tout à son avantage. Le cuirassé général en était à larguer des spider-scout dans la jungle juste au-dessus, quand une vigie appela la passerelle pour indiquer qu’elle avait le VG-13 en visuel.
   Flunid aurait bien aimé laisser échapper un petit sourire, juste pour l’occasion, mais elle se retint. L’ennemi était piégé. C’était la première fois qu’il devait affronter un autre cuirassé général et histoire d’être bien sûr, il y avait deux cuirassés normaux avec. Si le vaisseau fuyait, la ville G-13 serait trouvée et détruite. Fin de la rébellion. Ne lui restait donc plus qu’à combattre en priant l’Imperator qu’il leur donne une mince chance de victoire. Ah oui, c’est vrai. Les sauvages ne vénèrent même pas l’Imperator. Alors tant qu’à faire, autant se jeter directement dans le vide, non ?

   - Laissez-le s’approcher. Présentez-lui le flanc bâbord. Envoyez les spider-spy pour s’assurer qu’il ne lance rien. Que les spider-warrior se tiennent prêts des deux cotés. Colonel Fitz, votre cuirassé l’attaquera par bâbord. Colonel Frepl, à vous le coté tribord. Pour l’instant, restez derrière mon cuirassé et attendez mon ordre pour vous avancer.
   Avec un cuirassé général face à lui et encadré par Fitz et Frepl, même la désormais célèbre ingéniosité de Fant ne pourrait le tirer de là. Comme aucun cuirassé n’était immatriculé, l’ennemi ne s’apercevrait pas de la présence des deux plus petits vaisseaux avant qu’il soit trop tard. Une chose amusante chez ces gros mastodontes volants, c’est que les moteurs avaient plus de mal quand ils se faisaient tirer dessus. Il était donc quasiment impossible de s’enfuir sous le feu de l’ennemi. Dans le doute, Flunid avait quand même fait un peu booster ses propres moteurs. Après tout, il n’y avait aucune raison que seuls les sauvages s’amusent à innover.
   Un opérateur Gg annonça alors :
   - Il mord à l’hameçon, mon général. Il vient vers nous, mais à vitesse réduite.
   - Ils ne sont pas pressés de risquer leur peau, ça se comprend. Et ils ne s’attendaient pas à nous trouver là, ils se préparent tout en nous montrant qu’ils acceptent le défi. Je comprend pourquoi F voulait tant se charger de ce Ff lui-même.
   Malgré tout, Flunid resta aussi inexpressive qu’un boc de bière vide.
   - Les spider-spy se sont fixé à leur coque. Pour l’instant, ils ne lancent aucun spider-fly ou spider-warrior. Doit-on rappeler les spider-spy non accrochés ?
   - Une partie seulement. Vous en relancerez quand les premiers auront usé leurs batteries. Le prix de ces bestioles n’est rien face à la menace que ces rebelles représentent.
   - Très bien, mon général. Un instant ! Je détecte quelque chose.
   Si Flunid s’inquiéta, elle n’en laissa rien paraître. Elle demanda toujours aussi calmement :
   - Quoi donc ?
   - C’est au sol, mais ça ne vient pas de leur vaisseau. D’après les spider-spy, il s’agit de ces machines que les sauvages Ggs utilisent pour couper le bois.
   - Des Explorateurs… Probablement envoyés depuis la ville. Ils n’ont donc pas de spider-warrior au sol. L’urgence leur fait faire n’importe quoi.
   Un conseiller Ff prit alors la parole :
   - Madame le général, ne craignez-vous pas qu’ils nous bombardent au moyen de quelque projectile.
   - C’est un risque, mais j’en doute sincèrement. Ces appareils sont robustes, mais ne leur permettraient pas de transporter quelque chose d’aussi lourd que des boulets de bombardement. Combien sont-ils ?
   - Une vingtaine, mais cinq seulement essayent de s’approcher, madame. Les autres sont très largement hors de portée.
   - Pff ! Même s’ils arrivaient à porter l’équivalent de deux boulets chacun, chose pour laquelle il ne sont ni prévus, ni assez solides, dix boulets seraient juste assez suffisants pour faire un trou dans la coque, et encore faudrait-il qu’ils tombent tous au même endroit. De plus, ils ne peuvent lâcher que des projectiles qui ne sont pas en métal. En gros, cinq de ces choses ne peuvent rien transporter d’assez lourds pour nous détruire. C’est à se demander comment ils ravitaillent leur propre vaisseau en munition…
   - Ne désirez-vous pas qu’on envoie des spider-warrior s’en occuper ?
   - Ca attendra qu’on ait détruit leur cuirassé général. Je ne peux pas me permettre de me passer de spider-warrior. Demandez aux salles de tir d’essayer quand même de les atteindre par un bombardement. On ne sait jamais…
   - Bien, madame.

   L’Empire redécouvrit ainsi les joies du combat gagné d’avance. Ca faisait trois memps que ça ne leur était plus arrivé. Mais bon, comme on dit chez les Ffs, « Plus dure sera la Chute. ». Flunid aurait dû se douter que l’ennemi préparait un coup fourré, mais l’illusion d’une victoire facile a souvent tendance a faire perdre tout esprit critique, même aux meilleurs. Premièrement, la panique n’expliquait pas qu’on envoie cinq Explorateurs juste au-dessus d’un cuirassé général. C’était d’autant plus étonnant que malgré le bombardement, les Explorateurs ne semblaient pas vouloir bouger. Alors soit les pilotes étaient trop paniqués pour bouger, soit les cinq appareils venaient d’avoir une violente avarie, soit il se tramait quelque chose de pas bon. Le raisonnement de Flunid était que les pilotes avaient dû abandonner leurs appareils et fuir dès le début du bombardement. Aussi ordonna-t-elle qu’on cesse le bombardement et ce coûteux gaspillage de munitions.
   Le deuxième indice, c’est que jusqu’ici, Fant s’était toujours révélé plutôt bon stratège. Fant, ou un de ses compagnons, qu’importe… Or ici, la tactique employée était fort miteuse, du moins à priori. Le VG-13 restait face au cuirassé de Flunid et concentrait ses tirs sur les deux autres cuirassés, situés chacun d’un coté. Ca pouvait sembler intelligent de se concentrer sur les petites cibles, surtout les deux ensemble. Mais pendant ce temps-là, les spider-warrior du général avaient une fenêtre de tir impeccable sur la passerelle ennemie, qui s’en prenait d’ailleurs plein la tronche. La verrière pourtant blindée avait éclaté et l’intérieur se faisait redécorer à la toute dernière mode. Malgré tout, les spider-warrior ennemis continuaient leurs tirs sans se décourager, faisant d’ailleurs bien morfler les deux cuirassés impériaux. D’ici, on voyait les entrées de leurs hangars en train de fondre sous les tirs incessants. Les hangars des cuirassés généraux étaient tellement plus vastes et plus nombreux que les petits cuirassés ne pouvaient infliger que très peu de dégâts avant que leurs propre hangars soient inutilisables. Mais pendant que les sauvages s’acharnaient sur ses colonels, le général restait bien à l’abri. Flunid évita de sourire, mais se dit quand même qu’elle était plutôt contente d’être à sa place.
   Ce fut à ce moment-là que le sol s’éloigna de deux bons mètres sous les pieds de la femelle, alors même qu’un tonnerre assourdissant résonna dans toute la carlingue. Le sol revint tout aussi brutalement, et Flunid ne put empêcher ses yeux de s’écarquiller quand elle le heurta violemment. Accessoirement, la passerelle était maintenant penchée d’une vingtaine de degrés, aussi le général glissa sur trois bons mètres avant qu’un réflexe ne lui fasse attraper le pied d’un siège fixe. Autour d’elle, c’était la pagaille la plus totale. Tout le monde avait été éjecté de son poste par le soubresaut du cuirassé. Certains gémissaient en se tenant une jambe ou un bras, d’autre étaient inconscients. Essayant de se relever, Flunid constata qu’elle avait probablement une cote fêlée, et elle avait un goût de sang dans la bouche. Se passant une main sur le visage, elle eut la satisfaction de constater qu’au moins, elle ne semblait pas avoir de dégâts de ce coté là. Levant la tête vers la verrière qui surplombait la passerelle, elle comprit alors ce qui venait de se passer.
   Les cinq Explorateurs venaient de couper un arbre. En s’y mettant à cinq en même temps, ils avaient pu couper à la base un des arbres les plus énormes de la jungle. Celui-ci avait emporté une bonne partie des branchages voisins, s’alourdissant encore considérablement. Et avec la taille d’un cuirassé impérial, la cible était difficile à rater. Par miracle, le vaisseau volait toujours. Il aurait facilement pu être tranché en deux, ou le mécanisme des hélices aurait pu être touché. Le fait que le cuirassé reste penché signifiait que probablement une partie du vaisseau avait été emportée et que les hélices n’arrivaient pas à compenser. Peut-être pouvait-elle quand même finir le boulot et achever les sauvages avant que son propre vaisseau ne rende l’âme. Regardant vers l’avant, elle constata que le cuirassé du colonel Fitz piquait vers le sol, tout un coté complètement fondu et certaines hélices s’étant détachées. Le colonel Frepl tentait vainement de fuir, mais il n’irait pas bien loin. Quelques spider-fly tentaient la désormais célèbre technique kamikaze, mais comme d’habitude, ceux qui ne se faisaient pas descendre n’arrivaient pas à infliger le moindre dégât important. Tout reposait maintenant sur Flunid. S’assurant que son visage était bien composé, elle se tourna vers l’officier des communications Gg qui se rasseyait à sa place.
   - Essayez de contacter les hangars. Que les spider-warrior reprennent leurs tirs.
   Mais alors qu’elle reportait son attention vers l’avant, son regard fut attiré par l’écran tactique. Les quinze autre Explorateurs approchaient. Qu’avaient-ils l’intention de faire ? Ils n’allaient quand même pas couper d’autres arbres ? Cela ne servait plus à rien.
   Espérant repérer les Explorateurs en visuel, Flunid releva les yeux vers le jungle. Bien entendu, on ne voyait rien à travers la frondaison. Un peu agacée, mais toujours imperturbable, elle repéra soudainement un câble. En y regardant de plus près, elle réussit à en compter dix. Et c’est là qu’elle se souvint que ses saletés de machines coupe-bois avaient la particularité de pouvoir se détacher du sol et de se suspendre dans le vide. Après le choc, le cuirassé s’était rapproché du sol. Suffisamment près pour que les explorateurs puissent y descendre. Et avec un gros trou dans la coque et quinze autres Explorateurs en approche, Flunid devina assez facilement ce qu’essayait de faire l’ennemi.
   Elle aurait pu couper les moteurs des hélices, laissant son cuirassé s’écraser. Mais elle aurait alors définitivement empêché ses rares artilleurs encore valides de tirer sur l’ennemi. D’autant plus que les envahisseurs ne cherchaient probablement qu’à piller le vaisseau, celui-ci étant irrécupérable. Et s’écraser n’empêcherait personne de piller la carcasse…
   Elle aurait pu rester assise, à attendre de voir si le VG-13 se ferait détruire. Mais cela semblait impossible. La passerelle était ravagée, mais les moteurs intacts. Quelques réparations et les sauvages recommenceraient leur destruction méthodique du Complexe.
   Alors que les membres d’équipage encore conscients commençaient à comprendre la situation, Flunid poussa un soupir. Son attaque s’était révélé catastrophique. Elle venait de perdre trois vaisseaux particulièrement importants, dont un cuirassé général ; l’ennemi allait se réapprovisionner à ses frais et l’Empire perdrait un deuxième général.
   A cette pensée, Flunid repensa à Fiorana. Il était hors de question de se laisser capturer comme elle l’avait fait. Sortant son pistolaser de sa ceinture, elle se le colla contre la tempe. Histoire de laisser une impression durable de ses derniers instants, elle s’autorisa un grand sourire au moment où elle pressa la gâchette.

2) Mise au point de la situation

   La porte s’ouvrit sur une scène d’apocalypse. La verrière de la passerelle avait éclaté, laissant la pièce à l’air libre. Une chaleur d’enfer s’élevait de l’endroit. Une grosse partie des murs avait fondu et de grosses plaques s’étaient détachées, mais comme l’avait prévu Flonn, les dégâts au sol et sur les appareils vitaux étaient minimes. Le calcul était le suivant : la passerelle était située dans les niveaux supérieurs du cuirassé, alors que les hangars se trouvaient vers le milieu et vers le bas. Les spider-warrior impériaux avaient donc été obligés de tirer vers le haut, attaquant principalement la verrière et le haut des murs. Et l’intérêt d’un bâtiment métallique, c’est que toutes les pièces qui s’étaient détachées étaient tombées vers le haut, tout comme le métal fondu coulait à l’envers. Une fois que tout aurait refroidi, l’ensemble resterait utilisable. Au pire quelques pupitres nécessiteraient une légère réparation.
   - Ben les cocos, c’est pas beau à voir !
   - Pousse-toi, Flonn. Je veux voir aussi.
   Se tortillant entre son amie et les parois encore brûlantes, Fant se glissa sur la passerelle et put également assister au carnage. Il laissa échapper un bref sifflement :
   - J’en connaît une qui va faire la gueule quand elle verra ce qu’on a fait de son vaisseau.
   - Son vaisseau ! Tu parles !
   Fant sembla alors s’apercevoir que le cuirassé ennemi flottait encore à quelques dizaines de mètres seulement devant eux. Il était de profil, une énorme déchirure apparaissant tout le long du coté qui faisait face au VG-13. L’avant était nettement surélevé par rapport à l’arrière. De sa position, le Ff repéra les quelques Ggs qui rentraient par la brèche. Apparemment, les premiers avaient déjà sécurisé les quelques hangars pas trop amochés car les tirs ennemis avaient tous cessé. On voyait les premiers spider-fly lancés par le VG-13 qui approchaient pour aider les forces d’abordage.
   Une voix déplaisante se fit alors entendre dans le couloir derrière eux :
   - Mais non, il n’y a rien à craindre, j’ai toute confiance en mon Commando G-13.
   Flonn regarda Fant d’un air las. Celui-ci haussa faiblement des épaules et quitta la passerelle pour laisser la place à madame le bourgmestre et ses invités.
   - Tenez, voici justement deux membres qui viennent de s’assurer que l’ennemi est bien dans l’incapacité de nous attaquer.
   Puis, sur un ton légèrement inquiet :
   - Il est bien dans l’incapacité de nous attaquer, hein ?
   Comme Flonn ignorait obstinément le bourgmestre, c’est Fant qui répondit d’un ton diplomate :
   - Aucun problème. Ils ne pourront plus rien nous faire.
   - Excellente nouvelle ! Venez, je vais vous montrer ce qu’il reste de notre adversaire.
   Et toujours sur un ton enjoué et sûre d’elle, madame le bourgmestre poussa ses invités vers la passerelle. Les invités en question étaient un groupe de trois Ggs de la ville G-25 que le VG-13 venait d’aller chercher. Après que l’ancien ambassadeur Gemp les ai convaincu d’aller voir les installations de la ville G-13, le bourgmestre avait insisté pour leur offrir le transport à bord de son vaisseau amiral. Les trois Ggs, fort peu habitués à l’air libre, encore moins à des véhicules volants, et toujours moins à se faire tirer dessus, avaient l’air encore un peu affolé, mais le sourire jovial du bourgmestre les détendait un peu.
   Après ses invités, elle entra aussi sur la passerelle et ne put retenir un glapissement d’effroi en voyant l’état des lieux. Elle se reprit néanmoins fort vite :
   - Et comme vous pouvez le constater, l’ennemi qui essayait de nous attaquer par surprise et en nombre supérieur a été totalement écrasé de façon toute aussi efficace que celui qui défendait le dôme qui nous a servi de démonstration sur la route.
   Un invité se permit une petite remarque :
   - Certes, mais euh… Votre VG-13 n’est-il pas un peu abîmé ?
   - Ah ah ah ! Allons donc, pas du tout ! Quelques réparations et le tour est joué. Mon bébé est solide !

   - Mais qu’est-ce que vous avez fait à mon bébé ?
   - Grumpf ?
   - Non, pas toi, Grumpf. Mon autre bébé, le VG-13 !
Comme tout le monde s’y attendait, dès que les invités avaient débarqué, le bourgmestre avait prétexté avoir quelques petites choses à régler à bord et pendant que les trois Ggs étaient amenés à l’ambassade, elle avait rassemblé le Commando G-13 pour leur crier dessus.
   - C’est tout bonnement hallucinant ! Alors qu’il n’y avait encore jamais eu de problèmes, il suffit qu’un petit groupe ennemi nous attende en dessous de chez nous, et vous vous laissez avoir comme des gamins ! Et comme si ça ne suffisait pas, il faut que vous choisissiez le jour où nous avons des invités ! Mais qu’ont-ils donc bien pu penser de moi ?
   Pour ceux que ça inquiéterait, les trois invités avaient été très favorablement impressionnés par la bataille et s’étaient fait complètement embobiner par la parlotte du bourgmestre. Par contre, ils se disaient en effet que celle-ci était un peu exubérante.
   Les engueulades et l’auto apitoiement durèrent encore le minimum syndical à toute engueulade et Grumpf conclut à nouveau l’affaire par une remarque à haute teneur intellectuelle. Néanmoins, avant de claquer violemment la porte comme c’était devenu son habitude, le bourgmestre s’adressa une dernière fois au commando :
   - Hors de question que je me montre à nouveau à bord de cette épave. Si vous n’arrivez pas à tout réparer, démerdez-vous pour m’en trouver un autre !
   Après quoi, elle claqua quand même la porte, au grand soulagement de ceux qui se voyaient repartis pour une heure. Flonn éclata aussitôt :
   - Et bien tant mieux si on ne voit plus ta sale gueule, espèce de poufiasse !
   Et de conclure en balançant rageusement un de ses pistolasers sur la porte. Personne ne dit rien, mais Fant alla soigneusement chercher un escabeau pour récupérer l’arme tombée au plafond. Il avait de plus en plus de mal à calmer Flonn quand le bourgmestre venait les voir. C’est vrai que la Gg pouvait être particulièrement insupportable, mais elle était le chef de la ville G-13, le peuple la soutenait, et à ce titre, tout l’effort de guerre dépendait d’elle. Un seul petit caprice et le Commando G-13 pouvait être remplacé par un groupe de Ggs inimaginatifs et guindés. Même Flonn pouvait comprendre que sa vengeance serait alors impossible. Mais la Ff était impulsive de nature et elle avait de plus en plus de mal à contenir sa colère.
   Gunat finit par parler :
   - Faut dire… C’est vrai qu’elle est chiante.
   Toujours diplomate, Gemp tâcha d’intervenir :
   - Nous avons un bourgmestre difficile, mais pour avoir visité de nombreuses villes, je dois admettre que peu d’autre Ggs auraient ainsi accepté de faire la guerre contre l’Empire Métallique.
   Ger tempéra ces paroles :
   - Ouais, ben c’est pas par grandeur d’âme. C’est juste qu’elle veut être célèbre et qu’elle est trop conne pour comprendre les enjeux. Même nous, on a compris…
   Cet aveu était particulièrement étonnant de la part de la femelle Gg, mais ses deux compagnons peinturlurés semblèrent approuver. Fant se dit qu’ils étaient peut-être en train de mûrir. Histoire que cette tirade ne casse pas trop leur réputation, Ger ajouta quand même :
   - Mais putain, comme ça déchirait, ce combat !
   - Clair !
   - Trop bon !

   Un peu plus tard, Gemp, Fondarfin, Fant et Flonn se retrouvèrent dans le dortoir de Garlic, présent lui aussi. Il était d’ailleurs un peu effondré :
   - Je n’ai rien dit devant le bourgmestre, mais c’est vraiment catastrophique.
   Incapable de voir plus loin que le bout de son nez, Fant rétorqua :
   - Ca n’a rien d’une catastrophe. Nous avons prouvé que nous sommes les plus forts ! L’idée de Flonn de couper un arbre au-dessus du cuirassé était excellente ! Et le VG-13 est réparable, non ?
   Etant l’ingénieur en chef, Fondarfin répondit :
   - D’après ce que j’ai vu, il est encore parfaitement utilisable, c’est vrai. Mais je ne pense pas qu’on pourra réparer la verrière. Je verrai si mon équipe ne peut pas essayer de récupérer la verrière de l’autre cuirassé impérial, mais j’ai de très gros doutes.
   Gemp ajouta :
   - Et avec un vaisseau amiral dans cet état, nous n’allons pas faire très bonne impression dans les villes Ggs que nous essayons de rallier.
   Garlic reprit :
   - C’est encore pire que ça. Tel qu’est le VG-13, nous ne pourrons pas continuer longtemps à attaquer. Sans verrière, la passerelle n’a aucune protection et c’est l’endroit le plus important. De plus, nous avons subi une attaque, il y en aura d’autres, mieux préparées, où l’ennemi sera encore plus nombreux. L’avenir s’annonce noir.
   Et pour bien enfoncer le clou, Flonn mit son grain de sel :
   - La technique employée aujourd’hui ne marchera pas deux fois. Sûrement des spider-fly survivants ont pu s’échapper en emportant des spider-bug qui ont tout filmé. Dorénavant, l’ennemi se méfiera des Explorateurs.
   A vrai dire, Flonn avait eu cette idée pas mal de temps plus tôt, peu après la première rencontre avec un cuirassé ennemi. Une altercation avec un autre cuirassé général aurait de toute façon fini par avoir lieu et la jeune Ff avait alors préparé cette idée. Le VG-13 transportait donc quelques Explorateurs au cas où, mais ils étaient lents à déployer et puisque la bataille avait eu lieu non loin de la ville G-13, Garlic avait préféré appeler la milice grâce au matériel de communication impérial. Malheureusement, le manque de préparation avait coûté la vie à six hommes lors de l’assaut, sans compter les nombreux pilotes de spider-warrior détruits dans les hangars.
   Ce triste constat ne démonta pas Fant pour autant. Même si la situation paraissait difficile, il tenait toujours à préserver son petit paradis qu’était la ville G-13. Il s’y rendait très rarement depuis qu’il vivait à bord du VG-13, mais ces passages étaient d’autant plus appréciables et renforçaient à chaque fois sa détermination :
   - Mais enfin, vous me faites quoi, là ? Vous ne voulez pas qu’on abandonne tant qu’on y est ?
   Flonn rétorqua, les yeux lançant des éclairs :
   - Hors de question !
   La Ff voulait toujours à tout prix venger son village. Fant n’avait pas encore osé lui dire que l’Empire massacrait rarement les habitants de ses prises de guerre. Il était même fort probable que le Commando G-13 ait lui-même tué les survivants du village en détruisant le dôme où ils avaient été embarqué. Bien que Fondarfin avait plus ou moins compris la situation, il se gardait bien de faire la moindre allusion sur le fait que l’Empire faisait des prisonniers. Ces cachotteries produisaient un sentiment de gêne dès qu’il se retrouvait avec la jeune femelle. Cela n’avait pas vraiment aidé à l’intégration de Flonn, et bien qu’elle fut plutôt appréciée du reste du groupe, elle semblait encore parfois une étrangère. Sauf aux yeux de Fant, bien sûr.
   Fin de la séquence violons, retour au présent. Garlic était en train de répondre à Fant :
   - Personne n’a dit que nous devrions abandonner, mais les choses risquent d’être autrement plus difficile à partir de maintenant.
   - Tu trouves ? Parce que notre cuirassé est un peu abîmé ?
   Fant prouva alors que, bien que pas aussi malin que Flonn, il restait le plus prompt à tenter les coups les plus fous :
   - Madame le bourgmestre elle-même nous a donné une solution.
   Petit silence. Apparemment, le discours de la Gg acariâtre était passé par dessus bien des têtes.
   - Nous n’avons qu’à voler un autre cuirassé à l’ennemi.

3) Interrogatoire

   - Allez, les mauviettes ! Accélérez un peu ! Et gare à vous si je constate la moindre rayure sur la coque de vos machines !
   Depuis l’entrée du hangar, Fant regardait Guissiquil s’égosiller sur les pauvres recrues. Le milicien avait été avec Ger et Gunat dans les premiers à apprendre le pilotage des spider-warrior, pendant que Fant se concentrait sur le spider-fly. Maintenant, les peinturlurés donnaient des leçons aux volontaires qui souhaitaient piloter. Jusqu’ici, il n’y avait eu aucun besoin de débarquer les warriors au sol, mais Fant préférait se tenir prêt à toute éventualité. D’habitude, les leçons tournaient surtout autour du tir sur cible, vu qu’il s’agissait du rôle principal de ces machines pour le moment. Néanmoins, les Ggs s’habituaient généralement très vite et les commandes permettaient une visée très précise. Il n’en allait pas de même avec les mouvements.
   Les Ggs étaient habitués aux Explorateurs, des machines lentes à vitesse fixe. Il suffisait de tout lâcher pour s’arrêter. Les spider-warrior étaient beaucoup plus complexes. Les peinturlurés avaient causé quelques accidents au début, mais ils avaient fini par prendre le coup. Voilà pourquoi Guissiquil se permettait de crier ainsi : non seulement, il était maintenant un pilote accompli, mais il se vengeait de ces nombreuses heures frustrantes qu’il avait passées à apprendre le pilotage. Fant devait bien s’avouer qu’il se comportait de même avec ses propres élèves, mais en plus subtil (et donc, en beaucoup plus vache).
   Apercevant le Ff, Guissiquil s’approcha de lui en souriant, laissant les nombreux spider-fly se rentrer dedans au plafond.
   - Alors ? Tes élèves sont tous morts ou tu arrêtes tes leçons plus tôt ?
   - Je n’ai pas donné de leçon aujourd’hui. Je réfléchissais avec Garlic et Flonn au plan pour s’emparer d’un nouveau cuirassé.
   Un bruit de tôle froissée retentit au plafond. Le Gg poussa un bref soupir puis se retourna en hurlant :
   - Bande de dégénérés ! Arrêtez de me défoncer ces spider ! C’est pas parce qu’on vient de s’emparer de tout un stock qu’il faut démolir l’ancien ! Et Grite, ne crois pas que je ne t’ai pas vu ! On parlera de ton comportement à la fin !
   - Des problèmes avec tes élèves ?
   Tout sourire, le Gg répondit :
   - Aucun ! Ils apprennent encore plus vite que moi. Tu aurais vu comme je me plantais sur ce parcours…
   - Et la femelle qui t’a fait un bras d’honneur depuis son cockpit ?
   - Grite ? Elle est très bien cette petite. Quelques problèmes avec l’autorité, mais ça ne me gène pas tant que ça s’arrête à ça. D’ailleurs, elle va encore s’écraser comme une grosse merde quand je l’engueulerai à la fin de la séance.
   - Tu as bien de la chance. Moi, c’est la cata.
   - Tu m’étonnes ! Les Ggs détestent la surface. C’est déjà un miracle qu’ils soient si nombreux à accepter de piloter des spider-warrior. Alors les mettre dans une bulle volante, laisse tomber !
   - Bah, il y en a quand même quelques-uns qui se débrouillent… Ger et Gunat n’ont pas de problèmes ?
   - Pas que je sache. Gunat s’envoie en l’air avec un de ses élèves, c’est très bon signe.
   - Bon, alors je ne vais pas t’embêter plus longtemps. Je venais juste te dire que Gemp est repartie il y a un huitième de jour. Je ne sais pas pour quelle ville et tu sais déjà que je m’en contrefous.
   - C’est noté, merci.
   La ville G-13 avait un nouvel ambassadeur, mais la vieille Gg avait plus ou moins repris son ancien métier. Depuis trois memps, elle voyageait de ville en ville. Gustav, le Gg impérial qui avait attiré le commando dans le piège de la ville G-44, avait eu raison sur un point : la communication entre villes était catastrophique. Elle ne voyageait donc plus dans le but de négocier des contrats commerciaux ou pour s’échanger des amabilités, mais pour convaincre les autres villes de rejoindre le combat.
   Et elle était très douée. Plus de vingt villes avaient envoyé des volontaires pour servir à bord du VG-13. L’efficacité était renforcée par le bourgmestre qui insistait pour se rendre personnellement chez les villes hésitantes à bord de son bébé. La vue du cuirassé dissipait généralement de nombreux doutes et donnait du courage aux bourgmestres frileux. La notoriété de la ville G-13 augmentait de plus en plus et le bourgmestre se voyait déjà devenir maire de tous les Ggs.
   Le personnel venu des autres villes servait à plein de chose. Tout d’abord, à renforcer l’extraction de fer et la fabrication des boulets de bombardement, mais aussi pour la synthèse de carburant. Gemp négociait en ce moment avec les villes G-12 et G-15 pour qu’ils s’y mettent aussi, permettant ainsi au VG-13 d’avoir plusieurs points d’attache. A ce propos, la ville G-15 s’était montrée la plus volontaire dans l’effort de lutte. Il faut dire que la destruction du dôme local et surtout la libération de la ville après l’invasion de F les avaient sacrément motivés.
   Autre intérêt des volontaires : servir directement à bord du VG-13. On l’a déjà dit, le vaisseau était énorme. Il fallait donc une équipe d’agents d’entretien et de techniciens particulièrement efficaces. On comptait aussi plusieurs cuisiniers et intendants.
Les plus brillants techniciens rejoignaient l’équipe personnelle de Fondarfin. Nommée la Fond’team, cette équipe travaillait d’arrache-pied depuis le début des hostilités. Synthèse de carburant, compréhension des mécanismes du vaisseau, étude des spider-warrior, spider-fly, spider-spy, spider-bug et spider-scout, mise au point d’un système de fermeture des hangars… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’avaient pas chômé. Actuellement, l’équipe travaillait sur le prototype d’une sorte d’Explorateur extra large qui pourrait amener les boulets de bombardement par dix à la fois. En effet, pour l’instant, il fallait se contenter de les amener un à un. L’opération était d’une lenteur à s’arracher les cheveux et devait être effectuée continuellement, en faisant tourner les équipes, afin que le vaisseau reparte à chaque fois plein.
   Un autre projet était à l’étude. Il s’agissait d’un modèle de canon-laser, comme celui des spider-warrior, qui pourrait être adapté à divers endroits sur le VG-13 et être opérés à distance. Avec tout ça, Fondarfin était rarement disponible.

   Guissiquil mis au courant du départ de Gemp, Fant ne s’attarda pas et amena le même message à Ger et Gunat. La scène étant exactement la même que celle que l’on vient de voir un peu plus haut, nous sauterons ces passages. Quoi que, pour ceux que ça intéresse, Gunat fit part d’une impression tenace comme quoi la petite Grite aimait beaucoup plus son instructeur que ce qu’elle montrait durant les leçons. Gunat était au courant parce qu’elle entendait les cris depuis son dortoir…
   Arriva donc le moment tant redouté. Flonn était adossée au mur, l’air maussade comme c’était presque toujours le cas chez elle. Fant était content de la voir, aucun doute là-dessus, mais elle insistait pour l’accompagner à chaque fois qu’il partait interroger le général impérial capturé. Au début, Fant trouvait ça rigolo, mais ça prenait vraiment des airs de sadisme fini qui arrivaient même à perturber un être aussi immonde que lui. Flonn ne ratait pas une occasion de frapper Fiorana (et encore, frapper, c’était le moindre de ce qu’elle lui infligeait). La pauvre détenue avait affreusement maigri, malgré la nourriture largement suffisante qu’on lui apportait.
   Au début, Gemp avait élevé des objections en voyant les ecchymoses qui ornaient le visage autrefois fort joli du général. Mais Flonn lui avait jeté un regard à faire fondre du métal et la femelle Gg, qui pourtant n’était pas du genre à se laisser faire, n’avait plus insisté. Depuis, les autres membres du commando essayaient d’oublier l’existence de Fiorana, espérant probablement qu’il suffirait d’oublier pour que rien de tout ça n’ait lieu. Malheureusement, Fant voyait bien que ça continuait. Il refusait de laisser son amie seule avec la prisonnière et insistait pour l’interroger lui-même. Mais Flonn suivait malgré tout, et ça se terminait toujours mal.

   Cette fois-ci ne fut pas différente. En apercevant Fant, la jeune Ff avait suivi sans rien dire. Dix minutes plus tard, ils ressortaient tous les deux, Flonn toujours aussi silencieuse. Elle avait à peine desserré les lèvres tout au long de l’interrogatoire, mais elle avait quand même participé à sa façon.
   Comme toujours depuis quelques temps, Fiorana s’était montré extrêmement coopérative. La femelle aux yeux verts avait brisé toute trace de volonté chez le général et cette dernière tremblait comme une feuille dès qu’elle apercevait la silhouette de Flonn sur le pas de sa cellule. Fant avait essayé à de nombreuses reprises de calmer son amie, mais rien n’y faisait. L’attaque sur son village avait très durement frappé Flonn, beaucoup plus durement que ce que Fant pensait au départ. C’était assez logique à bien y réfléchir. Ce village avait été tout ce que la jeune Ff avait eu. Et revoir Fant ne l’avait aucunement aidé. C’était même plutôt l’inverse. Alors qu’elle s’était d’abord enfermé dans le désespoir, revoir le jeune mâle lui avait apporté l’espoir d’un moyen de se venger. Depuis, elle assistait à tous les bombardements sur des dômes, crispant les mâchoires quand elle apercevait des corps qui tombaient dans le vide. De même, elle se défoulait sur Fiorana, même si celle-ci n’avait absolument pas participé à l’attaque du village. Flonn avait donné une image à sa haine : l’Empire Métallique. Elle le détruirait entièrement et assisterait à chaque victoire.
   Ce comportement était bien au-delà de la compréhension de Fant. Lui cherchait surtout à protéger la ville G-13, son idéal de vie. Une fois l’Empire et son Complexe détruits, il passerait le restant de ses jours à siroter de la bière les doigts de pied en éventail sur le bord de la faille. Par contre, impossible de savoir ce que Flonn ferait.
   Une chose s’était très vite révélé : elle était maligne. Très maligne, même. Alors que Fant passait auparavant pour un génie, elle l’avait très méchamment détrôné. Maintenant, Garlic s’occupait de planifier les attaques, calculant les trajectoires qui consommeraient le moins tout en permettant de passer par le plus de dôme. Il était génial dès qu’il fallait planifier, Fant devait le reconnaître. Il savait faire des assauts leurres, il attaquait toujours là où l’ennemi ne s’y attendait pas, et pourtant, dès qu’on entrait dans un combat, il cédait la place à Flonn. Au début, il la laissait à Fant, mais très vite, Flonn s’était révélée bien meilleure et surtout beaucoup plus motivée pour ce poste. Elle avait imaginé la plupart des tactiques employées, parfois avec l’aide du jeune mâle, mais plus souvent seule. Une ou deux fois, elle avait même sauvé une situation qu’on eut dit foutue. C’était la principale responsable de la victoire sous la ville.
   Fant était un peu jaloux, mais lui s’entendait bien avec le reste de l’équipe. Flonn ne pouvait en dire autant. Il n’y avait aucune friction, mais les membres d’équipage l’évitaient, tout comme elle les évitait. Au début, Fant pensait qu’elle souffrait de la comparaison avec Mela, qu’elle faisait un peu « remplaçante ». Mais il avait fini par se rendre compte de la vérité. Elle faisait peur aux Ggs. Paradoxalement, Mela, qui était la monstruosité incarnée, avait plutôt attiré la sympathie. Alors que Flonn, avec son visage d’ange et ses yeux verts feuille, leur foutait la trouille.
   Et encore une fois, Fant avait pu constater que sa façon de frapper la prisonnière sans défense, d’une violence inouïe et sans le moindre soupçon de plaisir sadique, ne donnait pas l’impression d’une jeune fille parfaitement équilibrée. Alors qu’elle repartait vers son dortoir, toujours sans mot dire et en essuyant le sang qu’elle avait sur les poings, Fant se sentit tout de même moins déprimé que d’habitude. Fiorana lui avait donné des informations qui lui avaient fait plaisir.

   Sur la passerelle désormais à l’air libre du VG-13, le commando au complet, moins Gemp, s’était réuni. La Fond’team avait vaguement essayé de réparer la verrière, mais sans succès. Par contre, toutes les consoles étaient de nouveau opérationnelles.
   Au milieu, Fant était tout excité :
   - Bonne nouvelle ! Le corps retrouvé sur la passerelle ennemie était bien un général impérial. Ca fait le deuxième au compteur. En résumé, ça veut dire qu’il en reste quatre : trois Ffs et un maki.
   - Sans compter le type qui t’avait tendu un piège chez toi…
   - Ah non ! D’après notre invitée, son échec lui a sûrement coûté sa place. Et connaissant le bonhomme, il se serait déjà manifesté s’il était toujours dans la course.
   Ger grogna :
   - Ca ne nous dit toujours pas où on va trouver un nouveau vaisseau.
   - Oh que si ! Deux généraux, c’est bien, mais trois généraux, c’est mieux ! Et où trouver un cuirassé général ? Là où on trouve le général qui va avec !
   L’attention de Garlic fut attirée :
   - Tu en as un en tête ?
   - Ah non. Pour ce choix-là, je te laisse faire. Néanmoins, Fiorana a confirmé que nous avions détruit plus de la moitié des dômes d’une certaine Fosm. C’est elle qui était responsable du City-dôme n°984. Comme elle est la plus proche de cette ville, il semblerait que nous nous soyons involontairement acharné sur son territoire plutôt que sur celui des autres.
   - Alors le choix est tout fait. Ses ressources doivent être exsangues. Le fait qu’un autre général nous ait attaqué prouve que celle-ci ne pouvait pas se le permettre. Allez hop ! Emballez, c’est pesé !
   Gunat posa alors la question vraiment essentielle :
   - On pourra servir à quelque chose, cette fois ?

4) Chez les méchants

   Un enfant Ff se mit à hurler. Gênés, ses parents tentèrent de le calmer comme ils purent, mais la tâche était rendue d’autant plus difficile qu’ils ne semblaient pas très rassurés non plus. Il faut dire que ce n’était pas tous les jours qu’on croisait pareille monstruosité. La chose devait représenter bien cent kilos de chair et à peu près le même poids en métal. Le sol tremblait à chacun de ses pas et le trottoir se craquelait aux endroits où les pattes heurtaient le sol. Pour parfaire ce charmant tableau digne d’une affiche de film d’horreur particulièrement éprouvant, le visage de Mordir était tout sauf avenant.
   Le général avait quitté la base militaire tout en haut du dôme pour aller passer lui-même commande de divers composants chez un fournisseur particulier. D’habitude, on envoyait un simple scribouillard pour ce genre de tâches, mais Mordir s’était dit que ça lui changerait les idées de marcher en ville. Et surtout, il avait besoin de se rappeler ce pour quoi il se battait, toutes ces vies qu’il devait protéger. Jusqu’ici, la promenade avait plutôt eut l’effet inverse à celui désiré. Entre les connards qui klaxonnaient à tout bout de champ parce que le conducteur devant eux respectait le stop ou ceux qui jetaient un regard vaguement dégoûté à ses prothèses, le maki se disait que les sauvages avaient parfois raison de vouloir raser ces dômes.
   Il se consolait en se disant que les êtres pensants ne devaient guère valoir mieux hors des dômes, mais vivement quand même qu’il soit rentré à la base pour pouvoir se pencher sur des questions plus importantes que de dissuader à grand renfort de grognements le connard qui essayait de lui faire comprendre qu’il risquait de peser trop lourd pour l’ascenseur. Ne leur apprenait-on pas la physique à tous ces inutiles sous-fifres ? (pardon, tous ces travailleurs dévoués à la grande cause impériale) Les prothèses sont en métal ! Par conséquent, elles sont attirées vers le haut et compensent le poids des muscles. Mordir pesait probablement moins lourd que ce ridicule poids plume qui pourrait visiter le fond du dôme après une simple pichenette. Et comme si la journée n’était pas assez pourrie, il se trouvait encore un gamin chialeur dans l’ascenseur.
   Encore un comme ça, et Mordir fournissait lui-même trois cuirassés aux sauvages !

   Les généraux Fginn et Famen l’attendaient dans la salle gigantesque qui lui servait de bureau personnel lorsqu’il y parvint enfin. Il se surprit à penser qu’il retournerait bien dans l’ascenseur avec les gamins pleurnichards…
   Oh, il n’avait rien contre ces deux mâles Ffs. Enfin, rien en dehors de la couardise démesurée de Famen et de la propension de Fginn à toujours chercher un point faible exploitable chez ses confrères et consoeurs. Sans compter qu’ils ne s’étaient certainement pas déplacé pour le féliciter de la réussite des ses dernières manœuvres.
   Il les salua malgré tout d’un grondement qui se voulait convivial et alla s’asseoir derrière son bureau. Il appuya machinalement sur un bouton et une image en temps réel de l’intérieur du dôme apparut sur le mur derrière lui, laissant croire qu’une fenêtre s’y ouvrait. L’éclairage fourni illumina la grande pièce pourtant sombre, le long tapis rouge qui allait du bureau à la porte, comme pour inviter les emmerdeurs à ressortir vite fait, et les deux rangées de statues en bois représentant des makis dans diverses poses guerrières et agressives. Pour menaçantes qu’elles fussent, ces statues palissaient en présence du général Mordir. Bien que ce n’était pas l’effet recherché quand il avait fait installer ces statues, le maki appréciait néanmoins la façon dont les visiteurs regardaient chacune d’entre elles d’un air mal à l’aise et achevaient de vider toute couleur de leur visage lorsque celui-ci se tournait vers le bureau et son propriétaire. Un gigantesque lustre en bois à la mode médiévale complétait le tableau, confirmant l’aspect tribal de la pièce.
   Fginn devait être habitué car ce fut sans hésitation qu’il aborda la conversation :
   - Je suppose que vous êtes au courant pour Flunid ?
   Mordir lâcha un soupir qui fit vibrer les murs.
   - Comment pourrais-je ne pas l’être ? Elle a sciemment attaqué l’ennemi sans rien dire à personne. J’ose espérer qu’aucun de vous deux ne prépare une telle idiotie dans son coin ?
   Famen secoua vivement la tête. Fginn se contenta de fixer Mordir droit dans les yeux, comme s’il pouvait y lire un quelconque renseignement important. Il finit par lâcher :
   - Non, bien sûr que non. Avec un cuirassé impérial et deux cuirassés standards, elle s’est fait détruire sans causer de dégâts irréparables aux sauvages. Et c’est déjà plus de ressources que je ne peux me permettre…
   - Comment êtes-vous au courant de ce qu’elle a envoyé ?
   - Des survivants m’ont transmis les enregistrements des spider-bug.
   Le maki tâcha de ne pas laisser transparaître son intérêt. Apparemment en vain, car son interlocuteur sembla se permettre un léger sourire avant d’ajouter :
   - Ne vous en faites pas. Je les ai avec moi. Ce qu’il y a d’important à en retenir, c’est que notre estimée collègue n’est, pardon n’était, peut-être pas aussi intelligente qu’elle cherchait à le faire croire, mais aussi que l’ennemi a pu se ravitailler à son aise grâce au contenu d’un cuirassé général entier.
   L’autre Ff écarquilla les yeux :
   - Ils se sont emparés d’un autre cuirassé général ?
   - Rassurez-vous, cher confrère. Ce vaisseau n’est plus en état d’être utilisé ou même réparé, mais cela aurait pu être le cas.
   - Mordir, vous entendez ça ? Il faut à tout prix empêcher qu’une telle chose arrive. Nous devrions faire installer des mécanismes d’autodestruction sur nos vaisseaux amiraux !
   - Je vous le décourage vivement. Un mécanisme d’autodestruction est tout ce dont l’ennemi a besoin pour se débarrasser de nous plus efficacement. Ils ont déjà prouvé être bon pour l’infiltration.
   Mordir écoutait silencieusement la conversation. Il dut quand même y prendre part quand Famen lui posa une question :
   - Et pour le territoire de Flunid ? Nous ne pouvons pas nous le partager comme nous l’avons fait avec Fiorana. Je n’arrive absolument plus à gérer un si grand territoire.
   - Vous avez raison. Trouvez un quelconque colonel pas trop mauvais et nommez-le général à la tête du territoire de Flunid.
   - Moi ?
   - Cette tâche vous semble trop difficile ?
   Cette question, qui aurait pu paraître courtoise, fut néanmoins posée un octave plus bas. Le Ff avala sa salive et répondit :
   - Non, non, pas du tout ! Mais… Il va me réclamer un cuirassé général…
   - Qu’il aille se faire foutre !
   - D’accord, ça me va.
   Fginn avait assisté à l’échange d’un air très intéressé. Ses yeux passaient tranquillement de l’un à l’autre, enregistrant des détails que lui seul semblait voir. L’affaire étant réglée, il reprit là où il en était resté :
   - Et pour les sauvages ? Que faisons-nous ?
   - On attaque. J’ai eu tord de rester sur la défensive. J’aurai dû savoir qu’un moucheron, ça s’écrase.
   - Bien vu. Si on attend qu’il s’en aille, on risque de rester incommodé par les bourdonnements.
   Cherchant ce que Fginn pouvait bien vouloir dire, Mordir le regarda droit dans les yeux et y vit son propre reflet. Rares étaient les personnes à pouvoir soutenir son regard sans broncher et ce Ff le faisait avec un aplomb dérangeant. Le maki se permit un grondement menaçant qui n’eut d’autre effet que de déclancher un petit sourire chez l’adversaire. Il finit par demander :
   - Quoi ? (ça s’écrit « quoi », mais à l’oreille, ça ressemble plus aux prémices d’un tremblement de terre)
   - Non, non. Rien du tout.
   Fginn détourna alors les yeux, mais ne perdit pas son sourire pour autant. Agacé, Mordir renâcla et repris :
   - Pour la prochaine attaque, hors de question de foirer. Je veux toute la flotte du Complexe sur le coup.
   - Toute ?
   Cette dernière question sortit en même temps de la bouche des deux généraux Ffs, mais pas sur le même ton. Alors que Fginn haussait un sourcil étonné et avait calmement posé ce mot, Famen avait violemment sursauté.
   - Oui, toute. Ce petit jeu n’a que trop duré et si on ne veut pas fournir davantage de ressources aux sauvages, il faut frapper un grand coup.
   Famen, qu’on sentait un peu perdu, demanda alors prudemment :
   - Ne serait-il pas plus sage de faire une demande de renforts à la Capitale ?
   - La Capitale est bien trop occupée à lutter contre l’Ennemi. Ils n’ont pas de ressources à gaspiller pour sauver ce Complexe.
   - Nous fournissons quand même une énorme quantité de fer ! C’est d’ailleurs pour ça que nous manquons de ressources pour l’affaire qui nous préoccupe.
   Fginn intervint :
   - Situation qui n’aurait jamais dû se présenter. Nous sommes largement assez équipés pour écraser des sauvages, même s’ils disposent d’un de nos meilleurs cuirassés.
   - Mais si nous mettons toutes nos forces dans une attaque et que nous ne tombons pas sur le VG-13 sous sa ville, il aura le temps de détruire une énorme quantité de dômes non défendus avant de rentrer chez lui.
   Fginn lui répondit :
   - Qu’ils soient défendus ou pas ne semble pas faire de grande différence. Et que représentent quelques dômes si nous pouvons détruire ce Fant une bonne fois pour toute ?
   Mordir enchaîna :
   - La quantité de fer envoyée à la Capitale est devenue dérisoire. Ils savent que nous avons des problèmes et ne lèverons pas le petit doigt pour un Complexe si jeune. L’Imperator a d’autre monds à fouetter.
   - Et s’ils gagnent quand même ? Ils se seront débarrassé de toutes les défenses. Le Complexe sera rasé.
   - Si toutes nos forces ne suffisent pas contre un seul cuirassé endommagé, alors nous ne pourrons de toute façon jamais défendre le Complexe.
   Face à la perspective d’une grosse bataille, Famen se prit la tête entre les mains :
   - Oh, grand Imperator !
   - Allons, cher confrère, un peu de dignité. Après tout, nous méritons la situation actuelle. C’est un général qui a laissé son cuirassé se faire prendre. Et comme si ça ne suffisait pas, Fiorana a même laissé un military-dôme se faire détruire, relâchant les makX qui s’y trouvaient.
   Mordir grogna alors :
   - Non pas que je cherche à défendre le général Fiorana, mais je vous déconseille de considérer cette information comme sûre. C’est ce que l’enquêteur spécial F nous a raconté, mais à partir du moment où il était impliqué, je me méfie.
   - Les survivants nous ont confirmé ses dires. Il était absent quand c’est arrivé. Le général Fiorana a laissé des sauvages monter à bord de son vaisseau. Et on ne peut plus dire qu’il s’agissait d’une faille de sécurité. Après ce qui est arrivé au City-Dôme n°984, nous avions ordre de vérifier expressément l’identité et le contenu de tout ce qui rentrait dans un dôme ou un appareil de grande envergure. Apparemment, elle ne l’a pas fait et nous en payons désormais les conséquences.
   Famen intervint :
   - Mais F était censé l’arrêter !
   - Et il l’aurait fait si le général Fiorana ne s’était laissé voler son cuirassé.
   Mordir grogna bruyamment :
   - Ca suffit ! J’en ai marre de cette discussion. Ca fait trois memps qu’on nous la ressort à chaque réunion. Croyez qui vous voulez, mais jamais je ne ferai confiance à ce Ff. A partir du moment où il était dans le coin, je ne peux pas croire qu’il n’ai pas sa part de responsabilité. D’ailleurs, est-ce que quelqu’un sait où il se trouve actuellement ?
   Famen haussa les épaules, mais Fginn répondit, l’air content de lui :
   - Moi, oui. Enfin presque… Contrairement à vous autres, j’ai formé quelques agents qui vivent un peu partout dans le Complexe et qui me tiennent informé. On l’a vu dans différents city-dôme depuis le début de cette histoire. Il semble beaucoup voyager. Peut-être prépare-t-il quelque chose.
   Nouveau grondement :
   - Oui, il prépare quelque chose et je vais vous dire quoi. Il est en train d’attendre que la situation se dégrade. Quand nous serons tous persuadés qu’il n’y a plus d’espoir, alors seulement il essayera de capturer Fant.
   Fginn fronça les sourcils, essayant de capter chez Mordir quelque chose qui lui aurait échappé :
   - D’après vous, pourquoi ferait-il cela ?
   - Le prestige bien sûr. Fiorana nous avait averti que c’était le seul moteur dans la vie de ce Ff. En sauvant la situation au dernier moment alors que tous les généraux auront échoué, même la Capitale entendra parler de lui et toutes les portes lui seront ouvertes. Raison supplémentaire pour ne pas rater notre grande attaque.
   - Vous le pensez retord à ce point ? Remarquez, je ne l’ai jamais croisé personnellement, mais ça me semble quand même à la limite de la trahison envers l’Empire…
   - Je ne serais même plus étonné si j’apprenais qu’il a manigancé toute l’affaire depuis le début. Il est d’origine sauvage, après tout…
   Un petit silence se fit alors que Famen et Fginn digéraient ces paroles et leurs conséquences. Finalement, le regard de Fginn tomba sur la lampolya sur le bureau du maki. Elle était à son apogée. On arrivait vers la fin du cycle. Quelle que soit l’issue de la bataille prévue par Mordir, ce cycle resterait comme l’un des plus sombres dans l’Histoire de l’Empire Métallique…
   - Bon, c’est pas tout ça, mais l’heure tourne. Quand lançons-nous notre attaque ?
   - Le plus tôt possible. Dès que vous serez rentrés dans vos territoires, rassemblez toute votre flotte. Une fois fait, envoyez le tout ici. Hors de question de voyager un par un. Quand nos trois armées seront assemblées ici même, nous lancerons l’assaut.
   Famen remarqua :
   - Nous attaquons sans Fosm ?
   - Oui. Elle est persuadée que les sauvages vont maintenant tenter de lui voler son cuirassé impérial et elle a sûrement raison. Elle préfère rester sur la défensive. Je condamne cette décision, mais sur papier, nous sommes du même grade, je ne peux donc pas la forcer.
   L’ombre d’un espoir passa alors sur le visage de Famen au moment où il entrevoyait un échappatoire, mais Fginn l’interrompit avant même qu’il ne puisse formuler la moindre phrase :
   - Si, Famen. Vous venez avec nous. Fosm a une excuse valable, elle ! De plus, elle ne se trouve pas seule en présence de Mordir et d’un témoin tout à fait prêt à fermer les yeux s’il prenait l’envie à notre ami de vous arracher la tête avec les dents.
   - …
   - Excusez-moi, j’ai trop l’habitude de parler par allusion et je ne sais pas toujours si mon auditoire voit où je veux en venir. Vous voyez où je veux en venir, Famen ?
   L’interpellé se recroquevilla davantage dans son fauteuil alors que Mordir se levait face à lui, projetant une ombre des plus menaçantes. Ce fut donc d’une voix particulièrement faible qu’il souffla :
   - Oui…

5) Plan A

   - Alors, ça y est. Ils se sont décidés à bouger…
   Depuis la passerelle de son cuirassé personnel, Fosm étudiait le point qui grossissait à l’horizon. Les radars ne le détectaient pas. Aucun mouvement n’étant prévu pour aujourd’hui, il s’agissait forcément du VG-13. La femelle Ff se préparait depuis un bon huitième de memp à cette rencontre. Sachant que l’ennemi ne renoncerait pas à ses attaques tant qu’il ne se serait pas emparé de son cuirassé, Fosm avait préféré l’attendre de pied ferme juste sous son dôme principal, là où les sauvages n’auraient aucun mal à la trouver.
   Il était temps. Dans l’attente de cette confrontation, le général avait rassemblé quatre cuirassés en plus du sien. C’était une catastrophe pour le reste de son territoire, qui avait subi deux attaques en attendant et où de nombreux secteurs importants restaient sans défense. A vrai dire, Fosm aurait bien rassemblé tous ses cuirassés en un point, mais elle ne pensait pas que plus de vaisseaux aurait pu changer grand chose. Quatre étaient largement assez pour encercler l’ennemi, mais le cinquième était rassurant. C’est étrange comme cet unique vaisseau, aux même performances que celui du général, endommagé et en infériorité numérique flagrante, arrivait à la mettre mal à l’aise. Le problème avec ces types-là, c’est qu’ils ne se battaient pas normalement. D’habitude, les Ffs se shootent au plum, les Ggs attaquent de front sans la moindre imagination et les makis chargent en tas pas organisés du tout. Mais jamais ils ne s’associent, ni ne s’infiltrent dans les dômes ou les vaisseaux impériaux et surtout, jamais ils ne gagnent une bataille où toutes les prévisions les donnent perdants !
   La voix de l’opérateur du radar tira la vieille Ff de ses pensées :
   - Les spider-spy ont atteint la cible, général. Nous détectons aussi vingt Explorateurs.
   - Comment ? Ils veulent tenter la même chose ? C’est très suspect. Demandez au colonel Fera de déployer autant de spider-warrior qu’elle le jugera nécessaire. Elle ne devrait pas avoir besoin de toutes ses réserves.
   Le pilote demanda alors :
   - Devons-nous bouger, Madame ?
   - Prudence, c’est peut-être ce que l’ennemi veut que nous fassions. Nous allons ignorer ces Explorateurs pour l’instant. Gardez juste un œil dessus au cas où Fera n’arriverait pas à tous les détruire. Et continuez à envoyer des spider-spy autour de leur vaisseau ainsi qu’au sol.
   - Très bien, madame. L’ennemi s’approche en ligne droite.
   Fosm réfléchit un moment. Le VG-13 allait présenter sa passerelle, comme avec Flunid. Tout ça ressemblait trop à l’attaque précédente. On essayait de la distraire pour qu’elle oublie quelque chose, c’était sûr.
   - Vous avez tous vu les enregistrements de la bataille de ce truc avec Flunid. Si vous remarquez la moindre différence, prévenez-moi aussitôt.
   Une différence serait sûrement la faille dans leur plan. Mais en même temps, peut-être voulaient-ils qu’elle se concentre sur des différences, oubliant l’essentiel.
   Jusqu’où peuvent-ils bluffer ?
   - Ils arrivent bientôt à porté.
   Tâchant de contrôler son stress, Fosm donna ses ordres d’une voix ferme :
   - Que Fera reste à sa place. Les trois autres cuirassés doivent l’encercler. Nous restons ici et attaquons leur passerelle.
   Personne ne dit rien et obéit sagement.
   Si je faisais une bêtise, quelqu’un me le signalerait, non ?
   Devant sa propre passerelle, Fosm vit deux cuirassés se placer de chaque coté du VG-13 pendant qu’un troisième allait se placer derrière, lui coupant la route et pouvant tranquillement viser ses moteurs. Comme prévu, les sauvages n’avaient pas réparé la verrière de leur passerelle. Et apparemment, plusieurs de leurs hangars étaient encore inutilisables vu que la quantité de tirs en provenance du VG-13 restait inférieure à celle des enregistrements. Les spider-warrior dans les hangars du vaisseau de Fosm ouvrirent le feu et l’ennemi ralentit jusqu’à s’arrêter. Le général avait un instant craint que l’ennemi ne leur fonce dessus, mais c’était peu probable. Si les sauvages voulaient s’emparer du cuirassé général, ils feraient tout pour éviter de l’abîmer. La Ff se tourna vers le responsable du radar :
   - Des signes d’un quelconque appareil qu’ils auraient lancé ?
   - Non, toujours rien. Leurs Explorateurs approchent, mais ils sont particulièrement lents. Les trois de tête ont été détruits par les spider-warrior du colonel Fera. Rien n’indique que les autres préparent quoi que ce soit.
   - Bien…
   - Le cuirassé du colonel Fera a pris place sous le notre. C’est normal ?
   - Oui, tout à fait. Au moindre problème, ils n’auront qu’à s’avancer pour bombarder l’ennemi. En attendant… Disons juste que Fera doit servir de dernier recours si notre vaisseau se fait capturer…
   La passerelle était déjà silencieuse, mais curieusement, le silence se fit encore plus silencieux. Apparemment, tout le monde avait compris ce que le général avait préparé. Restait à espérer que l’ennemi ne parviendrait pas à s’emparer du cuirassé général. Mais après tout, ultime recours ou pas, l’issue serait la même pour l’équipage. Fosm n’appréciait guère cette épée de Damoclès sous ses pieds. L’idée ne venait pas d’elle, mais elle avait dû admettre la logique de la chose.
   De toute façon, pour l’instant, ça semblait aller. La passerelle ennemie était copieusement arrosée, la rendant inutilisable. Dans tous les cas, ce vaisseau ne pourrait plus fuir. De chaque coté, les simples cuirassés marquaient des points. Celui sur bâbord commençait un peu à morfler, mais les tirs ennemis se faisaient également plus rares. Le troisième cuirassé était arrivé derrière et tirait joyeusement dans les moteurs. Quelques minutes de ce traitement et les moteurs exploseraient, provoquant une joyeuse réaction en chaîne de type Etoile Noire.
   C’est beaucoup trop facile. Il y a forcément un piège, quelque chose que je n’ai pas prévu. Et pourtant, « il » m’a assuré que tout se passerait bien. Il est dans les parages, il surveille la situation et il agira s’il se passe quoi que ce soit d’anormal. Si je ne peux pas avoir confiance en mes décisions, je dois avoir confiance en lui. Même s’il me déplaît souverainement, il a déjà prouvé son intelligence. Il ne me décevra pas.
   Plus ou moins rassurée par cette auto persuasion, la vieille Ff respira un peu mieux et décida d’apprécier le spectacle que lui offrait le VG-13 en pleine déculottée. Comme par hasard, c’est à ce moment-là que l’officier de communication l’appela :
   - Mon général ! Un appel urgent du colonel Fera.
   Gloups !
   - Oui ?
   - Ses spider-warrior ont terminé de détruire les Explorateurs. Les pilotes sont formels : ces machines étaient vides.
   - Pardon ?
   - Une minute…
   L’officier écouta des détails dans son casque, puis repris :
   - Il semblerait que les commandes étaient bloquées pour qu’ils avancent tout droit. Certains sont restés bloqués contre des arbres, d’autres sont rentrés en collision. Ils ne portaient rien et servaient très probablement à faire diversion.
   Une boule se forma dans la gorge du général Ff. Le VG-13 s’était arrêté avant de percuter, les spider-warrior dans les hangars avaient tiré de façon très précise. Impossible que la vaisseau fut vide. Par contre, il était possible que l’équipage soit restreint, ce qui expliquerait le faible rendement des tirs ennemis.
   Cette pensée venait juste de germer dans le cerveau du général que les bruits d’une fusillade se mirent à retentir dans le couloir. Une sorte de terreur collective s’empara de la passerelle.
   Des bruits de corps qui heurtent le sol…
   Un petit silence…
   La porte de la passerelle qui s’ouvre dans un chuintement à peine audible.
   Deux Ffs entrèrent alors, un mâle et une femelle. Ils s’écrièrent en même temps d’un ton jovial :
   - Surprise !

   Vous allez maintenant avoir droit à mon procédé narratif préféré. Peut-être commencez-vous à trouver ça lourd, mais je ne m’en lasse pas. Il est toujours très amusant de voir la situation du point de vue de celui qui va perdre et revenir après coup sur la façon dont les gagnants ont procédé. Attention cependant, car même si vous savez maintenant que Fant et Flonn se sont infiltrés sur la passerelle, ils n’en sont pas moins tirés d’affaire, comme les plus futés d’entre vous auront pu s’en rendre compte.
   Mais chaque chose en son temps. Voyons déjà comment nous en sommes arrivé là.

   Peu de temps avant la bataille, le VG-13 s’était arrêté au milieu de nul part, suffisamment loin du dôme principal de Fosm pour être sûr de ne pas être repéré. Là, des spider-warrior avaient creusé un puit jusqu’à une petite caverne naturelle non habitée. J’en profite pour rappeler que les spider-warrior sont équipés d’une vrille ventrale dont le but principal est de débarquer en pleine ville Gg. Pour ceux qui me croiraient capable d’inventer de tels détails au fur et à mesure, je vous convie à retourner lire l’épisode 3. Vous verrez que ce détail était déjà mentionné. Après un long et stressant moment passé à installer un système de monte-charge archaïque, la quasi totalité de l’équipage et du matériel du VG-13 furent débarqués dans cette grotte rapidement aménagée.
   Un équipage réduit de volontaires repartit à bord du vaisseau et effectua un long détour pour pouvoir attaquer le dôme en donnant l’impression de venir par la direction opposée. A son bord, une grosse quantité de pilotes de spider-warrior, un pilote principal et un technicien. L’idée était la suivante : une fois le cuirassé général ennemi entre les mains du commando, un chantage sur le général permettrait de cesser le tir sur le VG-13 et ainsi, de l’évacuer. Il fut évident pour tous les tacticiens que cette phase était sujette à de nombreuses variables particulièrement imprévisibles, aussi les volontaires furent particulièrement courageux. Ou stupides, au choix…
   Toujours est-il qu’aucun membre du commando G-13 ne resta à bord du vaisseau, allez savoir pourquoi… Au lieu de ça, Fant, Flonn, Ger, Gunat et Guissiquil montèrent à bord d’un spider-fly non immatriculé. Pour le coté emblématique de la chose, Fant choisit l’appareil qu’il avait volé à F. En se tassant un peu, on embarqua également l’un des élèves de Fant, des fois qu’il arriverait quelque chose au pilote, ainsi que Fondarfin, pour tout besoin de réparation de dernière minute sur le cuirassé volé. Le groupe n’aurait que très peu de temps pour persuader le général Fosm d’obtempérer, aussi Flonn avait-elle proposé d’emmener Fiorana avec eux. Fant ne doutait pas que le spectacle qu’elle donnait ne manquerait pas de motiver Fosm à l’obéissance.

   Après un timing soigneusement calculé, le spider-fly quitta la grotte par le puit, sous les encouragements de tous les Ggs qui restaient en arrière et qui n’auraient plus qu’à espérer que tout se passe bien s’ils souhaitaient un jour quitter cette caverne. Le petit appareil volant se dirigea droit vers le lieu de la bataille. Comme prévu, les impériaux étaient tous concentrés sur le VG-13 et les Explorateurs leurres. Les hangars de l’autre coté étaient quasiment vides et personne ne s’étonna de voir un spider-fly s’y poser. Par contre, on commença à s’étonner quand trois Ggs au visage tatoué en sortirent en hurlant et en tirant sur tout le monde. Par acquis de conscience, Fondarfin vérifia la coque à la recherche de spider-spy. Il en trouva un, mais Fant avait atterrit si vite que le point sur les détecteurs avait dû disparaître aussi vite qu’il était apparu.
   Nos amis évitèrent de s’éterniser, mais ils ne repérèrent aucun signe montrant qu’ils aient pu être repérés par l’un des cuirassés ennemis. Tout le monde était à son poste. Les couloirs étaient donc quasiment déserts, surtout de ce coté du cuirassé. Les rares personnes rencontrées eurent la désagréable surprise de se faire assaillir par trois peinturlurés qu’on avait trop longtemps laissé à l’arrière pendant les combats.
   La porte de la passerelle était défendue par trois Ffs et un Gg qui n’eurent pas le temps d’opposer beaucoup de résistance. Fant et Flonn ouvrirent la porte, se ruèrent à l’intérieur et poussèrent le cri qu’il avait été convenu de pousser. Les membres d’équipages n’eurent pas le temps de se remettre que les trois peinturlurés débarquèrent en force, tirant sur tous ceux dont la tête ne leur revenait pas, ce qui faisait beaucoup de monde. Flonn, quant à elle, se rua sur Fosm, lui retourna le bras dans le dos et la colla sans ménagement contre la carte tactique au centre de la salle.
   Une fois le ménage fait, les peinturlurés allèrent se placer devant la porte, attendant qu’un quelconque soldat veuille bien pointer son nez. Fondarfin et le pilote Gg pénétrèrent d’un pas hésitant sur la passerelle et ne dirent rien, laissant les deux jeunes Ffs gérer la situation comme ils savaient si bien le faire. Fosm voulu faire la fière un bref moment :
   - Vous n’avez aucun intérêt à me garder en vie. Je ne dirais rien !
   Bref moment, car Flonn appuya davantage sur le bras du général et lui retourna un doigt en guise d’encas. Une fois que la vieille Ff eut fini de hurler et de se débattre, Flonn la tourna brutalement pour lui montrer Fiorana que Fondarfin tenait en joue. Non pas qu’il était vraiment nécessaire de la surveiller. Elle ressemblait à un zombie et n’aurait sûrement pas réussi à aller bien loin si l’envie lui avait pris de s’échapper.
   La jeune Ff prit la parole :
   - Elle a un peu changé, mais ça, c’est le précédent général qu’on a pris en otage. Elle nous a déjà dit tout ce qu’on voulait savoir, alors tu ne nous sers plus à rien de ce coté-là. Par contre, nous avons besoin de toi pour demander au reste de la flotte de se calmer. Si tu le fais, on s’éloignera d’ici et on te jettera dans le vide vite fait, bien fait. Si jamais nos amis à bord du VG-13 devaient mourir, non seulement tu remplacerais Fiorana comme mon petit défouloir personnel, mais crois-moi que je te rendrais visite beaucoup plus souvent…
   Fosm déglutit. Fant chercha à l’encourager un peu :
   - Allons, tu mourras de toute façon. Le VG-13 est presque vide. Sauver les quelques sauvages qui s’y trouvent en échange d’une mort rapide, ce n’est plus vraiment de la trahison.
   La vieille femelle hésita un instant. Puis son regard rencontra celui de Flonn.
   - C’est bon ! Si vous voulez ! Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?
   Fant soupira de soulagement :
   - Bien. Tu vas contacter les autres cuirassés et leur demander de cesser le feu. Pour ne pas que ça ait l’air trop bizarre, tu vas leur dire que le VG-13 n’est qu’un leurre et que tu as des preuves que des sauvages ont réussi à s’infiltrer dans l’un des cuirassés. En attendant de pouvoir déterminer lequel, ils doivent tous rester immobiles.
   - Vous n’allez pas les détruire, au moins ?
   Flonn intervint :
   - Ta gueule, la vieille ! On les détruira si on en a besoin. En attendant, fais ce qu’on te dit tant qu’il reste quelque chose à sauver.
Un peu tremblante, le général s’exécuta, lançant quelques regards terrifiés vers Fiorana. La pauvre était d’une maigreur à faire peur. Elle se tenait tête basse et n’osait prononcer un mot. Son corps portait de nombreuses traces de coups et tous les doigts de ses mains étaient cassés. Il lui manquait même quelques ongles. On avait peine à reconnaître la petite jeunette toute pleine de vie qui commandait encore un cycle plus tôt.
   Fosm tâcha d’empêcher sa voix de trembler lorsqu’elle donna l’ordre. Juste après, tous purent constater par la verrière que les tirs s’arrêtaient. S’en rendant compte, l’équipage du VG-13 cessa également de combattre. Dans le couloir, quelques tirs de pistolaser résonnèrent, indiquant que les peinturlurés étaient en train de prendre leur pied. Flonn croisa les bras et se tourna vers Fant :
   - Bon. Maintenant, il faut trouver un moyen de les ramener à bord…
   La séquence de réflexion intense fut interrompue avant même de commencer. Des coups sourds se mirent à résonner dans toute la carlingue et les chocs firent vibrer le sol. Levant les yeux, Fant n’aperçut rien venant du dessus, mais vit quand même que des boulets allaient heurter le sol. Flonn comprit immédiatement :
   - Le cuirassé qui est en dessous de nous !
   Puis, se tournant vers l’otage :
   - Salope ! Tu leur as donné un ordre codé !
   - Je vous jure que non ! Ils ont dû se douter de quelque chose.
   Fosm faisait de son mieux pour avoir l’air crédible, mais la jeune furie ne sembla pas la croire.
   - Si jamais on s’en tire, je te jure que je n’en ai pas fini avec toi…
   Puis, le général étant devenu inutile, elle lui envoya son coude en pleine figure. La vielle Ff fit un demi-tour sur elle-même avant de tomber face contre terre, inconsciente. Fondarfin parla alors :
   - C’est une catastrophe. Ils se trouvent en dessous de nous, donc leurs boulets touchent nos pales. Les hélices ne sont pas faites pour résister à de tels choc. Un mauvais coup et nous partons nous écraser au sol !
   Fant se mit alors à paniquer et se rua sur les commandes :
   - Il faut qu’on bouge d’ici tout de suite !
   Mais avant qu’il ait pu faire quoi que ce soit, Flonn le retint :
   - Attends !
   - Quoi ?
   Le jeune mâle n’avait qu’une envie, celle de partir d’ici sans tarder. Mais Flonn n’appréciait pas qu’on lui désobéisse, alors il tâcha de se calmer pendant qu’elle réfléchissait, les yeux fermés. Dehors, les autres cuirassés abandonnaient le VG-13 et tournaient leurs tirs sur le cuirassé général de Fosm et les quelques spider-fly qui essayaient de le fuir. Ne sachant trop quoi faire, les artilleurs de bord se mirent à riposter, pensant probablement qu’une révolte avait lieu. Malgré tout, la situation semblait très mauvaise.
   Flonn finit par sortir de son mutisme et rouvrit les yeux :
   - Il est ici.
   - Qui ça ?
   - F, le salopard qui était au village.
   - Hein ?
   Le Ff ignorait comment son amie était arrivée à cette conclusion, mais ça se tenait. Fosm n’avait pas semblé passer le moindre code à ses troupes. Quelqu’un avait pris l’initiative d’attaquer le vaisseau, quelqu’un qui avait l’autorité pour se faire obéir de quatre colonels. S’infiltrer à bord n’avait pas été difficile et Fant ne connaissait qu’un seul impérial capable de sacrifier un vaisseau général entier pour attirer ses proies dans un piège. En le comprenant, il se jeta sur le poste de transmission et lança un message sur toutes les fréquences, pour être sûr que tout le monde le capterait.
   - F ! Je sais que tu es là. J’ai un marché à te proposer. Crois-moi, tu ne veux pas détruire ce cuirassé avant de m’avoir entendu.
   Un long silence lui répondit, mais les tirs finirent par cesser. Fondarfin demanda :
   - Tu veux lui proposer quoi ?
   - Je n’en sais rien. Il faut qu’on trouve un truc.
   Flonn reprit :
   - On va gagner du temps. Fondarfin, profites-en pour aller jeter un coup d’œil aux moteurs. J’ai de graves soupçons. Et n’oublie pas ton communicateur !
Sans trop comprendre, le vieux Ff décida d’obéir sans hésiter et quitta la passerelle au pas de course. Fant comprit :
   - Tu penses qu’il a piégé les moteurs ?
   - Il n’est pas du genre à nous laisser la moindre chance de nous échapper. A sa place, j’aurai piégé soit les moteurs, soit le poste de pilotage. Il y avait quelqu’un au poste, donc c’est les moteurs. Ca m’étonnait que ce cuirassé n’ait pas bougé en voyant arriver le VG-13 droit sur lui.
   Le Ff en resta comme deux ronds de flan. Décidément, que ferait-il sans elle ?
   A ce moment, un spider-fly se hissa juste devant la verrière. A cette distance, ni Fant, ni Flonn n’eurent de mal à reconnaître le Ff aux yeux violets qui se trouvait aux commandes et qui leur adressait un joyeux coucou.
   La jeune Ff eut alors une idée :
   - Fant, ouvre le contact avec lui et donne-lui rendez-vous dans un hangar où il n’y a pas trop de monde. J’emmène Fiorana. Et que personne ne touche au poste de pilotage !

   Sur le chemin vers le hangar, Flonn reçut un appel de Fondarfin.
   - Flonn ? Quoi qu’il se passe, dis bien à Fant de ne surtout pas essayer de déplacer le cuirassé !
   - Déjà fait. Les moteurs sont piégés ?
   - Ils sont à la limite de la surchauffe. A la moindre sollicitation, même infime, ça fera comme le dôme 984.
   - D’accord. Tu peux réparer ça ?
   - Sans problème, mais ça peut prendre du temps pour que les moteurs refroidissent.
   - Alors commence tout de suite et préviens Fant dès qu’on peut dégager.
   - D’accord.
   Repassant son communicateur dans la ceinture de son pagne, la jeune Ff accéléra le pas. Elle n’était pas trop sure de ce qu’elle allait raconter à F, mais il allait falloir gagner le plus de temps possible.

   Flonn, accompagnée de Fiorana et du Gg qui devait servir de pilote remplaçant, arriva enfin dans le hangar. Dans les couloirs du vaisseau, ça paniquait sec. Personne ne savait ce qu’il se passait et beaucoup s’énervaient. La femelle les avait calmés vite fait.
Le hangar était désert. C’était bien, parce qu’il n’y aurait pas besoin de le nettoyer, mais c’était aussi moins bien, parce que F aurait dû s’y trouver. Son communicateur bipa alors :
   - Mademoiselle ? C’est vous qui allez me proposer le marché ?
   La femelle regarda tout autour d’elle. Il n’y avait nul part où se cacher dans ce hangar. D’où pouvait-il la voir ?
   - Non, non, pas à l’intérieur. Regardez dehors.
S’approchant du bord, Flonn repéra effectivement le spider-fly qui faisait du sur-place non loin. Elle décrocha le communicateur :
   - Pourquoi tu ne te poses pas ?
   - Allons, vous me prenez pour une truffe ? Il a déjà dû vous apparaître que je n’étais pas vraiment le dernier des abrutis. D’ici, je vois parfaitement tout ce que vous pourriez me proposer. Je dois d’ailleurs vous avertir que ça a intérêt à valoir le coup. Venant de quelqu’un d’autre que Fant, je n’aurai même pas pris la peine d’écouter. Mais il est malin, ce petit. Il sait que certaines choses peuvent me faire oublier momentanément mon devoir envers l’Empire. De quoi s’agit-il ?
   Flonn inspira un grand coup et tira son otage à ses cotés :
   - Si tu détruits ce vaisseau, tu la tues aussi…
   A bord de son spider, F plissa les yeux pour mieux voir.
   C’est pas vrai… Ce n’est quand même pas…
   Histoire de confirmer, Flonn passa son communicateur à Fiorana :
   - Vas-y, dis-lui quelque chose. Et soit convaincante, parce que sinon, dis-toi bien que tes malheurs viennent à peine de commencer.
   A ces mots, Fiorana sembla se réveiller. Elle saisit avidement le communicateur et leva des yeux implorants vers F :
   - Founi ! Tu dois me faire sortir d’ici ! Je t’en prie, je n’en peux plus… S’il-te-plaît…
   Le reste fut noyé dans des sanglots fort peu cohérents, aussi Flonn reprit l’outil :
   - Alors ? Si tu nous laisses partir, on te la rend. Sinon, elle va mourir que tu gagnes ou pas. Et si jamais on s’en tire, crois-moi qu’elle va souffrir.
   F en eut le souffle coupé. Jamais il n’aurait pensé que les sauvages iraient jusque là. Fant lui avait fait l’effet d’un type paumé, capable d’innovations à défaut d’être très malin. Il était sûrement prêt à beaucoup de sales coups, mais de là à transformer Fiorana à ce point… Je l’ai déjà décrite un peu plus haut, alors je ne reviendrais pas dessus, mais avec le regard implorant et alors qu’elle sanglotait, le tableau empirait encore.
Un instant, F cru qu’il s’agissait d’un canular, que ce n’était pas le vrai général qui était en face de lui dans ce piètre état et toute dignité oubliée. Mais non, il aurait reconnu sa voix et ses yeux entre mille. Bon sang, mais qu’est-ce qu’ils avaient bien pu lui faire ?
   Cette vision lui déchira le cœur. S’il acceptait le marché, il aurait trahi sans moyen de le cacher et il faudrait quitter définitivement l’Empire Métallique. Bien sûr, il pourrait tenter de berner l’ennemi, de lui faire croire qu’il acceptait et une fois sa douce en sécurité, il repartirait à l’attaque. Mais connaissant Fant, ça ne se passerait jamais ainsi. Les deux adversaires mettrait au point un système d’échange compliqué qui assurerait que les deux camps soient satisfaits. Impossible de tricher, donc…
   Fiorana valait-elle vraiment qu’il sacrifie toute sa carrière ?

   Et là, vous remarquerez avec joie que je suis un auteur sympa ! Car voilà que devant vos yeux ébahis, la saga de Histoire de l’Empire Métallique devient interactive : Non, vous ne rêvez pas, Mesdames et Messieurs ! Vous allez avoir un choix à faire ! Un choix qui va influencer la suite du récit et tout et tout !
   Ce choix, le voilà :
   Quelle décision va prendre F ?
   1- Va-t-il de façon honteuse et nombriliste faire passer sa carrière avant tout le reste et jeter la vie de son ex aux orties (plongeant par là même nos héros dans une merde dont ils auront un mal fou à se sortir) ?
   2- Ou préférera-t-il noblement sauver sa princesse, permettant à nos héros de s’enfuir sans problème et enlisant la suite du récit dans l’ennui le plus total ?
   Pour le choix 1, passez au chapitre 7. Pour le choix 2, continuez au 6.

6) Chapitre sans intérêt

   Non, ne me dites pas qu’il existe des abrutis parmi mes lecteurs qui ont pu faire un choix aussi naze ! Oh, c’est pas vrai ! Bon, ben je n’ai qu’une parole, alors on va développer ce qui ce serait passé si F avait accepté l’échange.

   Flonn et F discutèrent un long moment pour trouver une méthode qui assurerait aux deux parties qu’aucune ne puisse tricher. Je pourrai vous faire une longue description de la technique employée, mais non seulement vous en avez marre de lire de longues descriptions stériles, mais en plus, je n’ai pas envie de me casser le cul à réfléchir à un tel procédé.
   Donc, F fut tout content de retrouver sa chère Fiorana et les sauvages purent partir avec leur tout nouveau cuirassé. En arrivant à la ville G-13, ils tombèrent dans l’embuscade préparée par Mordir et ne purent en réchapper. Ce fut la fin de Fant et de ses compagnons. De leur coté, Founi et Fiorana s’installèrent en pleine jungle et se bâtirent une petite cabane jolie dans un arbre, d’où ils avaient une très belle vue sur l’une des nombreuses cascades qui coulent à l’infini. Ils se marièrent et vécurent d’autant plus heureux qu’ils n’eurent jamais d’enfant.

   Voilà, vous êtes contents ? Vous constatez que ce choix n’amène qu’à une suite d’événements sans intérêts et à une fin débile ? Félicitations, vous choisirez mieux la prochaine fois. En attendant, et pour ne pas rester sur l’impression que les fins de mes histoires sont pourries, je vous suggère très fortement de reconsidérer votre choix et d’aller lire le chapitre 7 comme toute personne normale l’aurait fait.

7) Conséquences d’un choix sadique (de la part du lecteur)

   Bien entendu, l’âme humaine (où l’âme Ff, mais les plus perspicaces d’entre vous auront pu se rendre compte qu’il n’y a guère de différence) est ainsi faite qu’on a toujours tendance à privilégier la réussite professionnelle au simple bonheur. Aussi F hésita moins longtemps qu’il ne l’aurait cru et ralluma le micro de son casque :
   - J’ai pris ma décision…
   Dans le hangar, il vit la Ff sauvage se raidir.
   - Et quelle est-elle ?
   F jeta un dernier regard sur Fiorana. Certes, il l’avait aimée. Certes, la voir dans cet état lui faisait mal au cœur. Mais d’un autre coté, c’est comme si elle était déjà morte. Et ça lui ferait encore plus mal de laisser les responsables s’évader.
   Il détourna donc les yeux de son ancien amour pour les ramener sur Flonn et s’adressa au reste de sa flotte d’une voix qui se voulait totalement dénué d’émotion.
   - Colonel Fera, reprenez le bombardement. Les autres cuirassés, concentrez votre tir sur le cuirassé général.
   Il évita de regarder le général déchu, mais garda soigneusement les yeux fixés sur Flonn. Dès que les impacts de boulet se firent à nouveau entendre, la Ff le regarda en écarquillant les yeux. A ses cotés, et bien que l’enquêteur spécial faisait tout pour ne pas le remarquer, la captive se mit à trembler comme une feuille, les yeux emplis d’horreur alors qu’elle fixait l’homme qui venait de la trahir.

   Flonn n’en revenait pas. Pourtant, elle était sûre que la vision du général dans cet état aurait pu briser n’importe quel cœur de pierre, sauf peut-être le sien. Et pourtant, elle voyait toujours F dans son spider-fly, les yeux impunément braqués sur elle.
   La jeune Ff tâcha alors de se reprendre et, affermissant sa prise sur le bras de Fiorana, elle parla à nouveau dans le communicateur :
   - J’en déduis que la réponse est non. Alors laisse-moi t’adresser un dernier message.
   La jeune fille leva le pied contre le dos de sa captive et la pressa brutalement en avant.

   Dans un hurlement qui s’entendit jusque dans le cockpit de F, Fiorana disparut dans le vide. Le mâle ne put conserver son air impénétrable et béa d’horreur. Relevant les yeux, il constata que la femelle aux yeux verts pointait un pistolaser dans sa direction. Etouffant un juron, F plongea aussi vite qu’il put. Un choc lui apprit que son appareil avait été touché, mais le simple fait qu’il puisse encore s’en rendre compte signifiait que le tir n’avait pas touché de zone importante. S’éloignant du cuirassé ennemi, il constata qu’il n’aurait pas à attendre bien longtemps avant que celui-ci n’aille s’écraser dans la jungle au-dessus. Lui qui se faisait une joie à l’idée d’apprécier ce moment en direct. Il attendait désormais la Chûte de Fant et de sa compagne avec d’autant plus d’impatience, mais le plaisir avait disparu. A la place se trouvait une colère froide, mais intense.

   Sur la passerelle, Fant paniquait. Les trois peinturlurés continuaient de massacrer tous les abrutis qui tentaient d’atteindre la passerelle, mais leurs cris de joie avaient cessés, signe que la fatigue se faisait sentir. Par la verrière, le Ff voyait les trois cuirassés s’approcher. L’un d’eux canardait déjà. Non pas que ça changeait grand chose. Avec le quatrième juste en dessous qui bombardait dans les pales et l’impossibilité de se déplacer, les autres cuirassés faisaient un peu figuration. Mais de la figuration qui augmente encore le stress.
   La porte de la passerelle finit par s’ouvrir sur une Flonn essoufflée.
   - Tiens ? Fiorana n’est plus avec toi ?
   - Non. Elle essaye en ce moment même d’apprendre à voler.
   - Pas mal. Ca veut dire que les négociations ont foiré ?
   - Perspicace…
   - On gère comment ?
   - Minute, j’y réfléchie…
   La réflexion fut interrompue par un appel de Fondarfin :
   - Je ne sais pas ce que vous foutez de votre coté, mais du mien, tout va bien. Le moteur est réparé et j’ai engagé du personnel. Ils pensent tous que les sauvages se sont emparé des autres cuirassés et j’ai évité de les détromper.
   Fant n’attendit même pas la fin de la phrase avant de se jeter sur les commandes. Avec lenteur, le gigantesque cuirassé commença à bouger. Flonn résuma la situation en marmonnant :
   - Bon, on peut bouger, mais on est toujours en plein bombardement et trois autre vaisseaux nous tirent dessus. Si les pilotes de spider-warrior dans les hangars raisonnent comme les copains de Fondarfin, nous avons une défense temporaire. Avec les moteurs à pleine puissance, on doit pouvoir distancer le cuirassé qui nous bombarde, mais on n’y arrivera pas tant que les autres nous ralentiront en nous tirant dessus…
   Apparemment, Flonn était dans sa grande phase de réflexion. Fant se garda bien de la déranger et tâcha d’éloigner le vaisseau. Peine perdue. Un deuxième cuirassé était maintenant en position pour leur tirer dessus allégrement et le troisième se rapprochait. La jeune fille s’était tu et gardait les yeux fermés. Ne sentant pas trop le coup, Fant décida de précipiter un peu les choses :
   - Alors ?
   Flonn rouvrit les yeux :
   - Alors rien.
   - Rien ?
   - Non, rien.
   - C’est bien gentil, mais ça m’a l’air fort peu, ça.
   - Et bien écoute, puisque tu veux tellement t’en tirer, je t’invite à réfléchir toi aussi à un moyen d’évasion.
   Le jeune mâle tâcha de réfléchir. Après tout, avant que Flonn n’arrive, il avait été capable de jolies choses, enfin souvent avec de la chance… Indubitablement, Flonn était plus maligne que lui. Elle avait donc sûrement déjà pensé qu’il était inutile de larguer quelque chose sur le cuirassé d’en dessous… Oui, elle y avait déjà pensé. On ne trouverait rien à bord de non métallique et de suffisamment lourd.
   Non, ce n’était pas la bonne façon de penser. Il fallait penser d’une façon qui échapperait à Flonn. Là où la femelle cherchait à se venger en réfléchissant logiquement, Fant avait toujours préféré chercher à survivre de toutes les façons possibles, même illogiques. S’échapper en spider-fly ? Mauvaise idée. Sans le cuirassé, la ville G-13 ne pourrait plus être défendue. De plus, les ennemis visaient avant tout les spider-fly qui cherchaient à s’échapper. Fort peu avaient survécu parmi ceux qui avaient essayé. Le regard du Ff tomba alors sur le VG-13, toujours inerte à quelque distance sur bâbord. Comme le cuirassé fuyait, le VG-13 était en train de disparaître de la verrière, mais cette rapide vision alluma quelque chose dans l’esprit de Fant.
   Il se retourna vivement vers son amie, toujours concentrée :
   - Flonn ! J’ai trouvé !
   Interrompant ses pensées, elle regarda Fant d’un air étonné, puis suivit son regard vers bâbord. De là où elle se trouvait, elle ne voyait plus rien du VG-13, mais elle le savait dans cette direction. Fronçant les sourcils, elle commença une question :
   - Et comment veux-tu utili…
   Une pensée assez peu agréable venait de lui traverser les neurones.
   - Tu ne penses quand même pas à la même chose que moi ?
   - A voir ta tête, je dirais que si.
   - Mais enfin, tu n’y songes pas ! Je sais que nous sommes en danger, mais…
   - Mais nous avons une chance de nous en tirer, exactement ! Et tant qu’il me reste des chances, j’ai pris l’habitude de les saisir. Question : tu préfères détruire l’Empire Métallique et venger le village ou mourir ici en ayant conservé une bonne conscience ?
   Une rapide réflexion permit à Flonn de considérer que la première solution n’était pas si mauvaise que ça. Cette réflexion fut facilitée et grandement accélérée par le bruit des boulets qui continuaient de percuter la coque inférieure.
   - Vas-y, fais comme tu veux.

   Quelques secondes après, le contact Gg à bord du VG-13 recevait une transmission sur son communicateur.
   - Allo ?
   - Ici Fant. L’opération ne se passe pas comme prévu. Nous avons besoin que vous bougiez de là où vous êtes.
   - Pardon ? Mais enfin, la passerelle est dévastée. Nous n’avons aucune chance d’initier un déplacement.
   - C’est con pour vous parce que si vous ne bougez pas, vous êtes morts. Nous, on a pu se barrer, mais maintenant les ennemis vont se déchaîner sur vous. Tracez en ligne droite, qu’importe la direction. Vous devriez pouvoir démarrer depuis la salle des moteurs.
   - Mais on ne pourra jamais les semer !
   - Raison de plus pour démarrer sans tarder. Plus vous attendez, moins vous avez de chances.
   - Ok, ok ! On y court !

   Plusieurs longues minutes plus tard, le VG-13 se décidait enfin à bouger sa carcasse et presque aussitôt, percutait de plein fouet l’un des cuirassés qui poursuivaient nos héros. Le choc déclencha un vacarme d’apocalypse et entraîna des crissements métalliques à vous faire griller le processeur. Poussés par la force cinétique, les deux cuirassés emboîtés l’un dans l’autre continuèrent sur leur lancée et percutèrent un troisième vaisseau qui tâchait de contourner son collègue pour atteindre les fuyards. Le son fut légèrement assourdi, mais s’entendit néanmoins à des kilomètres.
   Depuis son spider-fly, F fut violemment secoué par l’onde de choc. Devant lui, les trois mastodontes volants remontaient vers le sol. Bien que leur vitesse fut très élevée, la taille de l’ensemble donnait l’impression de se déplacer au ralenti. Le Ff cru que son cœur allait s’arrêter de battre en voyant les carcasses se diriger vers le city-dôme. Finalement, ils s’écrasèrent bien avant de l’atteindre et dérapèrent sur le coté, frôlant la surface métallique et déclenchant de nouveaux crissements insupportables. Sur tout le trajet du dérapage, des arbres furent déracinés et des tonnes de matières végétales se détachèrent, tombant sous les yeux de l’enquêteur spécial. Le tas de ferraille finit par s’arrêter et disparut dans un nuage de poussière. Jamais F n’aurait cru, le jour où il avait pris la décision de chasser Fant, que cela l’amènerait à assister à tel spectacle. Cette lutte prenait jour après jour des dimensions de plus en plus dantesques.
Se retournant, il aperçut le cuirassé général qui prenait le large. Les tirs du simple cuirassé restant n’arrivaient plus à le ralentir et le bombardier se faisait distancer. L’ennemi avait échappé au plan A. Comme il échapperait sûrement aussi au plan B, il allait falloir lancer le plan C. Celui-là avait intérêt à fonctionner parce que c’était le dernier.
   F alluma le communicateur intégré dans son casque et le régla sur une fréquence spéciale :
   - Plan C. Tu peux y aller.

   Une fois hors de danger immédiat, Flonn lança un appel dans tout le vaisseau, racontant que des saboteurs avaient réussi à s’infiltrer à bord, qu’ils avaient été vaincu, que tout était rentré dans l’ordre, mais qu’ils avaient peut-être placé des bombes à bord et que tout l’équipage était prié de se secouer pour trouver ces bombes. Fondarfin et son équipe temporaire de techniciens furent sollicités à divers endroits pour désamorcer des bombes qui avaient effectivement été placées ici et là.
   Fant ne put cacher son admiration :
   - Comment tu savais qu’il y aurait des bombes ?
   - La dernière fois, ce type avait prévu un plan à tiroirs. Si un piège ne marchait pas, un suivant se trouvait derrière. On a échappé à son plan A, c’était sûr qu’il y aurait un plan B.
   - Et tu crois qu’il a un plan C ?
   - Pour l’instant, seules les bombes me viennent à l’esprit. Je ne vois pas trop ce qu’il aurait pu préparer d’autre… Peut-être une flotte qui nous attend sur le chemin du retour. Dans le doute, on fera un détour pour rentrer et on se tiendra prêt. Dès qu’on aura récupéré les autres là où on les a laissé, on fait le ménage et on vérifie tout ce vaisseau de fond en comble.
   Par « faire le ménage », Fant savait très bien ce que Flonn voulait dire. C’est bizarre, elle semblait avoir très bien accepté le sacrifice du VG-13 et des volontaires qui s’y trouvaient. Le jeune Ff n’aurait aucun besoin de lui dire de ne pas en parler aux autres. Apparemment, elle s’était décidé à considérer ses alliés comme sacrifiables à l’avenir. D’un certain coté, cela la rendrait d’autant plus utile à la cause, mais Fant espérait ne jamais se retrouver dans la mauvaise catégorie d’alliés. Il commençait à comprendre pourquoi le reste du commando avait peur de Flonn. Il allait falloir se méfier. D’autant qu’elle-même devait maintenant se méfier de lui aussi…

*****

   Se reposant sur le dossier de son siège, Fyctio s’épongea le front et souffla un grand coup. Ni lui ni aucun de ses camarades ne savaient précisément ce qu’il venait de se passer, mais apparemment, ils étaient tirés d’affaire à présent. Une annonce venait d’être passée dans tout le cuirassé annonçant que les saboteurs étaient hors d’état de nuire. Tout allait revenir à la normale. Les cuirassés alliés s’étaient retourné contre eux, mais par chance, ce hangar n’avait pas été très touché. On dénombrait seulement trois victimes.
   Fyctio finit par ouvrir la trappe au sommet du cockpit et se hissa entre les pattes de son spider-warrior. Autour de lui, les autres membres de son unité faisaient de même et s’envoyaient des félicitations d’une machine à une autre. Au loin, le Ff aperçut son capitaine qui descendait de son propre spider-warrior par une échelle. Fyctio étant un Ff, il se passa d’échelle et sauta souplement au sol, bien trois mètres plus bas. Il avait déjà participé à une attaque contre un village Ff, mais il avait l’impression de n’avoir vécu sa première bataille qu’aujourd’hui. C’était beaucoup plus impressionnant de savoir qu’on pouvait servir de cible d’un moment à l’autre. Vue ainsi, la survie semblait plus dépendre de la chance pure que des talents de pilote. Heureusement que c’était fini.
   Fyctio se dirigea à son rythme vers la porte du hangar. De nombreux pilotes faisaient comme lui, mais d’autres restaient perchés sur leur machine, discutant de vive voix de ce qu’ils venaient de subir.
   Vous devez vous doutez que si je vous présente ainsi un soldat de l’Empire parfaitement inconnu, ce n’est pas pour décrire en long, en large et en travers le passage dans les vestiaires, la douche collective et les discutions qui s’en suivent avant d’aller se coucher après une dure journée. Non. Il y a des conventions narratives qui sont inévitables, même pour un auteur tel que moi qui fait tout pour être original. Vous savez donc à l’avance que le dénommé Fyctio va être témoin d’un événement important et qu’il n’y survivra pas.
   En effet, au moment où il allait atteindre la porte, une rumeur naquit derrière lui. Se retournant, le soldat aperçut par l’ouverture du hangar qu’un spider-fly approchait au loin. Le capitaine ouvrit son communicateur pour interroger la passerelle. Jusque là, rien d’inquiétant. Tout le monde attendit, prêt à réagir si l’ordre leur en était donné. Il le fut.
   - Tous à vos appareils ! Ce spider-fly n’apparaît pas sur les détecteurs et il ne communique pas. Il va sûrement essayer de se poser dans l’un des hangars.
   A vrai dire, le véhicule non immatriculé n’avait aucune chance de se poser. Même les hangars les plus touchés avaient encore bien assez de défenseurs pour arrêter toutes les troupes pouvant être contenues dans un unique spider-fly, mais les soldats de l’Empire Métallique n’avaient pas pour habitude d’hésiter quand on leur donnait un ordre. Tout alla si vite que Fyctio n’eut même pas besoin de retourner dans son spider-warrior. L’ennemi avait choisi ce hangar-ci pour atterrir, ou plutôt pour s’écraser, vu la vitesse à laquelle il approchait. Mais sous les tirs croisés venant des différents autres hangars, l’appareil explosa en l’air, les restes remontant vers le sol. Malgré tout, Fyctio vit distinctement un gros objet non identifié partir vers le bas. Tout le monde l’avait vu et les tireurs aux commandes de leurs machines restèrent vigilants. Puis un sifflement de mauvaise augure se rapprocha de plus en plus. Et la chose qui avait disparue en bas revint s’écraser violemment au plafond du hangar, en plein milieu des spider-warrior pris au dépourvu. Le choc fit trembler le vaisseau et Fyctio perdit l’équilibre. Les engins qui se trouvaient au centre venaient de se faire pulvériser. Un lourd nuage de poussière recouvrit la scène, mais le Ff vit une énorme silhouette se déployer au plafond, au centre du nuage de débris. Un monstrueux hurlement à déchirer les tympans retentit dans le hangar. Terrifié, Fyctio recula sur le derrière. Tout autour de lui, c’était la confusion. Certains hurlaient, d’autre se préparaient au combat, sortant leur pistolaser. Pour sa part, le soldat mâle tenta de se relever tant bien que mal. De là, il se déplaça vers la sortie, tâchant de ne pas faire attention au chaos indescriptible qui régnait derrière lui. Il entendait du métal crisser, ployer et se briser. Il entendait des tirs de pistolaser. Il entendait les cris de ceux qui se faisaient attraper par la chose.
   Fuyant vers la porte accompagné de nombreux autres soldats qui comprenaient que l’honneur de servir l’Empire ne valait pas le coup de rester sur place, Fyctio vit un spider-warrior heurter violemment le sol à quelques mètres de sa position, emportant plusieurs hommes et femmes avec lui et retournant s’écraser au plafond. Derrière, il entendait maintenant ce qui ressemblait à des pas lourds, traînants qui lui rappelèrent des cauchemars d’enfance oubliés depuis une éternité.
   Arrivé à la porte, il constata que c’était la bousculade. Les portes, pourtant larges, ne permettaient pas l’accès à tous les soldats qui tentaient de s’y engouffrer. Le capitaine criait des ordres que personne n’écoutait :
   - Ca suffit ! Souvenez-vous de l’entraînement ! Restez en formation ! Dégainez et tirer !
   Cette suite d’ordres particulièrement mauvais pour le self-contrôle de ceux qui tentaient de conserver leur santé mentale fut heureusement très vite interrompue quand la vieille Gg qui les proférait se retrouva écrasée sous un demi spider-warrior dont le pilote partait s’écraser sur le mur. Cette vision n’arrangea pas plus la situation que les hurlements de la chose responsable du massacre.
   En se retournant, Fyctio constata que de nombreux soldats courageux tentaient de lui tirer dessus, mais la bête ne semblait pas affaiblies par les tirs et se protégeait derrière les nombreux spider-warrior qui l’entouraient. Le Ff eut un bref aperçu d’une créature mi-métallique, mi autre chose, mais il n’eut guère le loisir de contempler davantage car son regard fut attiré par un détail moins intéressant pour le lecteur, mais qui concernait beaucoup plus notre témoin : un énorme spider-warrior, projeté on ne sait comment, qui entama une glissade à vive allure sur le sol du hangar, le pilote hurlant en essayant de s’extraire de l’habitacle. Là où ça devint amusant, c’est quand l’engin percuta la foule qui essayait de s’échapper, broyant Fyctio comme un limaçon et s’encastrant dans les portes, ce qui boucha toute issue pour les pauvres condamnés qui n’avaient pas encore péri.
   Je rassure tout de suite les lecteurs inquiets, les rares soldats impériaux qui avaient réussi à quitter cette pièce ne furent sauvé que le temps que Fant et Flonn fassent monter à bord l’armée sauvage qui les attendait dans la jungle. Après quoi, ceux qui ne moururent pas d’une blessure infligée par pistolaser furent tout simplement balancés dans le vide et le commando G-13 prit la route du retour, tout content de son nouveau jouet et inconscient du plan C de F qui venait de monter à bord…

8) Bref repos

   - Y a pas à dire, c’est un sacré foutoir !
   Cette observation particulièrement intelligente sortait bien entendu de la bouche de Fant. Mais il est vrai que n’importe lequel des peinturlurés aurait pu sortir la même chose. Le « sacré foutoir » en question était le hangar dans lequel s’est finit le chapitre précédent. On pouvait y trouver de nombreux spider-warrior retournés ou explosés au plafond, des cadavres dans le même état au sol et quelques traces de dérapages sur le sol et le plafond qui n’avaient pu être causées que par les carcasses de spider-warrior. Quelques Ggs faisaient le ménage, mais le cœur n’y était pas.
   Le cuirassé avait correctement retrouvé le reste de l’armée sauvage là où on l’avait laissée et tout le monde s’était installé dans le VG-132 comme s’il s’était agi du précédent cuirassé général. Afin d’éviter qu’il se produise la même chose qu’avec Fiorana, Fant avait attendu que Flonn parte aider les sauvages à nettoyer le vaisseau pour balancer discrètement le général Fosm dans le vide. La jeune Ff ne semblait pas encore s’être aperçu de la disparition. Pour l’instant, le commando au grand complet se tenait dans le hangar où on les avait appelés d’urgence. Quelque chose s’était passé ici, mais il était difficile de deviner quoi pour qui n’a pas lu le précédent chapitre.
   Gemp et Garlic était trop occupés à essayer de se retenir de vomir pour pouvoir établir une hypothèse qui tienne la route. Fondarfin ne savait pas trop quoi penser, un peu perdu au milieu de cette dévastation. Fant, Ger, Gunat et Guissiquil semblaient s’en foutre complètement. Seule Flonn se faisait du mouron.
   - Ca m’inquiète. Je sens le coup en traître…
   Fant intervint :
   - Mais non, voyons ! On a retrouvé des bombes un peu partout à bord de ce vaisseau. C’était normal d’en rater une ou deux.
   - Toutes les autres étaient à proximité d’endroits stratégiques. Leur explosion nous aurait gravement handicapés. Ici, on ne perd que quelques machines que nous avons déjà en stocks largement suffisants. Et tu as vu la porte ? Elle est à moitié défoncée. Je suis persuadée qu’un spider-warrior s’y est encastré. Regarde au plafond, on voit presque la forme de la porte sur cette épave. Ca m’étonnerait qu’elle se soit dégagée toute seul.
   Le jeune mâle était moyennement convaincu, mais il n’eut guère l’occasion de réfléchir davantage à la question, car la voix suraiguë de Garlic retentit :
   - Excusez-moi. Il y a quelque chose que je voudrais savoir. Pourrions-nous discuter dans le couloir ? Cet endroit me met mal à l’aise.
   Tout le monde suivit sans rechigner, mais Flonn se tourna une dernière seconde vers la salle. Non, une explosion n’aurait pas fait ça. Quelque chose avait tout projeté avec force, mais une détonation aurait laissé des traces de brûlures. Effectivement, tout le monde à bord du vaisseau avait ressenti une secousse peu de temps après la fuite de la bataille. Sur le moment, ça avait ressemblé à un boulet heurtant la coque. Quelque chose avait-il pu s’écraser dans ce hangar ? Si c’était le cas, il s’y trouverait encore. Un spider-bot ? Une si petite machine n’aurait pas causé tant de dégâts. Quelque chose de plus gros alors. Mais si c’était une machine, pourquoi personne ne l’avait croisée dans les couloirs ?
   Flonn abandonna momentanément ses réflexions pour suivre le reste du groupe. Il faudrait fouiller ce vaisseau de fond en comble une fois retourné à la ville G-13.

   La jeune Ff arriva dans le couloir au moment où Garlic posait sa question :
   - J’aimerai savoir ce qui est arrivé au VG-13. Vous nous avez dit que vous aviez dû fuir, mais vous n’avez quand même pas abandonné nos compagnons ?
   Fondarfin et le pilote Gg ne s’étaient pas trouvé sur la passerelle. Aucun des deux ne savait ce qu’il s’était réellement passé. Flonn hésita un instant à l’idée d’expliquer ce qu’ils avaient fait. Fant en profita :
   - Ils se sont sacrifiés.
   - Quoi ?
   La voix de Fant devint triste, presque sanglotante :
   - Nous nous faisions attaquer de toute part. Les ennemis avaient arrêté de leur tirer dessus. Ils auraient pu en profiter pour s’échapper de leur coté, mais ils ont dû comprendre que nous n’avions aucune chance de nous en tirer. Il est probable qu’ils aient décidé de faire passer la mission avant leurs propres vies. Toujours est-il qu’ils ont démarré et qu’ils sont rentrés en collision avec deux cuirassés ennemis. Les trois vaisseaux ont été détruits. Flonn a tout suivi sur les radars.
   Un profond silence suivit cette déclaration. Tous affichaient une expression choquée. Fondarfin finit par se tourner vers Flonn :
   - C’est vrai ? Ils ont fait ça ?
   Elle-même était un peu secouée par ce mensonge et affichait clairement son désarroi. Voyant tout le monde la regarder, elle fut prise de court et bégaya un bref instant. Puis son regard rencontra celui de Fant. Il n’avait plus l’air triste du tout. Au contraire, il la fixait avec une intensité des plus dérangeantes, très dure. Ce regard la prit complètement par surprise. Elle était plus habituée à voir son ami avec le regard vide ou paniqué.
   - Euh… Je… Oui, c’est ce qu’il s’est passé. Je pensais que c’était accidentel, mais il est bien possible qu’ils se soient effectivement sacrifiés. En y repensant, ça semble plus logique.
   Tout le monde se détourna, convaincu par la prestation de la jeune femelle et anéanti par cette nouvelle. Le regard de Fant s’adoucit et il hocha la tête à l’intention son amie. Après quelques paroles idiotes du type « C’était vraiment des gens bien. » ou « Nous n’oublierons pas leur sacrifice. », le commando se sépara, toute pensée sur le massacre du hangar disparue. Fant et Flonn se retrouvèrent seuls. Elle le regarda d’un air interrogateur. Lui mettant une main sur l’épaule et sans détourner les yeux, il lui dit :
   - Tu voulais leur dire quoi ? Leurs amis sont morts et rien de ce que tu pourras dire n’y changera quoi que ce soit. Vaut-il mieux se faire mal voir d’eux ou leur donner des héros à adorer ?
   Plutôt que de répondre, Flonn baissa les yeux et demanda :
   - On m’a parlé de Mela et du frère de Garlic. Que leur est-il vraiment arrivé ?
   - Ils se sont sacrifiés pour me sauver et permettre la destruction du dôme… Tout comme l’équipage du VG-13.
   - D’accord. C’est noté.
   Elle venait enfin de cerner son ami. Cette façon de penser faisait peur, mais ça semblait logique. Le but ultime de la jeune Ff était la destruction totale de l’Empire Métallique. S’il fallait mentir pour y arriver, pourquoi pas ?
   Derrière elle, Fant avait repris son air d’abruti fini et s’éloignait en chantonnant.

*****

   C’était la merde… Qu’importe sous quel angle on regardait la situation, c’était vraiment le seul mot qui vienne à l’esprit de F. Le plan A était censé être parfait. Les plans B et C étaient de vagues solutions de rechange, mais rien ne disait que l’un ou l’autre marcherait avant que le nouveau VG-13 rentre à sa ville d’attache et rencontre la gigantesque armée assemblée par Mordir. Ce gros macaque allait en tirer toute la gloire et il en profiterait pour se débarrasser de l’enquêteur spécial. Autant être franc, même le plus mauvais Commandant de l’Empire réussirait à détruire un simple cuirassé impérial avec une armée de cette taille.
   F réfléchissait à ces détails dans un petit appartement discret du dôme principal de Fosm. Depuis trois memps, il avait passé son temps à voyager de dômes en dômes, vivant dans ce genre d’appartements loués, faisant de brèves intrusions dans le bâtiment militaire local pour rester renseigné sur la situation. Son statut d’enquêteur spécial lui avait permis de profiter de ces vacances pendant que la situation empirait à l’extérieur. Après la mort de Flunid, F avait compris que les généraux allaient devenir sérieux et qu’il avait assez attendu. Il se demandait maintenant s’il n’avait pas un peu trop attendu.
   F avait presque oublié la femelle Ff qui avait essayé de lui tirer dessus trois memps plus tôt, dans le village Ff. Sur le moment, il s’était dit qu’il devait s’agir d’une amie, voire d’une servante, de Fant. Maintenant, il se demandait s’il ne s’agissait pas du vrai cerveau derrière toute cette histoire. Elle avait eu un regard particulièrement antipathique dès la première rencontre, mais là, ça s’était carrément transformé en haine pure. Voilà qui pouvait motiver une guerre à si grande échelle. Peut-être Fant seul ne serait-il pas allé si loin.
   C’était particulièrement rageant de s’être planté de bout en bout. D’autant plus que maintenant, le gros Mordir allait en profiter pour garnir son CV, à moins que le futé général Fginn ne réussisse à tout retourner en sa faveur. A vrai dire, F se foutait royalement de qui s’en mettrait plein les poches avec cette histoire. Une chose était sûre, ce ne serait pas lui. Et ça, c’était pas bien.
   Cessant de tourner en rond, l’enquêteur spécial s’exhorta au calme en se pinçant l’arrête du nez. Il jeta un regard vers le paysage urbain à travers les stores et laissa un instant les ronronnements des véhicules le bercer. Il finit par s’asseoir en tailleur et prit sa position de réflexion préférée : un pied dans l’oreille. Ainsi placé, il se sentit plus à même de considérer froidement la situation. Rien ne disait que les plans B et C avaient tous les deux foiré. Peut-être le cuirassé sauvage n’atteindrait-il pas la ville G-13 et l’embuscade qui l’y attendait. Dans ce cas, il faudrait se trouver sur place pour s’assurer qu’on lui attribuerait bien la victoire. Oui, mais si le cuirassé arrivait à bon port, le lieu de la bataille ne serait peut-être pas forcément le meilleur endroit où se trouver. Dans ce cas…
   F eut un petit sourire. Il se souvenait d’une tactique amusante aux spider-chess, une tactique qu’il n’employait pas souvent sur le plateau et qu’il n’avait jamais eut besoin d’utiliser IRL (vous apprécierez que je fasse tout pour utiliser du vocabulaire geek afin que personne ne se sente perdu).
   Petit cours rapide sur les spider-chess : La pièce à protéger à tout prix était le premier conseiller de l’Imperator (l’Imperator lui-même étant réputé invincible, il était hors de question de l’utiliser comme pièce du jeu), mais cette pièce était aussi très mauvaise et pour la fuite, et pour l’attaque. Pour la protéger venait le garde du corps, pièce unique dans les deux camps et extrêmement puissante. Généralement, détruire le garde du corps ennemi revenait à assurer la partie. Beaucoup de joueurs débutants et même parfois confirmés s’acharnaient sur cette pièce en oubliant le véritable but. Certains utilisaient donc le garde du corps pour distraire l’attention de l’ennemi et piéger son conseiller par surprise. F poussait parfois le vice jusqu’à sacrifier son garde du corps pour pousser l’ennemi à laisser une ouverture. Jusqu’ici, il n’avait jamais raté son coup, à part une ou deux fois contre lui-même, mais l’ennemi avait alors semblé lire dans ses pensées. Mais une autre subtilité intervenait. Dans certaines parties où le joueur se sentait particulièrement en forme, le conseiller pouvait prendre son propre garde du corps. En gérant bien, le conseiller pouvait se retrouver en position de force. Quand on gagnait en utilisant une telle technique, dite de « l’araignée » (allez savoir pourquoi), le prestige n’en était que plus grand.

   Moins d’un huitième de journée plus tard, F quittait un hangar du dôme à bord d’un spider-fly soigneusement immatriculé pour être sûr qu’on le reconnaisse et partait droit en direction de là où s’était trouvé le City-dôme n°984. Tout le long du voyage, il serra dans ses doigts une figurine de garde du corps sculptée en forme de maki à la manière d’une araignée enserrant sa proie.

*****

   Le VG-132 était à peine arrivé sous la ville G-13 que le Gg responsable de la détection radar signala un problème :
   - Deux cuirassés impériaux immatriculés approchent depuis le Nord.
   Nos amis auraient préféré pouvoir faire un petit tour en vile avant de reprendre du service, mais la situation les en empêcha. Flonn ne put retenir un soupir de déception avant de lâcher :
   - Bon et bien allons à leur rencontre. Autant ne pas rester pile sous la ville.
   Gemp en profita pour faire part d’une impression :
   - Lors de la précédente attaque, les vaisseaux ennemis n’étaient pas immatriculés. Peut-être ceux-ci veulent-ils nous contacter. Et s’ils avaient un marché à nous proposer ?
   - Premièrement, je ne négocie pas avec l’Empire Métallique. Deuxièmement, il est beaucoup plus probable que ce soit un piège destiné à nous attirer. Voilà pourquoi nous nous arrêterons une fois suffisamment loin de la ville. Fant, demande à tes élèves de sortir en spider-fly histoire de faire une rapide reconnaissance des alentours. Si l’un d’eux aperçoit quoi que ce soit, qu’il nous prévienne.
   Tout le monde s’exécuta docilement. Flonn était avachie dans son fauteuil de commandement, semblant plongée dans un ennui incommensurable. Elle ne semblait pas très inquiète. Du moins pas avant que le responsable du radar ne rajoute :
   - J’en détecte cinq de plus !
   Rush d’adrénaline. La Ff se redressa vigoureusement dans son fauteuil.
   - Où sont-ils ? En groupe ?
   - Non. Ils semblent former un arc de cercle et se rapprochent.
   - Aïe. J’ai un mauvais pressentiment. Annulez l’ordre de lancement des spider-fly et dirigez-vous vers l’Est, vite !
   Une fois de plus, tout le monde obéit silencieusement, mais la pression sembla monter de quelques bars. Le chargé du radar lâcha alors :
   - Dix appareils de plus dans le prolongement de l’arc de cercle.
   Cette fois, tout le monde se sentit fort mal. Garlic hurla :
   - Il faut faire demi-tour ! On ne peut pas rester ici !
   Fondarfin demanda alors :
   - Et la ville G-13 ? On ne peut pas l’abandonner.
   Gemp répondit :
   - Pour les provisions, la ville G-15 devrait pouvoir nous suffire. Ils synthétisent déjà du carburant et ils feront très bientôt les boulets de bombardement.
   - Non, mais attendez. On ne peut quand même pas abandonner tout le monde à cause de quelques cuirassés.
   Guissiquil prit la parole :
   - T’es long à la détente, toi. C’est pas quelques cuirassés qu’on a en face de nous, c’est une armée complète et quelque chose me dit qu’elle est pas là pour le paysage. A ce que je comprend, on a le choix entre prendre la fuite ou se faire détruire. Tu préfères quoi ?
   Le vieux Ff ne répondit pas, mais on voyait bien qu’il n’appréciait pas l’idée de quitter sa ville bien aimée. Fant le comprenait. Lui-même ne voulait pas laisser tomber la ville G-13. Mais apparemment, l’Empire avait enfin décidé de frapper fort et tous les génies tactiques du coin ne suffiraient jamais à donner l’avantage à un unique cuirassé, fut-il général. Néanmoins, le jeune mâle tâcha de ne pas perdre espoir :
   - Tout n’est peut-être pas perdu. Cette flotte est peut-être là pour nous. Nous avons sûrement moyen de leur faire croire que la ville G-13 se trouve ailleurs, ou nous pouvons créer un leurre.
   Tout le monde n’eut pas l’air persuadé, mais Fondarfin mordit à l’hameçon :
   - Exactement ! Et pour une attaque de cette taille, il y a forcément au moins un général et son cuirassé. Nous pouvons retourner la situation à notre avantage si nous nous infiltrons correctement. Qu’en dis-tu, Flonn ?
   L’interpellée demeura silencieuse.
   - Flonn ?
   - Ta gueule…
   - Pardon ?
   - J’ai dit « ta gueule ». C’est une manière familière de te demander de te taire.
   - Ah d’accord. Pardon, tu étais en train de réfléchir.
   - Pas encore…
   - Ah bon ?
   - Oui, ça va dépendre d’un truc.
   Tout le monde jugea plus prudent de ne rien dire pendant que Fant faisait prendre la direction plein Sud au VG-132. Le silence fut rompu au bout d’un petit moment par la voix de plus en plus irritante du responsable radar :
   - Un peu plus d’une vingtaine de cuirassés impériaux en approche par le Sud. Même formation.
   Ger réagit sur le coup :
   - Ils nous attaquent des deux cotés, les enfoirés !
   Flonn la corrigea en soupirant :
   - Non, pas des deux cotés. De tous les cotés. Nous sommes encerclés.
Personne ne trouva rien à redire.

   La situation devint encore plus stressante quand le VG-132, stationné au centre exact du cercle formé par l’ennemi, se mit à capter la totalité de la flotte impériale. Gunat avait bâillonné le responsable radar, aussi ne put-il donner à voix haute le nombre d’ennemis présents. Mais de là où il était, Fant distingua un cercle quasi ininterrompu de petits points rouges tout autour de la table tactique sur laquelle se penchait Flonn, les yeux écarquillés.
   - Ben les cocos, je crois qu’on les a vraiment agacés ce coup-ci.
   Fant n’attendit pas que quelqu’un réponde un truc amusant et se dirigea aussitôt vers la sortie :
   - Je suis désolé, je sais que c’est pas le moment, mais j’ai une envie très soudaine d’aller aux toilettes. Sûrement le stress…
   Tout le monde garda les yeux rivés sur lui alors qu’il quittait la passerelle, un petit sourire gêné aux lèvres. Quand la porte se referma derrière lui, Flonn se leva à son tour.
   - Garlic, tu es aux commandes. Il faut que je parle avec Fant.
   - Comment ? Mais…
   Le Gg n’eut pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que la jeune femelle était déjà partie. Respirant avec difficulté, il prit position sur le fauteuil de commandement qu’il régla machinalement à sa taille. Tournant son regard vers la carte tactique, il lâcha un petit :
   - Bon…
   Puis fit mine de réfléchir. L’opérateur du radar, que Gunat avait négligemment relâché, en profita alors pour ajouter :
   - Plusieurs centaines de spider-fly sont en approche à très haute vitesse.

9) Les cyborgs sont nos amis

   En rentrant dans son bureau personnel à bord de son cuirassé général, Mordir se félicita d’avoir pris la décision d’attaquer avec toute la flotte. C’était un peu brutal, mais on arrivait à tellement plus de choses quand on utilisait la force brute. En ce moment même, quelques spider-fly armés commençaient à asticoter l’adversaire. Rien de très efficace, mais ça l’empêcherait de pouvoir réfléchir correctement. Les spider-fly armés étaient une petite nouveauté pour l’occasion. Ils ne valaient rien contre d’autres spider-fly ou même contre des spider-warrior, mais face à une cible aussi énorme qu’un cuirassé impérial, il était difficile de rater son coup.
   En ce moment même, les sauvages devaient être en train de regretter de ne pas avoir d’Imperator à qui adresser des prières. Mordir aurait préféré rester sur la passerelle pour s’assurer que tout se passait bien, mais quelqu’un voulait lui parler en privé et le bureau du général était le meilleur endroit pour ça. Le maki alluma le grand écran du fond pour faire apparaître une vue envoyée par un spider-bug. Le VG-132 se faisait harceler par les spider-fly armés. Comme prévu, leurs spider-warrior avaient du mal à les toucher. Voilà qui occuperait ces rebelles le temps que les premiers cuirassés arrivent à portée.
   Tout en regardant la bataille sur l’écran géant, Mordir entendit la porte du bureau s’ouvrir. Il se retourna pour constater sans surprise que l’invité n’était autre que F.

   Il n’y avait pas à dire, ce bureau était impressionnant. Le général maki l’avait aménagé pour qu’il soit rigoureusement identique au bureau qui se trouvait dans son dôme principal. On retrouvait donc le tapis rouge, l’écran géant qui faisait office de fenêtre, les statues et même le lustre. La salle était juste un peu moins gigantesque et les statues moins nombreuses, mais depuis l’entrée, F ressentait quand même une impression d’écrasement. Double rangée de statues, tapis rouge et surtout, une monstrueuse silhouette tout au bout de la pièce. F inspira profondément et avança vers le mastodonte. Celui-ci ne l’invita pas à s’asseoir avant d’entamer la discussion :
   - Alors, on ne te voit pas pendant plus de trois memps, et maintenant que je suis sur le point de prouver que tu ne sers à rien, comme par hasard, tu réapparais. Si c’est pour me dire que mon attaque est sur le point de faire rater un plan foireux que tu concoctes depuis des femps, tu peux directement aller te jeter par l’ouverture d’un hangar, parce que l’effet sera le même au final.
   A ce moment, F se rendit compte qu’il n’avait préparé aucun discours, aucune excuse. Il était prévu de tirer au pistolaser droit sur le cyborg, mais si celui-ci regardait dans sa direction ou se doutait de quoi que ce soit, il risquerait d’esquiver le tir et prendrait tout son temps pour massacrer F pendant les quarante secondes que prendrait l’arme pour refroidir. Le Ff détestait ne pas avoir tout prévu et décida d’improviser :
   - Oh non, je n’essaye pas de sauver ma personne, mais bien l’Empire. Depuis ces trois derniers memps, j’ai beaucoup observé l’ennemi. Je sais maintenant de source sûre qu’il n’attendait qu’une décision comme la vôtre. Fant a fanatisé ses troupes et nul doute qu’elles accepteront de se sacrifier s’il leur en donne l’ordre. Presque toute la flotte du Complexe est rassemblée en un point. Ils n’ont plus qu’à faire surchauffer leur réacteur magnétique pour tous nous écraser.
   - Un seul vaisseau détruisant toute la flotte ?
   - Vous n’êtes pas sans savoir que je me suis intéressé personnellement à la technique de ces réacteurs. Celui d’un cuirassé général est beaucoup moins puissant que celui d’un dôme, mais rien n’empêche de faire l’échange.
   Mordir commença à tiquer :
   - Quel échange ?
   - Un cuirassé général est bien assez grand pour transporter un réacteur de dôme. Je suis quasiment persuadé que les sauvages l’ont fait.
   L’inquiétude dans le regard de la grosse brute finit par se transformer en méfiance :
   - Mais depuis quand te rends-tu sur les lieux dangereux ? Je ne te savais pas si noble…
   Court moment de flottement.
   - Ne me prends pas pour un abruti fini, Ff ! Je sais très bien ce que tu prépares !
   - Ah bon ?
   - Tu sais que si j’écrase les sauvages aujourd’hui même, ta carrière militaire est foutue et tu espérais m’en empêcher. Ceci est une haute trahison.
   - Ah mais non, pas du tout ! Je vais être honnête. Effectivement, je ne suis pas ici par pur altruisme, mais si toute la flotte se fait détruire aujourd’hui, je n’aurai plus aucune chance de remonter. Ca se tient, non ?
   De nouveau, le maki hésita et son regard se tourna un bref instant vers l’écran derrière lui. Pas assez longtemps.
   - Certes, ça se tient. Mais il est hors de question d’annuler cette attaque. Je vais juste demander à ce que les cuirassés généraux restent à distance avec quelques cuirassés normaux. Mais tous les autres chargeront quand même.
   - C’est tout ce que j’espérais.
   - Bon, alors maintenant que je t’ai sous la main, tu vas me dire tout ce que tu as fait depuis trois memps.
   - Ne devriez-vous pas plutôt superviser la bataille ?
   - Pour que tu t’enfuies pendant ce temps-là ? C’est bien mal me connaître, petit Ff…
   Le sourire de Mordir devint très inquiétant. On aurait dit un ogre regardant un petit garçon aux joues potelées. Gardant l’air de rien, F poussa un soupir théâtral :
   - Ne vous en faites pas, je n’ai aucune intention de filer. De toute façon, vu comment tourne la bataille, vous allez bientôt avoir besoin de moi…
   Le sourire se figea. Inquiet, Mordir se retourna vers l’écran géant, pensant voir sa flotte réduite à néant. Au lieu de ça, il constata que tout continuait de se passer à merveille, le VG-132 toujours harcelé par les spider-fly alors que les premiers cuirassés impériaux arrivaient presque à portée de tir. Le maki se demanda un instant ce qu’avait bien pu vouloir dire F, puis il comprit brutalement quand un tir de pistolaser lui perfora le torse de part en part. Le tir acheva sa course contre l’écran, qui cracha une gerbe d’étincelles alors que l’image disparaissait. Durant un instant qui sembla durer une éternité, le cyborg resta debout. Puis, lentement et presque majestueusement (mais faut pas pousser), il s’écrasa lourdement contre son bureau qui céda sous le poids.

*****

   Fant avait pris beaucoup d’avance sur Flonn, mais elle savait maintenant où il allait. Elle le connaissait depuis qu’ils étaient tout enfants et elle avait d’abord pensé qu’il n’y avait qu’un endroit où il pouvait être allé : son dortoir. Non pas qu’il veuille faire une sieste, mais c’est là qu’il rangeait son plum et il était du genre à vouloir passer un moment détendu pendant que d’autres se casseraient la tête pour lui sauver la peau des fesses. Arrivée au dortoir, elle comprit qu’elle s’était planté. Apparemment, il avait changé de réflexes depuis qu’il avait rencontré l’Empire Métallique.
   Encore plus en colère, elle se dirigea vers le hangar le plus proche. Passe encore que monsieur veuille passer la bataille parmi les jolies fleurs et les éléphants roses, mais qu’il cherche à s’enfuir… Le terme « indigne de lui » vint momentanément à Flonn, puis elle se reprit. Non, c’était tout à fait digne de lui, mais quand même, qu’il essaye de tous les planter là était particulièrement rageant. Elle le savait maintenant capable de les trahir tous pour sauver sa peau, mais au moins que ce soit pour pouvoir affliger une défaite cuisante à l’Empire, pas pour se retrouver perdu tout seul dans la jungle comme un con !
   La jeune Ff était d’autant plus hors d’elle qu’en allant d’abord vérifier les dortoirs, elle lui avait donné tout le temps qu’il lui fallait pour décoller. Elle avait presque perdu tout espoir de le rattraper à temps quand, tournant au bout d’un couloir, elle lui rentra dedans alors qu’il arrivait en courant depuis la direction opposée. Le choc fut rude et les envoya tous les deux au sol. Après s’être frotté un instant la tête, elle cria sur Fant :
   - Mais qu’est-ce que tu fous ? Tu crois vraiment que c’est le moment de fuir ?
   Reprenant ses esprits, le mâle se releva et répondit d’une voix particulièrement paniquée :
   - Oh oui, je te jure que le moment est vraiment des plus opportuns pour la fuite et je te conseille de faire pareil !
   Alors qu’il essayait de reprendre sa course en passant à coté d’elle, Flonn le rattrapa par la jambe :
   - Pas si vite ! Maintenant que je te tiens, je ne te lâche plus. En plus, les hangars sont de l’autre coté.
   - Et bah tant pis ! Je fais un détour, mais il est hors de question d’aller par là.
   Etonnée, Flonn se tourna alors dans la direction d’où était venu Fant. Elle se mit alors à entendre des coups sourds et réguliers qui se rapprochaient, comme le bruit des pas d’un géant. Ecarquillant les yeux, elle se releva en s’accrochant à Fant :
   - C’est quoi ça ?
   - Je m’en fous, je ne veux pas le savoir. Viens, on dégage !
   Malgré tout, la femelle ne put se résoudre à bouger et sa poigne empêchait Fant de le faire lui-même. Des bruits de tirs de pistolasers retentirent, suivis d’un rugissement qui remonta tout le long de la colonne vertébrale de nos héros avant de leur parvenir aux oreilles.
   - Bon, tu me lâches maintenant ? Si tu veux affronter ce truc, c’est comme tu veux, mais moi je me casse.
   Il était de plus en plus paniqué, mais Flonn ne put se résoudre à le lâcher. Il était tout ce à quoi elle pouvait se raccrocher et ses paroles ne lui parvenaient même plus aux oreilles. Au loin, un fracas retentit et un Gg arriva en volant depuis un couloir transversal. La jeune Ff n’aurait pu dire s’il était encore vivant ou pas, mais après avoir heurté le mur de plein fouet et être retombé inerte sur le sol, il ne l’était sûrement plus. Un autre Gg, bien vivant et particulièrement rapide pour ses courtes jambes, déboula depuis le même couloir et entrepris de se diriger à toute vitesse vers nos amis. Il n’alla pas bien loin avant qu’un torrent de tirs laser ne le déchiquètent, ainsi qu’une partie du sol métallique.
   Livide, Flonn vit alors la créature responsable. Elle sortit aussi du couloir transversal, mais plus lentement, prenant son temps pour mieux marquer les esprits. Au lieu de marcher au sol comme tout le monde, la chose marchait au plafond sur deux pattes à trois articulations. En dessous, deux énormes canons semblaient lui servir de bras. Et effectivement, des griffes préhensiles se trouvaient fixées dessus. Par contre, le monstre n’avait pas de tête. Un court instant, Flonn se sentit soulagé de découvrir que son ennemi n’était autre qu’un robot. En y réfléchissant, un robot était autrement plus dangereux qu’un être de chair, mais quand même moins cauchemardesque que ce que la femelle avait imaginé. Puis une petite trappe s’ouvrit par en bas, et une masse de chaire bleue en sortit, soutenue par de nombreux câbles et tuyaux. On manquait d’éléments pour voir ce que ça avait bien pu être à l’origine. Il n’en restait que le torse et la tête et de nombreux outils bizarres le perçaient un peu partout. Un tuyau lui rentrait dans la bouche, mais Fant vit bien que deux dents dépassaient largement. Il comprit à qui il avait affaire avant même que la créature ne se mette à parler, les yeux exorbités :
   - PUTAIN DE SALOPARD DE MERDE, TU VAS MORFLER POUR M’AVOIR FAIT CA !

*****

   Soufflant sur le canon de son pistolaser pour faire style, F se dirigea d’un pas satisfait vers la sortie du bureau. Au moment d’ouvrir la porte, un déclic retentit et le Ff se rendit compte que quelqu’un venait de verrouiller la porte à distance. Se retournant lentement, l’enquêteur spécial se rendit compte que le gros tas écroulé sur les restes du bureau remuait.
   Comme dans un film d’horreur, la silhouette se redressa dans l’obscurité. Une nouvelle gerbe d’étincelles jaillit de l’écran brisé, illuminant les traits haineux du gigantesque maki. F sentit son cœur rater une pulsation.
   Inspirant bruyamment, Mordir finit par déclarer :
   - Alors toi…
   Il n’eut pas besoin d’en dire plus. F essaya de tirer une nouvelle fois, mais les quarante secondes ne s’étaient pas encore écoulées. Et impossible de sortir dans le couloir tant que le maki respirerait encore. Le Ff prit une profonde inspiration pour tâcher de se calmer. Puis il plongea de coté au moment où Mordir lui envoyait à la figure les restes de son bureau.

*****

   Les cris de Glover se répercutaient dans les couloirs du VG-132 alors que Fant et Flonn courraient comme des dératés. La femelle avait fini par comprendre inconsciemment que rester sur place était fort mauvais pour la santé. Le cyborg Gg était plutôt lent, mais ses doubles canons-laser rotatifs lui permettaient de tuer dès qu’il avait ses victimes en vue. Toute la tactique de la fuite de nos héros était donc de prendre un nouveau couloir le plus souvent possible. Malheureusement, les cuirassés impériaux, même les généraux, ne sont absolument pas bâtis dans un souci de ressembler à un vaisseau de science-fiction à l’aspect labyrinthique, mais plutôt pour être fonctionnels. Les couloirs étaient donc très longs, et somme toute peu nombreux. Et pour ceux qui aiment l’originalité, je rajouterai qu’on ne trouvait ni appareils étranges ni tuyaux tordus. Les couloirs étaient droits, propres et peints en blanc, ce qui facilitait la tâche de Glover qui voyait d’autant mieux ses victimes potentielles.
   Pour palier à ce manque flagrant de cachettes, il fallut traverser de nombreux dortoirs et se frayer un chemin entre les lits jusqu’à rentrer dans un nouveau couloir ou un nouveau dortoir, tous désespérément identiques. Quelques rares individus furent croisés. Plutôt que de leur indiquer de fuir, Fant préféra se taire, misant sur une très vague possibilité que Glover perdrait du temps à massacrer ces obstacles. Mais quand on mitraille à tout bout de champ tout en continuant à courir au plafond, on ne prend pas de retard en tuant ce qui se présente.
   C’est complètement haletants que les deux Ffs arrivèrent dans un hangar à spider-fly. Une demi-douzaine d’appareils était garée dans la grande pièce sans rigueur particulière. L’extérieur et son ciel orange leur tendait les bras. On y voyait aussi de très nombreux cuirassés ennemis dans le lointain, ainsi que des spider-fly qui tournoyaient autour du VG-132 comme des guêpes autour d’un pot de confiture malencontreusement laissé ouvert. Ca, c’était moins rassurant. Fant se tourna vers Flonn :
   - Il n’y a que moi qui sache piloter ces trucs. Essaye de retarder le gros monstre pendant que j’en fais démarrer un.
   Alors qu’il s’apprêtait à courir vers un escabeau spécial, la jeune femelle lui rattrapa le bras :
   - Une minute ! Promets-moi que tu ne m’abandonneras pas !
Fant ouvrit la bouche pour répondre une phrase toute faite du style « Ne t’inquiète pas. », mais finalement, il la referma et regarda Flonn d’un air songeur pendant une longue seconde. Finalement, il lui dit :
   - Ok, je ne t’abandonnerai pas. Tu as bien fait de me retenir.
   Et il repartit en courant. Flonn se dit que de toute façon, elle n’obtiendrait pas mieux de lui. Entendant les pas sourds du gigantesque cyborg qui approchait, elle se précipita dans la direction opposée à celle de Fant et grimpa sur un autre escabeau pour se poster derrière un spider-fly.
   La porte du hangar n’allant pas jusqu’au plafond, la chose qui avait été Glover fit un bond impressionnant à travers les portes et réaterrit bruyamment au plafond du hangar, le tas de chair se balançant en dessous. Le Gg aperçut très vite Fant et commençait à lever un de ses canons dans sa direction, quand Flonn tira en plein dans le torse de la chose. De quoi était-elle constituée ? C’est un mystère. Toujours est-il que le tir de pistolaser ne perça pas l’armure. Semblant particulièrement en colère, même s’il était fort difficile de lire la moindre expression sur le visage tuméfié du monstre, Glover se retourna vers la jeune Ff. Jurant, celle-ci lâcha son pistolaser et en tira un deuxième de sa ceinture. Instinctivement, elle tira sur le tas de chair, le transperçant de part en part.
   La chose resta un instant immobile, à part l’ancien corps de Glover qui continua à se balancer. Puis le corps blessé remonta à l’intérieur de l’armure et la trappe se referma. Quoi qu’ait fait Flonn, ça n’avait pas suffit. Elle se maudit intérieurement de n’avoir pas transporté plus de deux pistolasers sur elle, mais ça n’aurait fait aucune différence. Avec une angoisse qu’elle n’avait plus ressentie depuis la destruction de son village, elle assista impuissante au spectacle du canon qui se pointait droit vers elle.

*****

   F courut plus vite qu’il n’avait jamais couru droit derrière une statue de guerrier maki. Mordir était blessé, mais sa prodigieuse constitution physique lui permettait de tenir malgré tout. La douleur sembla lui faire perdre toute pensée cohérente, et il ressembla plus à un animal qu’à un être pensant lorsqu’il se mit à hurler sa haine à travers la pièce. Sans attendre davantage, la monstruosité de muscle et d’acier se jeta en avant. En deux sauts, Mordir était arrivé à la statue de bois et l’avait pulvérisée d’un violent coup de poing. Tâchant d’ignorer les échardes qui lui pleuvaient dessus, le Ff courut à quatre pattes derrière la statue suivante, incapable de réfléchir correctement. Les deux gradés de l’Empire se retrouvaient maintenant dans une situation où leurs lointains ancêtres se seraient aisément retrouvés : Mordir chassant sa proie, et F courrant pour sauver sa vie face à un redoutable prédateur. Un nouveau bond renversa le nouvel abri et seul une roulade de coté permit au Ff de ne pas se retrouver en dessous lorsque la statue s’écrasa au sol. Le cyborg décocha un puissant coup de poing vers F qui continua à rouler sur le coté pour l’éviter. Le marbre éclata sous le poing de la brute. Quand celle-ci se redressa, sa main saignait, mais il ne sembla pas s’en rendre compte. F s’était remis sur pied et courait de l’autre coté de la salle, vers une autre rangée de statues. Reprenant son souffle, Mordir traversa la salle plus lentement, les articulations métalliques de ses jambes marquant d’un bruit de moteur chacun de ses pas.
   La proie se retourna et recula d’effroi en voyant s’approcher le monstre implacable. Soudain, F sentit quelque chose de pointu dans son dos. Il manqua faire un arrêt cardiaque quand il regarda derrière lui pour découvrir la face grimaçante d’un guerrier maki. Son esprit affolé réussit quand même à enregistrer qu’il ne s’agissait que d’une statue, mais l’horreur qui atteignait maintenant le centre de la salle était loin de n’être qu’un objet décoratif.
   Habitué à prendre des décisions rapides, F profita de ce bref instant de répit pour se calmer. Il fallait gagner du temps.
   - Général, j’admet avoir fait une bêtise. Je me rend. J’avoue tous les faits dont on m’accuse.
   Mordir s’arrêta. Son visage n’exprimait que colère et mépris :
   - Tu ne comprends pas ta situation. Il n’y a ici aucun témoin. La blessure que tu m’as infligée réclame vengeance. Tu as fait couler mon sang, je ferai couler le tien, et pas dans les mêmes proportions.
   - Dans ce cas, vous mourrez avant moi. Vous êtes blessé.
   Le maki se permit un petit ricanement :
   - Tu veux gagner du temps en espérant que je mourrai ? Ma blessure a été cautérisée au moment même où tu me l’as infligée. Elle n’empirera pas. De plus, je suis plus rapide que toi. Le magnétisme de mes jambes métalliques compense le poids de mes muscles et les moteurs sont bien plus puissants que tes frêles jambes. Je suis donc plus léger et plus véloce que toi.
   Bien que ce discours fût particulièrement impressionnant quand on se trouvait dans la situation de F, celui-ci remarqua quand même quelque chose. Tout ce discours était parfaitement inutile. Si Mordir voulait lui tordre le cou, il ne s’amuserait pas à raconter sa vie avant. Non, il avait du mal à respirer. Le coup avait dû frapper un poumon et le général avait besoin de temps pour récupérer. Malgré tout, le nombre de choix semblait bien maigre. La porte était fermée et le commutateur était détenu par Mordir. Il n’y avait aucune autre ouverture dans la pièce. Le regard de F se tourna alors vers le plafond. Un détail pas si négligeable lui donna alors la solution dont il avait besoin. Le Ff se mit à sprinter vers le pistolaser qu’il avait abandonné. Mordir n’attendit pas et partit à sa rencontre. Tirer sur le maki serait du gaspillage, celui-ci semblait encore bien assez véloce pour sauter de coté et éviter un tir. Par contre…
   F leva le pistolaser et tira vers le plafond. Mordir continua sa charge sans faire attention au tir. Il aurait dû.
   Le gigantesque lustre s’écrasa en plein milieu de la salle, faisant disparaître le général qui se trouvait en dessous. Lâchant le pistolaser avec émotion, F sentit enfin l’adrénaline refluer. Puis revenir à l’assaut avec force lorsqu’il vit le lustre se soulever et la silhouette hideuse de Mordir se redresser. Le général était l’incarnation même de la haine. Il avait de multiples entailles et son visage saignait abondamment. L’un de ses bras semblait démis. Malgré tout, F sut qu’il n’avait plus une chance.
   C’est alors que sous le poids, le sol en marbre affaibli par un coup de poing puis une chute de mobilier craqua brutalement, entraînant maki et lustre dans les profondeurs du vaisseau.
   Jetant un bref coup d’œil dans le trou, F comprit qu’il était définitivement sauvé.

*****

   Fant ne pouvait se trouver mieux placé pour assister à la mise à mort qui allait avoir lieu devant lui. Le moment était idéal pour décoller et foutre le camp, mais le visage de Flonn lui demandant de ne pas l’abandonner revint le hanter. Ici, je pourrai faire un nouveau choix pour le lecteur. Fant va-t-il abandonner Flonn ou tout faire pour la sauver ? Mais en fait, ce procédé ne m’amuse plus, ça devient chiant comme la pluie. Alors je choisirai à la place du lecteur. De toute façon, c’est moi qui écrit l’histoire, pas vous.
   C’est donc contre tout esprit logique et allant à l’encontre de l’instinct de survie le plus élémentaire, que notre jeune héros sauta hors de son appareil et atterrit sur le sol du hangar. Captant un bruit derrière lui, Glover se retourna. C’est là que Fant se dit qu’il avait été très con.
   Utilisant la même méthode que F contre Mordir, il entreprit de taper la discute le temps de trouver une solution :
   - Ecoute, Glover, je sais que tu as de bonnes raisons de m’en vouloir, mais je voulais que tu saches que ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le bien de la ville G-13.
   - PETITE MERDE ! TU POURRAS ME DIRE CE QUE TU VEUX, JE PRENDRAIS QUAND MÊME MON PIED A T’ARRACHER LES ENTRAILLES !
   Petite seconde d’angoisse. Le cyborg sembla hésiter, puis il reprit :
   - Il y a une soze que ze voulais savoir. Ze n’ai pas vu Mela. Où est-elle ?
Curieusement, le modulateur vocal du monstre métallique reproduisait exactement la même voix que le timide Gg avant son opération, reproduisant même son défaut de prononciation.
   - Elle va bien. Elle est en ville. Tout baigne pour elle.
   - Ze me souviens l’avoir aperçue au moment où tu m’as poussé. Qu’a-t-elle dit ?
   - Je lui ai tout expliqué. Elle a compris la situation et elle était tout à fait d’accord avec moi. Nous avons caché la vérité à ton frère. Il te croit mort en héros.
   - MENTEUR ! PERSONNE N’A PU TE PARDONNER UNE TELLE CHOSE ! JE VAIS T’ARRACHER LES YEUX !
   Quelque chose dans la façon de s’exprimer de Glover permit à Fant de comprendre qu’il avait mal négocié l’affaire. Il essaya de se rattraper en relançant la conversation :
   - Attends ! Tu ne m’as pas dit comment tu avais survécu !
   Malheureusement pour le jeune mâle, nous sommes ici dans une histoire sérieuse où les méchants ne racontent pas leur vie pendant trois plombes avant de se faire zigouiller par le héros. Glover ne répondit donc rien et releva ses armes.

   Par égard pour le lecteur et pour faire durer le suspens, ainsi que pour éviter de me faire traiter de fainéant, j’expliquerai quand même ce qui était arrivé à Glover à la fin de l’épisode 4.
   Après un plongeon esthétique depuis le point le plus haut du dôme, le Gg avait rebondi sur toitures, véhicules et infrastructures diverses avant de s’écraser comme une merde sur une plateforme tout en bas. Les différends rebonds n’avaient pas été agréables, mais avaient suffisamment ralenti la course pour que ce qui atteignit la plateforme soit encore vaguement vivant. Les services hospitaliers de l’Empire étaient très efficaces et à peine avait-on repéré qu’un Gg était en train de dégringoler, qu’une ambulance était déjà en route. Vu son état critique, la victime fut admise en salle d’urgence où on n’attendit pas son accord avant de lui greffer des membres métalliques et d’en faire un cyborg quasi complet. Certains lecteurs seront dubitatifs face à la rapidité avec laquelle l’Empire entreprenait de soigner un parfait inconnu de si coûteuse façon. La raison est toute simple : un blessé à l’intérieur du dôme est forcément un citoyen et un citoyen a forcément un travail important à accomplir. Devant cette évidence, les hôpitaux impériaux se devaient de mettre tous les moyens en œuvre pour sauver des vies. Lorsque l’explosion du réacteur magnétique eut lieu, Glover se trouvait encore en salle chirurgicale dans l’un des points les plus bas du dôme. Il ne fut donc pas incinéré, mais violemment projeté vers le bas, avec tout ce qui se trouvait autour de lui. Après une chute dont il ne garda par chance aucun souvenir, il finit par ralentir et ses nouveaux membres en métal le ramenèrent bien vite vers la surface. Une fois de plus, il eut une chance folle. Le poids de son corps compensa l’attraction magnétique, aussi ne tomba-t-il pas trop violemment. De plus, la terre fraîchement retournée par l’explosion était meuble et amorti plus ou moins l’impact. Quelques temps plus tard, il était retrouvé au fond d’un trou par des soldats de l’armée de F. Il fut l’unique personne à l’intérieur du City-dôme n°984 à survivre, les cyborgs étant plutôt rares, et pas tous aussi chanceux. Un interrogatoire serré mené par F en personne lui valu le droit d’obtenir de nouvelles améliorations sur son nouveau corps, en faisant une parfaite machine de vengeance. L’enquêteur spécial avait hésité à l’utiliser plus tôt et avait préféré le garder comme un dernier recours, un atout spécial.

   Et maintenant que vous savez tout ça, nous pouvons revenir au présent, alors que Glover s’apprête à expédier Fant au pays des héros ratés. Pendant la courte conversation, Flonn n’était pas restée inactive. Le sacrifice de son ami l’avait touchée et elle était bien décidée à tout faire pour que Fant ne regrette pas son geste. Le pistolaser inefficace, la femelle se tourna vers une solution plus subtile. Elle eut un peu de mal à découvrir comment faire démarrer un spider-fly et prit encore un moment à trouver le levier des gaz. Elle n’eut que le temps de se projeter hors de la carlingue lorsque l’appareil démarra brutalement, puis percuta Glover de plein fouet, expédiant des morceaux métalliques dans tous les sens. Le tout alla percuter un mur, broyant le Gg inexorablement. Les moteurs ne s’arrêtèrent pas pour autant, et l’amas de métal racla le mur jusqu’à atteindre la sortie du hangar, partant se promener à l’air libre, vers un destin qui n’intéresse personne.

10) Vers l’avenir

   Après une petite descente pour aller récupérer la commande d’ouverture de la porte sur le cadavre de Mordir, ainsi qu’une courte escalade en sens inverse, F finit par se retrouver dans le couloir. La pression ne redescendit pas longtemps. Le général maki étant mort, il restait deux autres généraux pour clamer haut et fort qu’ils étaient responsables de la victoire finale. Le Ff caressa un instant l’idée d’aller régler leur compte à ces deux emmerdeurs, mais sans généraux valables, le Complexe s’effondrerait sur lui-même et F doutait pouvoir en ressortir grandi. Par contre, cette attaque pouvait virer au fiasco, les rebelles pouvaient s’échapper et l’Empire subir quelques pertes. Ainsi, F pourrait toujours tenter à nouveau de détruire Fant et la fille avec lui. Ainsi, le héros ne serait autre que lui. Avec cette heureuse idée en tête, F fit la roue puis se précipita vers la passerelle.

   Sur celle du VG-132, c’était loin d’être la fête. Fant et Flonn étaient partis on ne sait où et les cuirassés ennemis se rapprochaient inexorablement. Les spider-fly armés ne faisaient presque pas de dégâts, mais ils commençaient à chauffer les oreilles de Garlic. Celui-ci, sans savoir que son frère venait de faire un passage éclair sur le vaisseau, essayait tant bien que mal de trouver une brèche exploitable. Mais ces saletés d’impériaux avançaient de façon très ordonnée et pour l’instant, le Gg ne trouvait rien de mieux à faire que d’attendre. Jusqu’à ce le responsable radar, que tout le monde avait oublié, n’annonce soudain :
   - Il semblerait que les cuirassés ennemis dans le secteur Sud-Ouest soient en train de s’attaquer entre eux.
   - Comment ?
   - Comme ça se prononce…
   - Tournez le VG-132 dans cette direction, mais n’avancez pas tout de suite. Voyons comment la situation évolue.

   De son coté, F s’amusait comme un petit fou. Il passait de cuirassés en cuirassés pour avertir que Mordir était mort, tué par des sauvages. Le VG-132 n’était qu’un leurre, les vrais ennemis étaient à bord des cuirassés impériaux. Utilisant son statut d’enquêteur spécial, il donna des ordres contradictoires aux différents vaisseaux impériaux, leur assignant des cibles alliées et accroissant la pagaïe. Personne ne sembla se rendre compte qu’il repartait aussitôt après avoir donné les ordres et ça l’arrangeait parfaitement.

   Après une longue séance de discussion intensive, Flonn parvint à convaincre, ou plutôt à forcer, Fant de rester à bord du VG-132. C’est donc en le traînant par la peau du cou qu’elle rentra sur la passerelle, prête à reprendre le flambeau. Elle n’en eut guère besoin, car Garlic lui apprit avec un grand sourire qu’il avait la situation bien en main. Un rapide coup d’œil par la verrière révéla un très grand nombre de cuirassés impériaux en train de se tirer dessus. Quelques-uns d’entre eux essayaient d’arrêter le VG-132, mais sans aucun succès. Les sauvages étaient en train de s’échapper sans aucune perte.
   - Garlic, je ne sais pas comment tu as fait, mais félicitation !
   - Pour être honnête, je ne sais pas non plus, mais pour le moment, je m’en fiche éperdument.

*****

   Une équipe d’inspection finissait ses recherches dans le bureau de Mordir. Personne ne voyait comment des sauvages avaient pu s’infiltrer ici. Le général avait été blessé par un pistolaser et sa dépouille révéla de nombreuses fractures et entailles, plus vraisemblablement causées par la chute du lustre. Plusieurs statues étaient brisées, l’écran géant était éventré, le bureau pulvérisé près de la porte et la description ne serait pas complète si on omettait le cratère au centre de la pièce, au fond duquel on avait retrouvé le lustre et le général. Quel que soit le combat titanesque qui avait eu lieu ici, la scène avait dû être impressionnante à voir. On ne trouva pas d’autres traces de sang que celles de Mordir, mais les sauvages n’avaient pas dû être nombreux, sinon le général aurait subi plus de blessures par pistolaser. L’un des enquêteurs décida de jeter un rapide coup d’œil sur les restes du bureau, comme ça, pour voir. Il trouva alors la dernière crasse que Mordir avait faite à F. Au beau milieu des débris, et un peu abîmé quand même, se trouvait un spider-bug toujours en train de filmer.

   Ca faisait un moment que F se disait qu’il devrait arrêter et se tirer vite fait avant de se trouver dans le mauvais cuirassé au mauvais moment, mais il voulait être sûr que le VG-132 soit suffisamment loin. C’est en retournant vers le hangar où se trouvait son spider-fly qu’il entendit une annonce retransmise dans tous les cuirassés de la flotte :
   - Ordre à tous les cuirassés impériaux : cessez immédiatement le feu. Il n’y a pas de sauvages à bord, je répète, il n’y a pas de sauvages à bord. Tout ordre donné par l’enquêteur spécial F est annulé. Ce Ff est responsable de la mort du général Mordir. Une preuve vidéo va vous être envoyée. D’ici là, l’ordre est donné de tout faire pour arrêter le suspect. Je répète, faites tout pour capturer F.
   Voilà qui acheva de convaincre le Ff qu’il était grand temps de se casser.

*****

   Sur la route vers la ville G-15, le commando G-13 se rassembla sur la passerelle pour faire le point. Après que Gemp ait assuré que tout se passerait bien dans cette nouvelle ville et que Fondarfin ait rapidement vérifié que rien n’était endommagé à bord du vaisseau, on en vint à discuter de ce qui avait bien pu les aider à fuir. A la suite de quoi, tout le monde dut admettre que le mystère était total. Ce qui n’empêcha pas Fant d’ajouter :
   - Après tout, on s’en fout ! Nous avons survécu à la plus grosse attaque que l’Empire pouvait nous faire subir. On peut profiter que toute leur armée soit là pour retourner détruire quelques dômes. Après, on n’a qu’à s’assurer qu’on ait d’autres villes Ggs prêtes à nous ravitailler et nous serons invincibles !
   Apparemment, les autres membres du commando ne partageaient pas cet optimisme. Garlic résuma assez bien l’opinion générale :
   - Nous avons survécu, mais rien n’indique que nous aurons autant de chance la prochaine fois. Et la perte de la ville G-13 m’apparaît comme une violente défaite.
   Chacun approuva à sa façon.
   - Mais de quoi vous me parlez ? L’Empire n’a déjà pas assez de cuirassés pour défendre ses dômes, vous croyez qu’ils vont s’éterniser à la ville G-13 quand ils auront compris que nous avons une nouvelle source d’approvisionnement ? Et croyez-moi que celle-là, ils ne la trouveront pas aussi facilement. Ne vous inquiétez pas pour la ville G-13, nous la reprendrons bien assez tôt. Nous pouvons évacuer les habitants par le train souterrain et la reconquérir plus tard. Et rien que la tête du bourgmestre quand elle devra évacuer, ça doit valoir le coup.
   Cet argument remit un peu de bonne humeur. C’est vrai qu’en analysant froidement la situation, tout allait pour le mieux. L’Empire en était réduit à lancer toutes ses troupes sur un coup de tête, le commando disposait d’un nouveau cuirassé général, de nouvelles villes Ggs ne tarderaient pas à se rallier à leur cause et la ville G-13 ne donnerait aucun mal à être reprise. Et pendant tout le temps où l’Empire s’acharnerait à chercher une ville vide, le commando se ferait un plaisir de détruire dôme après dôme.
   Fant reprit son discours d’encouragement :
   - Le Complexe vit son dernier cycle, c’est moi qui vous le dis. Une fois le dernier dôme rayé de la carte, ç’en sera définitivement fini de l’Empire !
   Flonn tiqua, mais ne dis rien. Sur la passerelle, l’ambiance redevint joyeuse. On se félicita, célébrant la victoire à l’avance. La jeune Ff prit Fant par le bras et l’entraîna dans le couloir, à l’abri des oreilles indiscrètes :
   - Fant, je sais que tu essayes de leur remonter le moral, mais tu ne crois pas que tu aurais dû leur dire la vérité ?
   - Quelle vérité ? Je n’ai pas mentis !
   - Tu n’as pas tout dit non plus. Tu sais très bien que l’Empire Métallique ne se limite pas au Complexe. Tu étais avec moi quand l’autre pouf’ en a parlé.
   - Certes. Mais ça ne les concerne pas. Ce qu’ils veulent, c’est que leur ville soit hors de danger. En détruisant le Complexe, nous atteignons ce but.
   C’est quoi cette histoire, me demanderez-vous. Effectivement, je me rend compte avec horreur que j’ai sauté cette discussion pourtant très importante pour la suite du récit. Je vais donc me rattraper et vous ferez semblant d’avoir lu ça depuis longtemps.

   L’autre pouf’, comme avait dit Flonn, c’était bien entendu Fiorana. Lors de la dernière interrogation, Fant savait tout ce qu’il fallait savoir sur le Complexe, notamment qu’il ne s’y trouvait que cinq généraux, aussi demanda-t-il s’il existait une petite annexe en dehors. La réponse ne l’avait pas déçu.
   - Une annexe ? Vous ne savez donc vraiment pas ce qu’est l’Empire Métallique ?
   Le mâle dut retenir Flonn qui s’apprêtait encore à frapper l’otage. Apparemment, cette question n’avait pas pour but de les provoquer, mais était le résultat d’un étonnement sincère. Voyant que cet étonnement risquait encore de lui coûter cher, la prisonnière se hâta de tout expliquer :
   - Pour bien comprendre, je dois vous décrire comment est le monde dans lequel nous vivons.
   Flonn intervint :
   - On sait comment il est le monde ! Abrège !
   - Non, attends, laisse-la parler.
   - Je n’ai pas pu expérimenter ça moi-même, mais les chercheurs de l’Empire ont découvert qu’à force d’aller dans la même direction, on finissait par se retrouver à son point de départ.
   - Pardon ?
   - Oui. Il y a eu trois explications possibles. Soit nous vivons à l’intérieur d’une sphère, soit le monde se répète à l’infini, soit on est téléporté à un moment ou à un autre sans s’en rendre compte. Il a été prouvé que la première réponse était impossible. Où qu’on aille, le sol reste plat, même sur de très longues distances. Le calcul du périmètre d’une telle sphère a été effectué, et de là, on a pu trouver le rayon de courbure théorique. Or aucune observation ne correspond.
   Flonn ne comprenait pas grand chose, et ça l’énervait :
   - Depuis que j’ai quitté le village, j’ai eu beau explorer ce monde à bord du VG-13, on ne s’est jamais retrouvé au point de départ.
   - Mais le Complexe est ridicule en comparaison de la taille du monde. Même dans sa longueur, il est loin de représenter un centième de la largeur du monde. Le monde se répète à l’infini quelle que soit la direction dans laquelle on se dirige. Certains pensent même qu’en creusant suffisamment haut, on atteindrait un jour le brasier sous nos pieds.
   - Il n’y a rien sous nos pieds. Rien que le vide.
   - Au bout d’une très longue distance se trouve un brasier perpétuel. Nous pensons qu’il s’agit de la source de chaleur que l’on rencontre quand on creuse vers le haut.
   - Bon d’accord. Donc si on voyage pendant l’équivalent d’une dizaine de vies, on peut se retrouver chez soi. Youpi. Ca nous amène où de savoir ça ?
   - Le but ultime de l’Imperator est de conquérir la totalité du monde. Il n’y a pas vraiment de limite finie, mais en faisant le tour, on peut couvrir l’ensemble du monde.
   - Grand bien lui fasse. Si le Complexe ne représente pas un centième de la surface à couvrir, et vu ce qu’on est en train de lui faire subir, il en a pour un petit moment.
   - En fait, il a déjà fait le tour selon une direction.
   - Pardon ?
   - Oui. Il existe une ligne entièrement métallique dans lequel se trouvent industries et villes. On l’appelle l’Anneau, même s’il ne s’enroule pas vraiment. Maintenant, l’Empire tente de s’étendre dans l’autre direction en partant de l’Anneau, jusqu’à tout recouvrir. Le Complexe n’était qu’un avant poste. Une fois terminé, les dômes auraient été reliés entre eux par des infrastructures beaucoup plus grandes. L’espace entre ces infrastructures aurait été comblé petit à petit et le tout aurait été rattaché à la masse qui fait déjà partie intégrante de l’Empire Métallique.
   Fant et Flonn écarquillèrent les yeux.
   - Mais c’est du délire. Ils n’y seraient jamais arrivés, même avec tout le métal du monde.
   - Détrompez-vous. Cela a déjà été fait de très nombreuses fois. L’Anneau initial recouvre maintenant quinze pour cent de la surface totale du monde. Et la croissance de l’Empire s’accélère à chaque cycle.
   Dépassée par la situation, Flonn sentit la colère l’envahir :
   - C’est n’importe quoi. Tu nous racontes des cracks en espérant nous intimider, c’est ça ?
   Fiorana leva un bras squelettique pour se protéger d’une éventuelle nouvelle pluie de coups :
   - Non, je vous jure que c’est vrai ! J’ai grandi dans une ville définitive. Les dômes ne sont rien à coté.
   Songeur, Fant repris l’interrogatoire :
   - Si l’Empire est si puissant, pourquoi le Complexe n’a-t-il pas reçu de renforts ?
   - L’Empire Métallique est en guerre. J’ignore tout de nos adversaires, sauf qu’on les appelle l’Ennemi. Seuls les plus brillants généraux, après avoir passé des tests complets, sont autorisés à en savoir plus. Cette guerre dévore énormément de ressources. Voilà pourquoi la capitale se fiche de perdre un unique Complexe aussi loin du centre. Le métal que nous leur fournissons ne doit pas être suffisant pour mériter un tel gaspillage de ressources.
   - Minute. Il est où votre Ennemi ?
   - Je vous l’ai dit, j’en sais très peu, mais la rumeur prétend qu’il fait le tour du monde, tout comme nous. A cause d’eux, l’Empire ne peut s’étendre que d’un seul coté de l’Anneau initial.
   - Pourquoi ne pas l’attaquer par derrière s’il vous suffit de partir dans la direction opposée ?
   - Aucun de nos appareils n’est capable d’effectuer un tel voyage sans ravitaillement. C’est la raison pour laquelle nous cherchons tant à nous étendre. Si nous n’arrivons pas à battre l’Ennemi de front d’ici là, l’Empire sera un jour suffisamment étendu pour attaquer par derrière.
   Fant ne put retenir un petit sifflement impressionné.
   - Le reste de l’Empire utilise-t-il les même machines que celles que nous avons vues dans le Complexe ?
   - Non. Il ne s’agit ici que de matériel de colonisation. Le reste est bien plus perfectionné.
   - Et on peut le trouver où, votre Imperator ?
   - Je ne l’ai jamais rencontré, mais il doit se trouver à la capitale. On raconte qu’il s’agit du tout premier dôme, mais l’endroit n’a plus rien d’un dôme à présent. C’est une mégalopole puissamment défendue. Les industries y sont légion et la sécurité encore plus drastique que partout ailleurs. J’ignore complètement où elle se trouve et comment s’y rendre.
   - Oh, vous avez dit ultérieurement que vous ignoriez à quoi servez les makX. J’en déduit qu’ils ne restent pas dans le Complexe une fois formés ?
   - Effectivement, des porteurs lourds viennent les chercher tous les cinq cycles.
   Flonn eut alors la question de trop :
   - Quand nous aurons achevé de détruire ce Complexe et ses habitants, est-ce que l’Empire essayera de coloniser à nouveau cet endroit ?
   Fiorana n’hésita même pas :
   - Aussi sûrement qu’un et un font deux. Et ils risquent de mettre le paquet s’ils savent qu’ils rencontreront de la résistance.
   Fant se sentit sombrer. Derrière lui, Flonn devenait rouge de fureur devant sa propre impuissance. Son ami ne tenta même pas de l’arrêter lorsqu’elle se rua sur Fiorana pour lui saisir les cheveux. Le mâle se retourna pour réfléchir aux conséquences de cette révélation, laissant son âme voyager au-delà des cris et des coups qui retentissaient derrière lui.

   Retour au présent. C’est Fant qui parle :
   - Ces gens se battent pour sauver leur ville, pas pour venger leur village. Une fois le Complexe détruit, ils ne s’acharneront pas.
   - Mais l’Empire reviendra. Et si personne ne s’en est occupé d’ici là, il ne sera plus possible de se défendre.
   - Rien ne dit que l’Empire réessayera d’attaquer avant le prochain cycle, ni même avant le prochain tremblement de terre. Le fait est que nous serons peut-être déjà tous morts depuis longtemps quand ce nouvel assaut se produira.
   - C’est bien ce que je pensais. Tu t’en fous complètement que le reste du monde puisse être envahi par ceux qui ont détruit notre village. Tout ce que tu veux, c’est poser ton cul dans un hamac et fumer du plum pour le restant de tes jours.
   Fant sembla perdre de sa patience :
   - Et bien oui ! C’est peut-être beaucoup demander, mais c’est ce que je veux faire de ma vie ! Me la couler douce ! Arrêter de défier des empires à moi tout seul ! Et surtout, rester le plus loin possible de quiconque pourrait venir me faire chier !
   Sans surprise, Flonn le prit assez mal :
   - Et bien d’accord. Si c’est ce que tu veux, ça me va. Une fois le complexe détruit, je te laisserai te branler comme une merde dans ta petite ville miteuse et je continuerai à lutter dans mon coin, comme une grande fille !
   - Alors c’est parfait ! Tout le monde est content.
   Et chacun partit de son coté en faisant la gueule, à la grande surprise des peinturlurés qui sortaient de la passerelle à ce moment-là et pour qui l’ambiance était plutôt à la fête.

*****

   Deux femps plus tard, capitale de l’Empire Métallique. Sur la place du Palais Impérial, se dressait la statue de l’Imperator. Pour laisser du suspens, et non parce que je n’y ai pas encore réfléchi, je ne décrirai pas cette statue. Tout ce que vous pouvez en savoir, c’est qu’elle s’élevait sur une bonne vingtaine de mètres, dépassant même les bâtiments les plus proches. La place pavée s’étalait de façon à ce qu’on puisse parfaitement apercevoir l’ensemble de la statue quand on se trouvait sur la périphérie. Loin au-dessus, le ciel était orange et noir, plongeant le tout dans une perpétuelle lumière rougeâtre. Tout autour, des bâtiments en métal noir assombrissaient encore le tableau. Des Ffs, des Ggs, quelques makis et une espèce ailée dont F n’avait jamais entendu parler un femp plus tôt allaient et venaient dans l’accoutrement local : une sorte de robe à capuche grisâtre. Cet habit convenait parfaitement à notre commandant renégat. Avec la capuche soigneusement remontée, on risquait moins de le reconnaître, non pas que quelqu’un risque d’avoir entendu parler de lui jusque dans la capitale, mais on ne savait jamais.
   A l’entrée de la place, dos à l’avenue principale de la ville, F contemplait la statue. Sans faire attention au bourdonnement incessant de la foule ou aux nombreux véhicules volant loin au dessus de sa tête, le Ff réfléchissait à son avenir. Ca n’avait déjà pas été facile d’arriver jusqu’ici. Après le revers de fortune catastrophique qu’il avait subi deux femps plus tôt, il avait un instant nourrit l’idée de prendre sa retraite en pleine jungle, là où personne n’irait le chercher. Mais l’appel du défi avait été trop fort. Pour remonter dans la hiérarchie, il y avait deux possibilités. La première était de se faire embaucher dans un autre Complexe suffisamment loin du premier pour que personne ne soit au courant de sa trahison. Le problème était qu’il faudrait regravir chaque échelon depuis la base sans aucune certitude qu’il se présente un jour la moindre opportunité de révéler ses capacités. La deuxième possibilité était plus audacieuse, et donc plus tentante pour quelqu’un comme F. Il faudrait s’approcher suffisamment de l’Imperator pour se faire remarquer de lui. Au pire, il restait la possibilité de le détrôner et de prendre sa place. C’était de toute façon le but ultime.
   Maintenant que F se trouvait sur la place du Palais Impérial en pleine capitale de l’Empire Métallique, il n'était plus question de faire demi-tour. Contournant la statue monumentale, notre renégat jeta un coup d’œil à ce qui se trouvait derrière. En haut d’un énorme escalier de marbre blanc d’au moins trois cent marches se dressaient les portes du Palais Impérial. Même si l’Imperator était aussi grand que sa statue, il aurait pu entrer et sortir sans même avoir à se pencher. Mais la question ne se posait pas, car l’Imperator ne sortait jamais, ou en tout cas, pas par là. Plus aucun véhicule n’avait le droit de continuer dans cette direction et de nombreuses batteries de DCA automatisées garnissaient les murailles noires métalliques comme autant de dents acérées.
   Décidément, ça allait être un plaisir que de s’infiltrer là-dedans. Il allait d’abord falloir se renseigner sur le coin, puis il serait toujours temps de mettre un plan sur pied. Finalement, c’était plutôt une bonne chose que d’avoir été chassé du Complexe. F avait un peu raté son coup avec Fant et sa compagne démoniaque, mais c’était parce que ces deux-là ne réfléchissaient pas de façon conventionnelle. Ici, dans la capitale de l’Empire, tout était formaté, même la pensée. Et sans sauvages pour le gêner, F était sûr de son coup.
   Il résista à la tentation de s’accroupir pour se curer l’oreille avec le pied et se détourna du palais et de la statue, se fondant dans la masse.
   Il faudrait quand même voir à se débarrasser de ce tic gênant.



Alors, c’est pas du suspens de fou, ça ?
Que vont bien pouvoir faire nos héros pour lutter contre un si vaste empire ?
Vous aurez tout le loisir d’y réfléchir pendant le temps monstrueusement long que me prendra l’écriture de :
Histoire de l'Empire Métallique
Episode 7 : Ville silencieuse